L’épidémie de Covid-191 a frappé la France au début de l’année 2020 de façon soudaine et inédite. Dans un contexte marqué par une forte incertitude scientifique, une pénurie de matériels de protection essentiels, l’évolution permanente des directives sanitaires, et le confinement généralisé de la population, de nouvelles formes de collaborations interprofessionnelles se sont développées pour faire face à l’épidémie. En Bretagne, un dispositif d’accompagnement destiné aux équipes des établissements médicosociaux (EMS) accueillant des personnes âgées ou en situation de handicap s’est mis en place en quelques jours grâce à la mobilisation de plusieurs structures d’appui régionales, et de référents locaux, sur chacun des territoires de santé bretons. Rapidement, le périmètre du dispositif s’est élargi pour s’adresser également aux professionnels du soin à domicile, ainsi qu’aux usagers du système de santé et à leurs représentants. L’objectif de cet article est de décrire ce dispositif, et d’en réaliser un retour d’expérience au regard, également, des évolutions qu’il a connues entre la première et la deuxième vagues épidémiques.
Contexte de mise en place du dispositif partenarial breton d’accompagnement à la gestion de l’épidémie de Covid-19
Au tout début de la crise, en février 2020, la communication sur les premières mesures entreprises par les pouvoirs publics était centrée sur le secteur sanitaire et elle ne laissait pas entrevoir l’organisation rapide d’un appui spécifique à l’intention des EMS accueillant des personnes âgées ou en situation de handicap. Or, ces établissements s’avéraient particulièrement vulnérables en cas de contagion par le Sars-CoV-2 dans leur enceinte. En effet, ils hébergent des personnes fragiles, et sont souvent dépourvus de ressources médicales ou d’expertise en hygiène sur site. De fait, à partir de mi-février, le centre d’appui pour la prévention des infections associées aux soins (CPias) de Bretagne, recevait de nombreuses sollicitations liées à la Covid-19 et provenant en particulier des établissements hébergeant des personnes âgées dépendantes (Ehpad) [1].
La préoccupation d’apporter un soutien à ces établissements a été partagée dès le début du mois de mars entre différents acteurs de la santé en Bretagne, à savoir les équipes de gériatrie des centres hospitaliers universitaires (CHU) de Rennes et de Brest, la structure régionale d’appui à la qualité et à la sécurité des soins nommée « Capps Bretagne2 », le CPias et l’agence régionale de santé (ARS). Le travail de réflexion engagé entre ces équipes a permis de coconstruire une offre d’accompagnement visant deux objectifs : 1) la mise à disposition d’un dispositif d’information auprès des EMS pour personnes âgées ou en situation de handicap afin de les aider à prévenir le risque infectieux lié au Sars-CoV-2 et à anticiper et organiser la prise en soin des personnes accueillies porteuses du virus ; et 2) la mise en relation des EMS précités avec les professionnels et experts (gériatres, infectiologues, médecins de soins palliatifs, médecins coordonnateurs, etc.) en capacité de répondre à leurs questionnements et besoins d’accompagnement.
Ce dispositif partenarial breton d’accompagnement à la gestion de l’épidémie de Covid-19 s’est ensuite ouvert aux professionnels assurant des soins au domicile des personnes âgées ou en situation de handicap avec la prise de conscience que tous les professionnels devaient bénéficier du même appui, quel que soit le lieu de résidence des personnes auprès desquelles ils intervenaient. Il s’est également étendu aux représentants des usagers dans les établissements sanitaires ou aux représentants des familles dans les établissements médicosociaux qui, avec le confinement, se sont trouvés confrontés, du jour au lendemain, à des questionnements de résidents, de patients ou de familles. Il était donc nécessaire d’apporter également à ces partenaires une information fiable sur l’épidémie et ses moyens de maîtrise, ainsi qu’un soutien dans leur engagement.
Description du dispositif mis en place lors de la première vague épidémique3
Le dispositif partenarial breton d’accompagnement à la gestion de l’épidémie de Covid-19 s’est articulé autour de deux actions principales.
L’organisation régulière de visioconférences, en direct, à l’échelle des territoires de santé, des départements ou de la région
Ces visioconférences ont été conçues comme des lieux d’échanges permettant aux professionnels de disposer d’une information actualisée sur la gestion de l’épidémie et d’un partage des retours d’expériences vécues par les collègues du même territoire. En pratique, leur format était relativement court (1 h 30), et leur contenu déterminé spécifiquement avec les intervenants. Ceux-ci étaient généralement au nombre de cinq à dix par visioconférence, incluant la présence systématique d’un représentant du CPias et de l’espace de réflexion éthique de Bretagne (Ereb). Les visioconférences étaient structurées en 3 temps : 1) intervention de personnes référentes sur le territoire sur un sujet d’actualité (ex. organisation du dépistage ou du renfort en ressources médicales, offre de télémédecine, etc.) ; 2) partage de retours d’expérience ; 3) temps d’échange sous forme de questions/réponses entre les participants et les intervenants.
Le déploiement de ces visioconférences a nécessité la constitution d’un annuaire exhaustif et à jour des structures médicosociales hébergeant des personnes âgées ou en situation de handicap sur l’ensemble de la Bretagne. Pour cela, les informations des annuaires existant constitués respectivement par le Capps Bretagne et l’ARS ont été croisées et complétées par des recherches manuelles. De plus, il a été nécessaire d’identifier, dans chaque territoire de santé (pour le secteur « personnes âgées ») ou département (pour le secteur du handicap), des experts en capacité de répondre aux interrogations des professionnels, en plus de l’expertise apportée par le CPias en matière d’hygiène et de l’éclairage de l’Ereb sur les questions d’éthique. Ont ainsi contribué à l’apport d’informations clés pour la gestion de l’épidémie : des médecins hospitaliers des établissements supports de groupements hospitaliers de territoire (gériatres, infectiologues, virologues, etc.), l’association des médecins coordonnateurs (Amcoor) d’Ehpad de Haute Bretagne, des personnes-ressources dans le champ du handicap identifiées par l’ARS ou le Capps Bretagne, les dispositifs d’appui à la coordination (DAC), la structure bretonne de coordination des soins palliatifs (Caresp), les unions régionales des professionnels de santé (URPS), la branche régionale bretonne de la fédération des maisons et pôles de santé (Essort) France Assos Santé Bretagne, ainsi que différents porteurs d’initiatives dans les territoires.
La mise à disposition de deux plateformes d’information en ligne - l’une destinée au secteur « personnes âgées », l’autre destinée au secteur du handicap
Chacune de ces plateformes, d’accès libre, centralisait :
- des ressources documentaires regroupant les recommandations, les directives nationales et autres textes de référence. À cet effet, l’ARS, le CPias et le Capps Bretagne s’étaient organisés pour réaliser conjointement une veille documentaire et une sélection des documents pertinents pour chacun des deux secteurs (« personnes âgées » et « handicap »). Cette documentation était mise à jour plusieurs fois par semaine ;
- une foire aux questions (FAQ) regroupant les questions posées à l’occasion des visioconférences. Les réponses étaient rédigées par plusieurs experts (CPias, chef du service de gériatrie du CHU de Rennes, etc.) à l’issue de réunions de coordination hebdomadaires ;
- les coordonnées des professionnels ou structures ressources dans chaque territoire de santé ou département (avis en gériatrie, en infectiologie ou en éthique, équipes mobiles de soins palliatifs, services d’HAD, services de télémédecine, services de santé au travail, etc.) ;
- l’ensemble des visioconférences consultables de façon différée pour les professionnels et usagers n’ayant pu les suivre en direct.
Enfin, une enquête régionale a été diffusée auprès de centaines d’usagers partenaires (i.e. des usagers déjà engagés dans le système de santé : patients experts, représentants des usagers, pairs aidants, etc.), en partenariat avec France Assos Santé Bretagne et la maison associative de la santé de Rennes, pour évaluer l’évolution des pratiques de partenariat usagers-professionnels pendant la crise sanitaire, et ainsi objectiver les perceptions relatives à une éventuelle fragilisation de la démocratie en santé.
Résultats et retour d’expérience sur le dispositif
Un total de 62 visioconférences a été organisé entre mars et décembre 2020, avec en moyenne 100 connexions par visioconférence. Une large majorité (70%) des visioconférences a eu lieu au cours de la première vague épidémique, soit entre mars et juillet 2020. Leur contenu a bien sûr évolué en fonction de l’actualité. La question des modalités pratiques du confinement en Ehpad a été centrale au début de l’épidémie, puis elle a cédé la place aux questions relatives à l’organisation des visites des résidents ou à l’évolution des politiques de dépistage par exemple, puis dernièrement, à l’organisation de la vaccination. Deux visioconférences ont été consacrées aux usagers. Elles se sont appuyées sur des retours d’expérience par des duos usagers-professionnels concernant, par exemple, la participation d’un représentant des usagers à la « cellule de crise » d’un établissement, ou celle d’un représentant des familles comme médiateur entre les familles de résidents et les directeurs d’Ehpad.
La répartition du nombre de visioconférences selon les territoires (T) de santé ou départements (Tableaux I et II) révèle une appropriation inégale de ce dispositif selon les territoires. En effet, avec respectivement 16 et 6 visioconférences organisées entre mars et décembre 2020, les territoires des CHU de Brest et de Rennes (T1 et T5) se sont davantage saisis de ce dispositif que les autres territoires bretons où 1 à 3 visioconférences ont été organisées sur la période. Lors de la deuxième vague épidémique4, quatre territoires de santé (T4, T6, T7 et T8) n’ont pas renouvelé l’expérience des visioconférences alors que les deux territoires précités (T1 et T5) ont maintenu la dynamique amorcée lors de la première vague.
Plusieurs éléments permettent d’expliquer les différences constatées entre la première vague et la seconde vague, et entre les territoires de santé. Tout d’abord, le besoin d’information et de partage d’expérience n’était probablement pas le même entre les territoires où le Sars-CoV-2 circulait activement et ceux où la menace du virus apparaissait moins concrète. D’autre part, lors de la première vague épidémique, le Capps Bretagne a joué un rôle proactif dans l’organisation des visioconférences en contactant les personnes-ressources identifiées dans chacun des territoires afin de les mobiliser pour les visioconférences. Lors de la seconde vague, ces intervenants ainsi que les équipes de la structure régionale d’appui ont été moins disponibles (taux de déprogrammation des activités sanitaires beaucoup plus faible que lors de la première vague).
Du point de vue du CPias, une des causes des différences observées entre les deux vagues est qu’au début de la crise, les questions relatives à l’hygiène et à la maîtrise du risque infectieux étaient prépondérantes du fait de l’évolution constante des recommandations en la matière, et de la pénurie de matériel de protection. Cette pénurie a en effet nécessité des adaptations par rapport aux pratiques de référence et donc l’expertise du CPias pour les mettre en œuvre. Lors de la deuxième vague, les gestes barrière étaient connus, les masques et surblouses étaient disponibles en quantité suffisante, et les recommandations étaient stabilisées. Il n’y avait donc pas de nouvelles consignes à promouvoir. De plus, de nombreux outils pédagogiques avaient été mis à disposition des structures qui, après la première vague épidémique, avaient développé une certaine autonomie dans l’adaptation des recommandations (gestion des visites en Ehpad, organisation des activités, etc.). Ainsi, lors des visioconférences, les questions concernant l’hygiène et la maîtrise du risque infectieux se sont, de fait, raréfiées. À l’inverse, pour les représentants d’usagers, la nécessité d’avoir des informations fiables, des échanges et des outils a été la même durant les deux vagues. Après la période d’adaptation qu’il a fallu aux représentants d’usagers pour maintenir leurs engagements en se formant notamment aux outils à distance, ils sont restés très présents et mobilisés.
S’agissant des plateformes de ressources en ligne, elles ont été largement consultées puisqu’elles ont enregistré plus de 31 500 vues sur la période de mars à décembre 2020. Le rayonnement de ces plateformes a dépassé la région bretonne étant donné que des professionnels d’autres régions ont également mobilisé ces ressources. Des deux plateformes, celle destinée au secteur « personnes âgées » a été davantage consultée puisqu’elle a concentré plus de 80% (n=26 000) du total des vues. Lors de la seconde vague épidémique, le contenu des plateformes a dû évoluer car les différents acteurs qui l’alimentaient lors de la première vague n’avaient plus la disponibilité nécessaire. La FAQ a ainsi été fermée, mais l’information sur les ressources par territoire est restée accessible et mise à jour, de même que les principaux nouveaux textes de référence. Un site internet regroupant l’information des deux plateformes devrait voir le jour prochainement. Financé par l’ARS de Bretagne, et coordonné par le Centre régional d’études, d’actions et d’informations en faveur des personnes en situation de vulnérabilité (CREAI) de Bretagne, ce site internet, dénommé Embruns5, a vocation à constituer une solution pérenne d’information des acteurs du médicosocial en Bretagne pour la gestion de crises, et notamment celles liées aux épidémies.
Au final, les retours reçus sur le dispositif partenarial breton d’accompagnement à la gestion de l’épidémie de Covid-19 sont positifs comme l’indiquent les résultats d’une enquête réalisée en mai 2020 auprès d’Ehpad, les commentaires postés dans l’espace de conversation en ligne des visioconférences, et les témoignages recueillis auprès de professionnels [2]. Il ressort ainsi que grâce aux espaces d’échanges qu’elles ont créés, les visioconférences ont permis aux équipes sur le terrain de « se sentir moins seules », d’être « guidées » ou « confortées dans leurs prises de décision », et de « dédramatiser grâce aux retours d’expérience ». Elles ont également permis d’offrir une « vision concrète des ressources » mobilisables dans chaque territoire et portées par différents acteurs tels que le Samu en ce qui concerne le recours possible à une équipe mobile pour la réalisation de prélèvements nasopharyngés, Amcoor pour le soutien médical organisationnel aux Ehpad sans médecin coordinateur, ou encore les gériatres des filières gériatriques territoriales s’agissant des « hotlines personnes âgées »6. Le sentiment de « proximité » avec des interlocuteurs de terrain vivant la même réalité a été particulièrement apprécié et apparaît comme un facteur clé de réussite des visioconférences. La « puissance fédératrice » du dispositif a par ailleurs été soulignée, car ce dernier a favorisé des interactions directes entre des acteurs locaux qui ne se connaissaient pas ou peu. Enfin, les plateformes ont été appréciées par les utilisateurs qui les ont trouvées intuitives, pratiques et très utiles.
Conclusion
Le dispositif partenarial breton d’accompagnement à la gestion de l’épidémie de Covid-19 semble avoir été particulièrement utile au cours de la première vague épidémique, d’abord parce qu’il s’est mis en place rapidement, ce qui a permis de répondre à un besoin d’information, de partage, et d’échange qui était très prégnant en début de crise. Mais surtout, il a constitué un outil de maillage territorial entre équipes car à partir du réseau créé, d’autres collaborations ainsi que des travaux de recherche ont pu se déployer. À titre d’exemple, deux études ont été lancées auprès des Ehpad bretons au cours de la première vague épidémique. La première étude, nommée « Rempar Ehpad », portée par le CHU de Rennes et financée par la DGOS, vise à identifier les facteurs associés à la survenue d’une épidémie de Covid-19 dans un Ehpad donné, et à mieux comprendre les décisions prises par les directeurs d’établissement lors de la première vague. La seconde étude, qui fait l’objet d’un mémoire de fin d’études de diplôme d’État d’infirmier en pratique avancée, a pour objectif d’étudier le recours à la contention dans le cadre de la pandémie, et à étudier les conséquences du confinement sur l’aggravation de symptômes démentiels ou confusionnels. Pour les structures d’appui régionales telles que le CPias et le Capps Bretagne, le dispositif a été par ailleurs l’occasion de se faire connaître des acteurs du secteur du handicap, et de nouer de nouveaux partenariats avec des structures telles que le CREAI Bretagne. Notons toutefois que le dispositif a pu être mis en place et fonctionner grâce à la mobilisation exceptionnelle de nombreux professionnels lors du premier confinement7 malgré les contraintes du télétravail. La disponibilité des acteurs du dispositif a été nettement moins grande lors de la seconde vague épidémique, mais le besoin sur le terrain était également moins fort. Enfin, s’agissant des représentants d’usagers, certains ont dû faire preuve d’une énergie supplémentaire pour rester mobilisés à distance à l’arrivée du deuxième confinement8. Malgré les dispositifs déployés, le lien social et la proximité sont des facteurs importants dans leur implication. L’arrêt prolongé et indéfini de toutes leurs activités, l’abondance des réunions à distance peuvent mettre en difficulté leur engagement. Les possibilités d’expressions, de réponses et d’échanges du dispositif partenarial breton ont permis pour beaucoup de se sentir moins isolés, et surtout de leur apporter des ressources précieuses à l’exercice de leurs missions.
Mieux, ce dispositif, par la promotion d’interconnaissances tant à destination des aidants que des professionnels, mobilisant des enjeux de nature tout autant éducative que médicale, préventive que curative, individuelle et collective, a permis de construire un cadre respectueux des acteurs de terrain en leur offrant une « pensée de secours ». Il a su créer, dans le respect d’une lecture authentiquement systémique et éthique, les conditions d’une entente partagée autour des savoirs et des non-savoirs permettant d’envisager une réponse humaine au problème quotidien de ce que veut dire « vivre avec le virus », en croisant les risques identifiés et ceux moins prévisibles, reflet des inconnues en cours de traitement scientifique.
Notes :
1- Coronavirus disease 2019, maladie à coronavirus 2019.
2- Coopération pour l’amélioration des pratiques des professionnels en santé en Bretagne.
3- Dans le cadre de cet article, en l’absence de définition officielle, la période correspondant à la première vague épidémique a été définie comme allant de mars à juillet 2020.
4- Dans le cadre de cet article, en l’absence de définition officielle, la période correspondant à la deuxième vague épidémique a été définie comme allant d’août à décembre 2020 (date de rédaction de l’article) .
5- Espace mutualisé breton des ressources intégratives en santé.
6- Pour plus de détails sur l’organisation territoriale centrée sur les Ehpad mise en place en Bretagne, et en particulier sur le territoire rennais, à l’occasion de l’épidémie de Covid-19, voir l’article de Cofais et al. (2020) [3].
7- Du 17 mars au 14 mai 2020.
8- Du 30 octobre au 15 décembre 2020.