Dernièrement, au Canada, l’Institut canadien d’information en santé a publié un rapport soulignant le retard cumulé en ce qui a trait à la sécurité des patients par rapport aux autres pays de l’OCDE « Un total de 553 objets tels que des instruments chirurgicaux ont été oubliés dans le corps de patients au Canada lors des deux dernières années » [1]. Malgré les efforts émis pour améliorer la sécurité des soins et des services de santé à travers le monde, les erreurs médicales restent toujours, aux États-Unis comme au Canada, la troisième cause de décès après les maladies cardiovasculaires et le cancer, avec environ 250 000 morts par an aux États-Unis [2] et 24 000 au Canada avec 37% de ces erreurs qui auraient pu être évitées [3].
Au cours de la dernière décennie, les préoccupations relatives à la sécurité des patients n’ont cessé de croître. Afin de limiter les situations à risque dans les établissements de soins, un certain nombre de démarches ont été mises en place comme la création de système de collecte de données, la déclaration obligatoire des évènements indésirables (EI), la divulgation des incidents et accidents, des mesures de soutien pour les personnes touchées par des EI, la mise en place de mesures préventives, etc. Toutefois, ces démarches n’ont pas toujours donné les résultats escomptés. Une des raisons invoquées est l’absence de participation des patients et des proches dans l’ensemble des mesures adoptées. Aussi dans ce contexte, les gouvernements, les organismes nationaux et provinciaux, les régions sanitaires et les établissements de santé et services sociaux (ESSS) travaillent de plus en plus en partenariat avec les usagers pour améliorer la sécurité dans les ESSS.
C’est ainsi que cet article se donne comme objectif de présenter les origines et l’évolution de la gestion des risques en Amérique du Nord et plus particulièrement au Québec et comment progressivement les patients ont été engagés dans un certain nombre de dispositifs.
Vers une prise de conscience en Amérique du nord
Tout a débuté avec la publication par l’Institute of Medicine (IOM) en décembre 1999 de To err is human : building a safer health system qui a mis en évidence que les erreurs médicales causaient entre 44 000 et 98 000 décès évitables par an aux États-Unis [4]. Cette étude a débouché sur la réalisation d’une étude semblable dans les hôpitaux canadiens, qui démontra qu’un patient hospitalisé sur quatorze avait souffert d’un EI, dont le tiers était évitable [3]. Au Québec, cette étude a montré que parmi les 431 908 hospitalisations annuelles, environ 24 187 étaient associées à des EI et 6 479 d’entre elles auraient pu être évitées (1,5% des hospitalisations), dont 670 avaient amené à des décès évitables [5]. À la suite de ces études, le ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec (MSSS) publia le Rapport sur les incidents et accidents survenus lors de la prestation des soins et services de santé au Québec [6], relevant un total de 484 021 EI déclarés entre le 1er avril 2015 et le 31 mars 2016 au Québec.
Dans les deux semaines qui ont suivi la publication du rapport, l’IOM créait un groupe de travail pour la coordination inter-institutions en matière de qualité des États-Unis (QuIC) chargé de proposer des recommandations et d’adopter une stratégie pour réduire les erreurs médicales. Le rapport publié par l’IOM à la suite comportait quatre messages fondamentaux : 1) les résultats de l’état des lieux des dommages causés par les erreurs médicales sont significatifs ; 2) les erreurs sont en grande partie dues à des défaillances systémiques et non des défaillances humaines ; 3) des programmes de déclaration volontaire et obligatoire sont à mettre en place ; et 4) la prise de conscience d’une urgence nationale de mettre en place de manière concertée des activités favorisant l’amélioration de la sécurité des patients [4].
À la suite de ces rapports, le Canada a encouragé l’obligation pour les établissements de soins de santé de déclarer et d’informer tous les patients des EI qui surviennent pendant la prestation des soins [7]. En complément, des directives portant sur la manière d’impliquer les conseils d’administration (CA) des établissements de santé pour l’élaboration de règles et de mesures de soutien relatives à la divulgation des incidents/accidents (IA) aux usagers, ainsi qu’à leur prise en charge ont été proposées [7]. Les CA ont aussi été amenés à superviser les mesures préventives visant à réduire la récurrence d’IA potentiels dans le cadre de la certification.
Malgré ces rapports et ces mesures, des études mettent encore en évidence qu’au Canada, un décès toutes les 13 minutes survient à la suite d’un accident lié aux activités de soins et que ces incidents et accidents en soins actifs et à domicile entraînent des surcoûts d’environ 6 800 dollars canadiens par patient [8], ce qui entraîne en conséquence des surcoûts de 2,75 milliards de dollars canadiens chaque année (CPSI, 2016). Au total, on estime que les IA entraînent des dépenses de plus de 58 milliards de dollars canadiens par année à l’échelle du Canada [9].
Évolution de la gestion des risques au Québec
Fort des constats canadien et québécois, le gouvernement du Québec a confié à un comité interministériel le mandat de proposer des recommandations pour améliorer la situation en ce qui concerne la gestion des risques au Québec. C’est ainsi que le Rapport Francœur, publié en 2001, a joué un rôle essentiel pour mieux comprendre l’état de la situation dans la province en ce qui a trait à la sécurité des patients. Le rapport a alors proposé de revoir les procédures de gestion des risques et de mettre en place des mécanismes de prévention. Parmi les propositions, on retrouve la nécessité de revoir les outils de déclaration des EI, de revoir le système d’information des déclarations, de créer une banque nationale de données sur les effets indésirables et les accidents évitables afin qu’ils soient systématiquement répertoriés à des fins d’analyse, et de renforcer la formation en gestion des risques du personnel [10,11]. Par ailleurs, des indicateurs de suivi ont été proposés pour suivre les actions de prévention recommandée dans le rapport, ainsi que pour s’assurer que les besoins des patients sont comblés en particulier en ce qui a trait à la divulgation et aux mesures mises en place pour éviter qu’un évènement se reproduise. La politique de santé et de bien-être au Québec a intégré la réduction de l’incidence de ces accidents parmi ses objectifs. Dans leur code de déontologie, les médecins et les autres professionnels de la santé se sont vus contraints de devoir déclarer les IA. Et, finalement, les établissements de santé se sont vus imposés de déclarer les IA et de rentrer dans une démarche d’agrément au cours de laquelle de nombreuses pratiques organisationnelles requises portent sur des enjeux de sécurités [11].
Le projet de loi 113
À la suite de la publication du Rapport Francœur, en décembre 2002, le projet de loi 113 a été adopté par le gouvernement du Québec pour obliger les ESSS à mettre en place un certain nombre de mesures pour rendre les lieux de soins et de services plus sécuritaires pour les patients [10].
Selon le projet de loi 113, toute personne qui reçoit un service a le droit d’être informée de tous les IA survenus au cours de la prestation du service, surtout si cela peut mettre en danger sa santé et son bien-être (divulgation)1. Ainsi, les fournisseurs de soins sont tenus de signaler tout IA dès que possible après en avoir pris connaissance auprès des patients et du MSSS (déclaration)2.
L’importance de divulguer
La divulgation (article 8 de la loi sur les services de santé et les services sociaux [LSSSS]) énonce le droit de l’usager d’être informé de tout IA survenu au cours de la prestation des services qu’il a reçu. La divulgation comporte deux étapes :
1re Étape – La divulgation initiale
Il s’agit d’une discussion avec l’usager ; celle-ci doit avoir lieu le plus tôt possible après un évènement. La divulgation initiale vise à informer le client des faits connus, cela inclut :
- les faits relatifs à l’évènement ou au préjudice connu à ce jour ;
- les mesures prises, les options recommandées et les décisions relatives aux soins du client ;
- la présentation d’excuses ;
- un aperçu du processus d’enquête à venir incluant les échéanciers appropriés, et de l’information sur ce que le client pourrait apprendre à la suite de l’enquête ;
- une offre de rencontres ultérieures, y compris de l’information sur des personnes-ressources clés ;
- une période de questions et réponses ;
- une ou des offres de soutien pratique et émotionnel3 ;
- une enquête additionnelle et un traitement, s’il y a lieu ;
- les renseignements communiqués sur les mesures proposées pour prévenir4 ;
- la récurrence d’un accident semblable.
Le rapport de divulgation se fait à l’aide du formulaire Rapport de divulgation (référence au formulaire AH- 223).
2e Étape – La divulgation subséquente
C’est à cette étape que les clients sont informés des améliorations apportées, si possible pour éviter que de tels évènements se reproduisent. Les discussions doivent inclure :
- un soutien pratique et émotionnel continu, s’il y a lieu ;
- la corroboration ou la correction de l’information fournie lors des rencontres précédentes ;
- l’information factuelle additionnelle à mesure qu’elle devient connue ;
- la présentation d’excuses et la reconnaissance de responsabilité, le cas échéant, lorsque tous les faits sont établis ;
- la description des mesures prises à la suite de l’enquête interne et qui ont entraîné des améliorations du système.
L’obligation de déclarer
Les ESSS ont l’obligation légale de déclarer les incidents et les accidents (LSSSS, article 233.1) constatés au sein de l’établissement, par toute personne y exerçant une fonction à temps partiel ou à temps complet. De plus, l’établissement doit assurer la mise en place d’un système de surveillance incluant la constitution d’un registre local des incidents et des accidents aux fins d’analyse des causes de ces incidents et accidents. Ce registre sert également à recommander au CA de l’établissement les mesures à prendre afin de prévenir la récurrence de ces situations ainsi que les mesures de contrôle, s’il y a lieu (LSSSS, art. 183.2, paragraphe 2). Pour déclarer ces EI, le formulaire AH-223-I5 (Rapport de déclaration des IA) est complété par les établissements le plus tôt possible après la constatation de l’IA par toute personne du réseau qui constate un évènement. Cette déclaration est communiquée à la personne désignée en gestion des risques dans l’établissement. Ensuite, la déclaration est dénominalisée et transmise dans un rapport trimestriel et annuel envoyés au MSSS. Chaque déclaration est ensuite consignée dans un registre national (LSSS, article 278). De plus, et conformément aux pratiques organisationnelles requises (POR) d’Agrément Canada, la direction des soins infirmiers (DSI) et la direction de la qualité, de l’évaluation, de la performance et de l’éthique déclarent trimestriellement les incidents et accidents survenus dans l’établissement dans le rapport trimestriel de gestion des risques de l’établissement.
La création des comités de gestion des risques
C’est en 2002 que l’article 183.2 de la LSSSS a créé le comité de gestion des risques dont le mandat est de rechercher, développer et promouvoir des moyens d’assurer la sécurité des patients et de réduire l’incidence des effets indésirables liés à la prestation des services sociaux et de santé. La mission de ce comité est de recueillir de l’information sur la gestion des risques auprès des services cliniques de l’établissement de santé, d’analyser les causes et d’élaborer des stratégies pour limiter l’occurrence d’EI liés à la prestation des soins de santé et des services sociaux [10]. Un rapport d’analyse doit être fait pour les évènements de gravité élevée (F, G, H, I) ou pour tout autre évènement de gravité moindre mais ayant un potentiel de risque élevé ou dont la récurrence s’avère problématique (Tableau I).
Selon la loi 113, la composition de ce comité doit assurer « une représentativité équilibrée des employés de l’établissement, des usagers, des personnes qui exercent leur profession dans un centre exploité par l’établissement de même que, s’il y a lieu, des personnes qui, en vertu d’un contrat de services, dispensent pour le compte de l’établissement des services aux usagers de ce dernier. Le directeur général ou la personne qu’il désigne est membre d’office de ce comité ». Loi 113, p. 4.
Dans la composition du comité on retrouve donc un représentant du comité des usagers en complément du directeur général ou de la personne désignée par soit le directeur ou la directrice (adjointe) à la qualité ; le chef de service à la prévention et au contrôle des infections ; un·e pharmacien·ne, le directeur soit de la directrice adjointe de la DSI ; le directeur ou la directrice des services médicaux, le directeur ou la directrice des services multidisciplinaires (qui gèrent les professionnels non médicaux et non infirmiers) ; et d’autres représentants de services cliniques et services sociaux de l’établissement.
Le conseil d’administration
Le CA est chargé de superviser la mise en place des lois, règlements, mesures de soutien liées à la divulgation des EI auprès des patients et du MSSS. Il doit également prévoir des mesures préventives pour éviter que des AI potentiels ne se reproduisent.
Le projet de loi 83 et la création du rôle de commissaire aux plaintes et du comité de vigilance et de la qualité
Le commissaire aux plaintes
En complément à la loi 113, le projet de loi 83 (article 33 et 66) [14] a créé une nouvelle fonction dans les ESSS au Québec, soit le commissaire local à la gestion des plaintes dans les établissements de santé. Ce commissaire local aux plaintes relève directement du CA et a le pouvoir d’intervenir de sa propre initiative. Le commissaire local aux plaintes est chargé de faire des recommandations au CA à travers le suivi des plaintes portant sur la qualité et la sécurité des soins, l’efficacité des services rendus et le respect des droits des usagers.
L’usager insatisfait peut ainsi adresser une plainte à l’établissement. Cette plainte est traitée par le commissaire. Celui-ci enquête et fait des recommandations. S’il s’agit d’une plainte concernant un médecin, un dentiste ou un pharmacien, c’est le médecin examinateur de l’établissement qui la traitera. La conciliation est recherchée dans tous les cas.
Un mécanisme de deuxième recours permet au plaignant insatisfait des conclusions qui lui sont transmises de saisir le Protecteur des usagers ou des citoyens6 ou le comité de révision selon le cas. Le plaignant peut en tout temps se faire accompagner par le commissaire, par le comité des usagers7 ou par un organisme d’assistance et d’accompagnement aux plaintes. Un rapport d’activité est adressé au CA chaque année et celui-ci formule, au besoin, des objectifs à poursuivre. Enfin, le dossier de plaintes est régi par des règles de confidentialité.
Le comité de vigilance et de la qualité
La loi 83 a introduit aussi l’obligation pour le CA de créer un comité de vigilance et de la qualité par l’article 181.0.1 de la LSSSS. Ce comité s’inscrit « dans la logique d’une participation accrue des usagers au sein des administrateurs des établissements et d’un meilleur suivi des services à la population » [14].
Ce comité de vigilance et de la qualité a pour mandat de :
- s’assurer du suivi des recommandations du commissaire local aux plaintes et à la qualité des services (ou du Protecteur des usagers) ;
- coordonner l’ensemble des activités des autres instances mises en place au sein de l’établissement (ex. Superviser les mesures de soutien liées à la divulgation des EI aux patients) et
- assurer le suivi de leurs recommandations [14].
La loi limite la composition du comité à cinq personnes : « Le directeur général, dont la présence est essentielle étant donné son rôle au sein de l’établissement et auprès du conseil d’administration, le commissaire local aux plaintes et à la qualité des services est la seule personne du comité de vigilance et de la qualité qui ne soit pas membre du conseil d’administration, les trois autres membres du conseil d’administration ne doivent pas travailler pour l’établissement, ni exercer leur profession dans l’un de ses centres, ni être liés par contrat à l’établissement (familles d’accueil, ressources intermédiaires). L’un de ces trois membres doit obligatoirement être choisi parmi les deux représentants des usagers » [14].
Cependant, malgré la mise en œuvre des dispositions légales des lois 113 et 83 au Québec, la gestion des risques demeure un défi de taille, principalement en raison de l’absence d’un portrait général et des liens à tisser entre les différentes instances au sein des établissements de santé. Par exemple au Québec la gestion des infections acquises à l’hôpital est gérée à part d’autres comités. En fait, la gestion des risques est encore traitée en silos au Québec, sans tenir compte des liens et des interdépendances au sein du système de santé [15,16].
Le projet de loi 10 : une tentative qui tente de tenir compte des interdépendances au sein du système de santé
En 2014, le gouvernement du Québec a décidé de revoir totalement l’organisation du réseau de la santé notamment à travers la création de nouvelles structures. C’est ainsi que sont nés les centres intégrés de santé et de services sociaux (CISSS) et les centres intégrés universitaires de santé et de services sociaux (CIUSSS) issus de la fusion de centres hospitaliers, de centres de soins de longue durée (CHSLD), de centres locaux de santé communautaires (CLSC) et de centres en charge de problèmes sociaux comme les jeunes en difficulté, la réadaptation, etc. Le but déclaré était « de faciliter et [de] simplifier l’accès aux services pour la population, contribuer à l’amélioration de la qualité et de la sécurité des soins, de l’efficience et de l’efficacité du réseau intégré de la santé » [17,18]. La loi 10 fut aussi l’occasion de renforcer les dispositifs de gestion des risques au sein des établissements.
Cela s’est traduit tout d’abord par l’ajout d’un membre indépendant au CA d’un CI(U)SSS qui doit avoir des compétences en gestion des risques ce qui n’était pas le cas dans le passé mais aussi par un changement dans la composition du CA. La loi prévoit qu’il comporte :
- le président-directeur général de l’établissement ;
- une personne membre du conseil des médecins, dentistes et pharmaciens de l’établissement (autre qu’un médecin omnipraticien), choisie à partir d’une liste de noms fournie par ce conseil ;
- une personne membre du conseil des infirmières et infirmiers de l’établissement, choisie à partir d’une liste de noms fournie par le conseil ;
- une personne membre du conseil multidisciplinaire de l’établissement ;
- un médecin du territoire exerçant sa profession hors d’une installation maintenue par un établissement ;
- une personne membre du comité des usagers de l’établissement, choisie à partir d’une liste de noms fournie par ce comité (le nombre d’usagers au CA est réduit de deux à un, celui-ci nommé par le ministre, et non par le comité des usagers de l’établissement comme c’était fait dans le passé) ;
- lorsque l’établissement exploite un centre hospitalier désigné centre hospitalier universitaire, une personne nommée à partir d’une liste de noms fournie par les universités auxquelles est affilié l’établissement ;
- sept ou, lorsque l’établissement exploite un centre hospitalier désigné centre hospitalier universitaire, huit personnes indépendantes nommées conformément aux dispositions des articles 11 et 12 (selon des profils de compétences : gouvernance éthique, gestion des risques et de la qualité ; ressources humaines ; ressources immobilières et informationnelles ; vérification et performance ; jeunesse ; services sociaux).
De plus, la loi 10 a introduit la création d’une Direction de la qualité, de l’évaluation, de la performance et de l’éthique (DQEPE) ayant comme mandat, entre autres, de mettre en place une gestion intégrée des risques et le partenariat de soins et de services avec les patients. Les mandats confiés aux DQEPE sont de mettre en place, au sein du réseau de la santé et des services sociaux, des systèmes de gestion qui permettent à un établissement :
- d’atteindre ses objectifs en alignant ses actions sur ses objectifs organisationnels ;
- d’améliorer constamment son accessibilité et son efficacité ;
- d’assurer la qualité et la sécurité des soins et services offerts aux usagers [17,18].
Le MSSS a également donné aux DQEPE une marge de manœuvre suffisante pour établir des stratégies de gestion intégrée des risques, de mise en place d’équipes et de comités, ainsi que des mesures et outils d’évaluation de l’efficience et de transfert des connaissances [17,18]. C’est ainsi que plusieurs établissements de santé au Québec ont commencé à mettre en place (pour une meilleure gestion intégrée des risques) trois types de comités :
- des comités de prestation sécuritaire de soins et de services par groupes-clientèle ou selon les besoins et facteurs de risques. Leurs mandats sont de :
- collaborer au bon déroulement du programme d’audits (POR),
- faire les suivis d’indicateurs propres au continuum de soins et de services concernés,
- analyser et évaluer les processus des domaines de risques propres au continuum des soins et services concernés, et
- assurer la communication transversale avec les autres comités et veiller à l’intégration des différentes actions pertinentes afin d’assurer une meilleure gestion intégrée des risques ;
- des comités d’experts aviseurs des domaines de risques critiques ou émergents. Les rôles et mandats de ces comités sont davantage transversaux. Ceux-ci s’assurent du développement des meilleures pratiques en gestion des risques par la recension d’écrits scientifiques, le développement de programmes, d’outils, etc. Ils se composent d’un pharmacien et des conseillers cadres de la DSI et de la direction des services multidisciplinaires et de conseillers ;
- des comités de retour d’expérience qui consistent à identifier ce qui s’est passé à la suite d’un EI.
Cela dit, même après la réorganisation majeure issue du projet de loi 10 et les changements apportés au niveau de la qualité et la sécurité des soins et services, un plan d’action ciblé et obligatoire n’a pas encore été demandé par le MSSS pour réduire les erreurs médicales et les EI.
L’introduction de l’engagement des patients dans la gestion des risques pour la sécurité des patients
Le partenariat avec les patients est reconnu comme un élément clé pour développer des soins de santé de haute qualité [19,20,21]. L’engagement des patients (EP) peut contribuer à améliorer les résultats et réduire le fardeau des services de santé [22,23,24,25], allant ainsi d’un modèle paternaliste vers un modèle inclusif [26].
Le Québec a connu d’importantes réformes mettant davantage l’accent sur la qualité, la performance et la sécurité des patients ; chose qui a été exprimée publiquement. En effet, au sein du Plan stratégique national 2015-2020 et du Cadre de référence de l’approche de partenariat entre les usagers, leurs proches et les acteurs en santé et en services sociaux [27] l’engagement des citoyens et des patients y est mentionné comme l’un des principes de base pour de bons résultats de santé, la sécurité des patients et l’amélioration de la qualité [17,18]. Dès lors, la mission intégratrice de la qualité, de la gestion des risques et du partenariat avec les patients a été confiée aux DQEPE pour favoriser une synergie entre ces trois domaines dans le but d’améliorer une vision d’ensemble de la performance des organisations.
Ainsi, les services et les comités de gestion des risques souhaitent restructurer leurs instances afin d’inviter des patients dits ressources à s’asseoir, à participer et à concevoir les cheminements, pratiques, processus et politiques des services de santé.
Exemples de stratégies et de mécanismes de partenariat avec les patients dans la gestion des risques pour la sécurité des soins et services
Au Québec, depuis quelques années, cette nouvelle approche d’EP a mené à la mise en place de procédures de partenariat de soins et de services dans certains établissements de santé [28]. La manifestation de l’EP au sein des organisations peut varier sur un continuum allant de l’information à la co-construction, et peut se produire tant au niveau clinique qu’organisationnel [28]. Plus spécifiquement, depuis 2010, un nouveau modèle relationnel basé sur le partenariat entre les patients et les professionnels de la santé a été développé à la faculté de médecine de l’université de Montréal et dans le réseau de la santé et des services sociaux [28]. Ce modèle qui tend vers la co-construction avec les patients repose sur la reconnaissance des savoirs expérientiels acquis par les patients qui sont amenés à être en interaction avec le système de santé. Ces savoirs sont reconnus comme complémentaires aux savoirs scientifiques et expérientiels des professionnels de la santé.
Dans le domaine de la gestion des risques et de la sécurité des patients, les études portant sur l’EP au Québec sont encore relativement bourgeonnantes. En effet, une première étude portant sur les différentes stratégies mises en place pour engager les patients au sein des établissements de santé québécois, durant laquelle les gestionnaires de risque, les responsables du partenariat de soins et des patients ont été interrogés, indique qu’il reste encore beaucoup de travail à accomplir [29].
Toutefois, certaines initiatives porteuses ont quand même été notées, que ce soit en milieu pédiatrique au CHU Sainte-Justine8 et dans un centre de long séjour au CISSS de la Montérégie Est9. D’autre part, au Centre universitaire de santé McGill, plusieurs comités comprenant des patients ressources [30] ont vu le jour dans chacun des programmes afin d’améliorer la qualité et la sécurité des soins dans l’ensemble de l’établissement [30]. Ces comités sont complémentaires au comité des usagers (qui défend les droits et intérêts des usagers et évalue la satisfaction des usagers) et au comité de gestion des risques.
Au niveau canadien, l’Institut canadien pour la sécurité des patients, a publié un guide pour aider les patients/familles et les fournisseurs/organisations à travailler ensemble de manière efficace pour accélérer la sécurité des patients et améliorer la qualité des soins et services [31]. Ce guide s’appuie sur des données probantes et des pratiques exemplaires à tous les niveaux du système de santé [32]. En collaboration avec l’ICSP, Agrément Canada (l’entité d’accréditation du Canada) a déclaré dans son plan stratégique 2013-2018 que son principal objectif en matière de sécurité des patients est d’encourager l’EP afin de « faire preuve de leadership dans l’établissement d’une stratégie nationale intégrée pour la sécurité des patients en vue de soutenir le changement transformationnel des politiques de santé, de renforcer et d’influencer la capacité (connaissances et compétences) des organismes et systèmes à assurer la sécurité des patients, de mobiliser tous les publics dans le réseau de santé pour la sécurité nationale » [33].
Par la suite, le 1er janvier 2016, Agrément Canada a mis à jour ses normes en mettant clairement l’accent sur l’engagement des patients et de la famille. En vertu de ces normes révisées, une attention accrue est accordée à l’engagement, au partenariat et à la collaboration, ce qui signifie que les équipes d’amélioration de la qualité et de la sécurité des soins sont dorénavant considérées incomplètes sans les usagers et leurs familles. Agrément Canada s’est donc engagé à appuyer les organismes et les systèmes de santé afin d’améliorer l’EP et de jouer un rôle important dans l’amélioration de la sécurité des patients [33].
Conclusion
Malgré un certain nombre de réformes dans le domaine de la gestion des risques, les décideurs au Canada et au Québec ont encore du chemin à parcourir pour réduire les erreurs médicales à grande échelle, encore récemment l’ICIS publiait un rapport montrant que le Canada est en retard en ce qui a trait à la sécurité des patients par rapport aux autres pays de l’OCDE « Un total de 553 objets tels que des instruments chirurgicaux ont été oubliés dans le corps de patients au Canada lors des deux dernières années » [1].
En réponse et en concordance aux recommandations issues des rapports du groupe de vigilance pour la sécurité des soins [34], le système de santé québécois pourrait optimiser ces outils en matière de gestion des risques selon les recommandations suivantes :
- Assurer l’évolution du formulaire de déclaration des incidents et accidents (AH-223) et du système d’information sur la sécurité des soins et des services (SISSS). Afin de bénéficier d’une vision globale des activités au sein des ESSS, une cohérence intégrée entre les systèmes de gestion clinico-administratifs et cliniques doit avoir lieu.
- Procéder à la bonification des documents existants portant sur les responsabilités et les fonctions des comités de gestion des risques et des comités de vigilance de la qualité et faire des liens avec le comité de lutte contre les infections nosocomiales.
- Dresser le portrait actuel de l’organe administratif de la gestion des risques au sein des établissements afin de préciser et de rehausser le profil de compétence du gestionnaire de risque et suggérer plus de travail de collaboration avec les responsables du partenariat de soins et de services. Il reste encore beaucoup de travail à réaliser afin de clarifier et spécifier les compétences requises en gestion des risques au sein des ESSS, et ce, à tous les niveaux de prestation de soins et services, particulièrement au sein des comités de gestion des risques et du CA.
- Sensibiliser les instances d’enseignement et les ESSS à l’importance d’engager les patients dans la sécurité de leurs soins. Présentement, il y a un manque de connaissances sur les facteurs, les mécanismes et les stratégies de mise en œuvre de l’EP dans la sécurité des patients et la gestion des risques à tous les niveaux du système de santé. Il devient donc impératif d’effectuer davantage de recherches dans ce domaine pour améliorer la sécurité des patients en matière de gestion des risques, non seulement dans le cadre de certains services, mais dans l’ensemble de l’établissement de santé. Plus récemment, cependant, des données probantes ont été produites sur la façon de mettre en œuvre l’EP dans la sécurité des patients (SP) en faisant participer les patients à leur propre prise en charge, ainsi qu’à la conception, l’évaluation ou la recherche des services de santé [35,36]. De plus, au Québec, une étude descriptive sur l’EP pour la SP est en cours afin de comprendre les différentes stratégies d’EP dans la gestion des risques et comment améliorer l’intégration de l’EP dans la gestion des risques pour la SP[29]. Aussi, en France, le questionnaire de l’étude menée au Québec a été adapté au contexte français pour réaliser une évaluation similaire10.
- Prioriser la création d’un guide ou d’un portail ministériel pour partager les facteurs de succès de l’intégration des services et de la réduction des erreurs médicales afin de mieux comprendre les interdépendances entre les différentes instances impliquées.
En plus des recommandations mentionnées ci-dessus, la gestion des risques devrait évoluer davantage vers leur prévention et non simplement leur réduction. Par ailleurs, en plus de la prévention, des efforts doivent être fournis afin d’encourager une culture juste et sans blâme. Bien que plusieurs établissements de soins et services de santé au Québec y travaillent, pour progresser davantage dans cette direction, les établissements pourraient considérer l’installation d’espaces d’innovation au sein desquels des discussions à propos de projets, et de leçons apprises en lien avec des IA, sont permises avec, à la clé, des projets co-construits avec des patients partenaires. Au Québec, « les salles de pilotage » au sein des établissements de santé, qui sont des instances dans lesquelles les gestionnaires et professionnels de la santé ainsi que des patients et usagers (parfois) partagent leurs idées, sont une bonne voie pour favoriser une planification plus intégrée aux niveaux opérationnels, tactiques et stratégiques.
Note :
1- Divulgation : action de porter à la connaissance d’un client ou de ses proches les informations concernant un accident survenu alors qu’il recevait des services et à l’origine des conséquences sur son état de santé ou sur son bien-être.
2- Déclaration : action de porter à la connaissance de l’organisation, au moyen d’un formulaire prévu à cet effet, tout incident et tout accident dans le cadre d’une prestation de soins ou de services, qu’un employé, un professionnel (médecin-dentiste), un stagiaire ou une personne liée par contrat et qui donne des services aux clients a constaté, dans le but de mettre en place des mesures de prévention afin d’éviter la récurrence d’un tel incident ou accident. (LSSSS, L.R.Q., chap. S-4.2, art.2).
3- Mesures de soutien : conformément à l’article 235.1 de la LSSSS, des mesures de soutien doivent être mises à la disposition de la personne victime d’un accident survenu et ayant entraîné des conséquences pour celle-ci.
4- Mesures de prévention : l’établissement doit prendre les mesures visant à prévenir la récurrence d’un accident. La directrice générale peut désigner une personne pour identifier les mesures appropriées. Celle-ci procède à la consultation nécessaire et propose des mesures au comité de gestion des risques et de la qualité.
5- Ainsi que le formulaire AH-520 pour les incidents ou accidents transfusionnels.
6- Selon le contexte, la personne désignée Protecteur du citoyen, un vice-protecteur ou tout membre du personnel à qui le Protecteur du citoyen a délégué l’exercice de certains de ses pouvoirs pour recevoir et examiner les plaintes des usagers ou pour procéder à une intervention de sa propre initiative. https://protecteurducitoyen.qc.ca/sites/default/files/pdf/2011-01-25_procedure_examen_plaintes.pdf.
7- Le comité des usagers représente les usagers de l’établissement. Il renseigne les usagers sur leurs droits et responsabilités, ainsi que promeut l’amélioration de la qualité et des conditions de vie des usagers. Le comité des usagers est composé de membres bénévoles ne travaillant pas pour l’établissement. Ces membres sont élus par tous les usagers. Un représentant par et parmi les membres du comité des usagers est désigné pour siéger au CA de l’établissement.
8- Voir dans ce numéro l'article de Cousineau et al, pp 233-237.
9- Voir dans ce numéro l'article de Dion-Labrie et al – pp. 250-258.
10- Voir dans ce numéro l'article de Malloggi et al – pp. 245-249.