Un travail d’équipe
L’association Facteurs Humains en Santé est principalement composée de soignants (médecins, infirmiers, chirurgiens...) et mobilise aussi des experts venus d’autres domaines comme le nucléaire, le monde militaire ou l’aéronautique (pilotes, contrôleurs aériens...). Tous ses membres partagent un même constat : le soin est une discipline de plus en plus complexe, et on ne peut pas avoir toutes les connaissances ou toutes les compétences. L’erreur est humaine, personne n’est infaillible.
Depuis plusieurs années, cette association travaille donc à l’amélioration de la qualité des soins et de la sécurité des patients, par une meilleure compréhension du fonctionnement humain et du travail d’équipe. Dans cet objectif, elle fédère et met en contact les différentes structures d’enseignement en simulation et en facteur humain, à l’échelle nationale et européenne. Elle fait la promotion de la recherche sur le fonctionnement humain et organisationnel, et accompagne des projets pédagogiques. À travers l’organisation de colloques et la mise en ligne de ses propres outils sur son site internet facteurshumainsensante.org, elle s’adresse aussi directement et concrètement à tous les soignants, des services hospitaliers jusqu’aux cabinets médicaux.
Un premier colloque en 2019
En octobre 2019 s’est tenu le premier colloque Facteurs Humains en Santé au siège de la région Île-de-France à Paris. Il a regroupé plus de 270 participants, essentiellement issus du domaine de la santé. Tous ont pu suivre des échanges sur la fiabilité des soins, les relations au sein des équipes soignantes, l’apprentissage de la gestion du stress, ou encore les freins au changement. Le Dr François Jaulin, cofondateur et président de Facteurs Humains en Santé, avait rappelé l’enjeu majeur de cette journée dans son introduction : « C’est le premier colloque d’une discipline qui n’existe pas encore en médecine. »
« Les défis de l’erreur »
Depuis deux ans, une crise globale imprévue et complexe a mis l’accent sur l’importance de l’humain dans le soin. Poursuivant ses actions en faveur de cette prise en compte, Facteurs Humains en Santé a organisé son deuxième colloque le vendredi 25 mars à l’Institut Universitaire du Cancer - Oncopole de Toulouse (IUCT).
Le thème principal de ce rendez-vous était l’erreur, pour mieux la comprendre et mieux l’affronter. Au menu du public et des intervenants : les causes des erreurs, leur prévention, ou encore le rôle de l’intelligence artificielle dans ce nouveau domaine. L’erreur humaine est en effet un enjeu majeur de sécurité : de nombreux accidents médicaux, parfois dramatiques, sont causés par de simples problèmes de communication. Or, des études révèlent qu’un travail d’équipe efficace permet de réduire de moitié les décès intra-hospitaliers évitables [1,2].
Les cahiers du Facteur
Pour sensibiliser et agir, le mouvement s’appuie sur l’expertise de ses membres à travers plusieurs types de publications et de médias qui peuvent toucher un large public.
Les cahiers du Facteur proposent d’aborder de façon simple et accessible des problématiques connues et parfois redoutées des soignants : la fatigue, l’effet tunnel, les risques d’oubli… Chaque cahier, part d’une situation concrète que tout soignant a pu rencontrer, et développe en quelques pages avec des références des solutions concrètes. Régis Fuzier, anesthésiste-réanimateur, raconte ainsi dans une fiche consacrée au risque d’oubli d’une tâche : « Je viens d’endormir une patiente qui doit bénéficier d’une chirurgie carcinologique du sein. Après mise en place du masque laryngé, je suis appelé sur mon téléphone pour un avis au sujet d’un autre patient. Alors que je réponds à la requête, ma patiente se met à tousser et à bouger dans tous les sens. Je me rends compte qu’après la mise en place du masque laryngé, j’ai oublié d’ouvrir les gaz halogénés visant à entretenir l’anesthésie. J’injecte rapidement un peu d’hypnotique et je mets en route l’entretien de l’anesthésie. L’intervention se déroule sans problème. En salle de surveillance post-interventionnelle, je vérifie que la patiente ne présente pas de phénomènes de mémorisation. » Une erreur à partager, pour mieux la comprendre, et éviter qu’elle ne se reproduise. Dans ce cahier, l’oubli est analysé à travers le fonctionnement de notre cerveau. On évoque les facteurs qui peuvent le provoquer, comme le stress ou la multiplication des tâches à accomplir. Mais la fiche propose aussi des moyens d’action concrets et applicables par tous : check-list, anticipation de la rupture, vérification croisée, ou encore entraînement en simulation.
Les Enfants du Facteur
Une chaîne YouTube baptisée Les Enfants du Facteur met à la disposition de ses visiteurs de nombreuses vidéos réalisées par les membres du groupe. Ils présentent en quelques minutes un biais cognitif, un enjeu lié aux facteurs humains, ou ils évoquent simplement une expérience ou un livre qui a marqué leur parcours et qui a nourri leur réflexion sur le sujet. Nous voyageons de la cabine d’un avion lors d’un vol parabolique (Figure 1) à la tour de contrôle d’un porte-avions (Figure 2), en passant par l’antre d’un coach de basket de haut niveau, avec bien sûr de nombreuses séquences dans les méandres d’hôpitaux de toute la France. Les thèmes sont tout aussi variés : le parallèle des histoires entre l’aviation et la médecine pour comprendre ce que la sécurité aéronautique peut apporter à la sécurité des soins, la communication entre soignants qui peut être plus efficace et plus sûre grâce à la phraséologie médicale, ou encore les pièges des interactions, décortiqués par le sociologue Christian Morel, auteur des ouvrages de référence Les décisions absurdes.
La voix du Facteur
Plus récemment, une nouvelle série de podcasts intitulée La voix du Facteur donne accès à des conversations qui reviennent sur ces enjeux plus posément, plus longuement. Les intervenants partagent leurs expériences, leurs regards et leur enthousiasme. Franck Renouard, docteur en chirurgie dentaire et pilote d’hélicoptère, analyse les erreurs et explique pourquoi leur non-punition et leur partage peuvent rendre un système plus fiable. Sébastien Follet, contrôleur aérien et facilitateur en facteurs humains, revient à travers une expérience personnelle sur la difficulté de s’attendre à l’imprévisible : « expect the unexpected ». Il aborde la levée de doute, la pression de productivité, et les pratiques qui peuvent être mises en place pour prendre en compte les situations exceptionnelles et prévenir leurs conséquences.
Ton nom, ta fonction
En 2019, le mouvement Facteurs Humains en Santé a lancé sur les réseaux sociaux le hashtag #TonNomTaFonction pour sensibiliser les soignants de réanimation ou du bloc opératoire à l’importance du facteur humain. Le principe est ludique et facilement applicable : c’est le calot nominatif. Il s’agit d’inscrire sur son calot son prénom et sa fonction dans la salle : François - Anesthésiste, Véronique - IADE, Jérôme - Chirurgien… Ainsi, les intervenants qui intègrent une nouvelle équipe peuvent s’adresser à un interlocuteur inconnu par son prénom, sans hésiter, en sachant ce qu’il peut faire et ce qu’il ne peut pas faire. L’objectif est toujours de mieux travailler ensemble pour plus de sécurité. Cette identification facilitée est un exemple simple, bon marché et efficace pour fiabiliser la communication et la gestion des tâches.
Des collaborations nombreuses
L’association est aussi présente dans les médias. En septembre 2020, Facteurs Humains en Santé publie une tribune dans le journal Le Monde visant à prendre en compte les facteurs humains après la première vague de Covid-19. En octobre 2021, les auditeurs de France Inter entendent le Dr Frédéric Martin, cofondateur avec le Dr François Jaulin de la Patient Safety Database, s’exprimer sur le partage d’expérience. Des fondateurs de l’association ont été invités dans l’émission de France 5 Enquête de santé sur le sujet des erreurs médicales.
Facteurs Humains en Santé s’associe également à des institutions comme l’Assistance Publique - Hôpitaux de Paris (AP-HP) ou le Collectif national des permanences d’accès aux soins de santé (Pass) pour organiser des colloques, comme celui réalisé au ministère de la Santé intitulé : Au cœur des soins, la quête du sens Pass par l’humain. Cette journée a permis d’analyser un nouveau risque pour le monde médical : celui d’un soin automatisé, faussement sécurisant, dévitalisé, vidé de sa richesse et de son sens.
Un sujet d’avenir
Depuis la naissance du mouvement Facteurs Humains en Santé, la prise en compte des facteurs humains se développe dans le monde du soin. Des sociétés savantes commencent à les intégrer dans leurs recommandations en ayant recours à l’expertise de l’association. Facteurs Humains en Santé publiera en 2022 avec la Société française d’anesthésie-réanimation (Sfar) les premières recommandations de pratiques professionnelles sur les facteurs humains en situation de crise. La prise de conscience des soignants et de la population sur l’étendue du problème est déclenchée, et une mutation culturelle du soin apparaît.
Le rendez-vous du 25 mars représentait un pas de plus dans cette direction, à travers un temps d’échange privilégié entre des intervenants issus d’univers différents, mais tous convaincus que le sujet doit désormais s’imposer dans l’univers médical, des bancs des facultés de médecine jusqu’aux lits des patients.