Incidents et accidents médicamenteux en établissement de santé : analyse descriptive des événements déclarés d’un CHU mère-enfant de 2011 à 2018

Incidents and accidents related to medication in a healthcare facility: descriptive analysis of reported events in a mother-and-child university hospital center from 2011 to 2018

amélie chabrier

amélie chabrier

Assistante de recherche – Unité de recherche en pratique pharmaceutique – Département de pharmacie – CHU Sainte-Justine – Montréal – Québec – Canada
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Conseillère cadre – Direction qualité performance – CHU Sainte-Justine – Montréal – Québec – Canada
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Agente administrative et pilote SISSS – Direction qualité performance – CHU Sainte-Justine – Montréal – Québec – Canada
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Adjoint aux soins, à l’enseignement et à la recherche – Unité de recherche en pratique pharmaceutique – Département de pharmacie – CHU Sainte-Justine – Montréal – Québec – Canada
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jean-françois bussières

jean-françois bussières

Chef du département – Unité de recherche en pratique pharmaceutique – Département de pharmacie – CHU Sainte-Justine – 3175, chemin de la Côte Sainte-Catherine – Montréal – H3T1C5 – Québec – Canada
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Incidents et accidents médicamenteux en établissement de santé : analyse descriptive des événements déclarés d’un CHU mère-enfant de 2011 à 2018

Figures RQ_XVI_4_Bussieres.pdf

Résumé

Objectif. Décrire les incidents et les accidents (IA) déclarés liés à la médication dans un centre hospitalier universitaire (CHU). Matériel et méthode. Il s’agit d’une étude descriptive rétrospective. L’étude porte sur un CHU mère-enfant de 500 lits. Toutes les déclarations d’incidents et d’accidents médicamenteux (IAM) ont été extraites du registre local de l’établissement du 1er avril 2011 au 31 mars 2018. Pour chaque IAM, les données suivantes ont été extraites : numéro de l’évènement, date, type d’évènement (médication et traitement), l’étape du circuit du médicament, la circonstance (n=18 énoncés), la gravité selon l’échelle du NCC MERP et la description de l’évènement. Résultats. Du 1er avril 2011 au 31 mars 2018 (2 763 jours), un total de 41 349 IA a été déclaré au CHU Sainte-Justine par les professionnels de la santé soit 31% (12 881/41 349) du type « médication » (IAM), 50% (20 552/41 349) du type « traitement » (IAT) et 19% d’IA de type « autre » (7 916/41 349). En moyenne, il survient 7,4 IAT par jour pour la période d’étude. La majorité (>94%) des IAM déclarés est liée à l’administration des médicaments. Les cinq médicaments les plus impliqués sont l’acétaminophène, la morphine, l’héparine, l’ondansétron et l’insuline. Discussion et conclusion. Cette étude descriptive rétrospective présente les IA déclarés liés à la médication dans un CHU de 500 lits. Les pharmaciens doivent revoir l’ensemble des IAM afin d’assurer une gestion des risques optimale du circuit du médicament.

Mots clés: Gestion du risque - Incident

Abstract

Objective. To describe incidents and accidents declared related to medication in a university hospital center. Material and Methods. This is a retrospective descriptive study. The study focuses on a mother-and-child university hospital with 500 beds. All incident and accidents declared related to medication (IAM) were retrieved from the hospital’s local registry from April 1st, 2011 to March 31st, 2018. For each IAM, the following variables were extracted: event number, date, type of event (medication and treatment), the drug circuit step, the circumstance (n=18 statements), the NCC MERP scale for severity and the description of the event. Results. From April 1st, 2011 to March 31st, 2018 (2,763 days), a total of 41,349 accidents and incidents were reported at CHU Sainte-Justine by health professionals, i.e. 31% (12,881/41,349) of the “medication” type (IAM) and 50% (20,552/41,349) of the “treatment” type (IAT) and 19% of the “other“ type (7,916/41,349). On average, there are 7.4 IAT per day for the study period. The majority (>94%) of reported IAM are drug-related. The five most involved medications were acetaminophen, morphine, heparin, ondansetron and insulin. Discussion and conclusion. This retrospective descriptive study presents the incidents and accidents declared related to the medication in a 500-bed university hospital center. Pharmacists must review all IAM to ensure optimal risk management of the drug system.

Keywords: Risk management - Incident

Article

Les erreurs médicales, notamment les erreurs médicamenteuses, font l’objet de publications depuis plusieurs décennies. Les premières recensées sur PubMed remontent aux années soixante [1,2].

En 2000, l’Institute of Medicine (IOM) publiait le rapport To err is human : building a safer health system mettant l’accent sur la survenue d’erreurs médicales dans le domaine hospitalier, estimant le nombre annuel de décès associés à ces erreurs aux États-Unis à 98 000 [3]. Plus de 24 000 décès étaient estimés au Canada en 2004 [4]. Ce rapport a mobilisé les systèmes de santé pour identifier, prévenir et prendre en charge les erreurs médicales. Bien que ces chiffres aient été revus à la baisse par certains auteurs, la prévention des erreurs médicales et médicamenteuses est essentielle pour assurer des soins de santé sécuritaires [5].

Le National Coordinating Council for Medication Error Reporting and Prevention (NCC MERP) définit une erreur médicamenteuse comme étant « tout événement évitable pouvant causer ou entraîner une utilisation inappropriée de médicaments ou un préjudice pour le patient pendant que le médicament est sous le contrôle du professionnel de la santé, du patient ou du consommateur. Ces événements peuvent être liés à la pratique professionnelle, aux produits, procédures et systèmes de soins de santé, dont la prescription, la communication des commandes, l’étiquetage, l’emballage et la nomenclature, la composition, la distribution, l’administration, la formation, la surveillance et l’utilisation » [6].

En 2017, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) publiait une initiative mondiale « visant à réduire de 50% les effets graves évitables des erreurs de médication dans tous les pays au cours des cinq prochaines années » [7]. Pour l’OMS, il s’agit du troisième défi mondial pour la sécurité des patients [8]. On peut lire qu’avec ce défi « les ministères de la santé sont invités à instaurer des plans nationaux s’articulant autour de quatre axes de la sécurité médicamenteuse : l’engagement des patients et du grand public ; les médicaments en tant que produits ; l’éducation, la formation et le suivi des professionnels de la santé ; et la gestion des systèmes et des pratiques de médication. Ce défi engage également l’OMS à faire usage de ses pouvoirs de rassemblement et de coordination pour développer une série de mesures mondiales relatives à la sécurité des médicaments » [2].

Au Québec, les erreurs incluent les incidents (i.e. l’événement survient mais l’erreur est interceptée avant sa survenue au patient) et les accidents (i.e. l’événement survient et implique directement le patient). En 2002, le Québec est devenu la première province canadienne à exiger, via une législation, que les personnes travaillant en établissement de santé déclarent tous les incidents et accidents survenus lors de la prestation de soins et de services. Ces déclarations volontaires sont réalisées sur un formulaire spécifique (AH-223) puis retranscrites dans le registre local informatisé par la cellule qualité de l’établissement [9]. Au 1er avril 2011, le ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec (MSSS) allait plus loin, en mettant en place un registre national des incidents et accidents (IA). Tous les établissements de santé du Québec devaient transmettre les données recueillies au niveau central. Ainsi, un rapport du profil des incidents et accidents de tous les établissements de santé du Québec est disponible en ligne depuis plusieurs années [10].

Afin d’apprécier la nature et l’évolution des incidents et accidents médicamenteux (IAM) au sein de notre établissement de santé, nous avons publié une première analyse en 2011 [11]. Nous nous sommes intéressés à nouveau aux IA déclarés liés à la médication au sein d’un centre hospitalier universitaire (CHU) québécois pour les années suivantes.

L’objectif principal de cette étude est de décrire les IA déclarés liés à la médication dans un CHU.

Matériel et méthodes

Type d’étude

Il s’agit d’une étude descriptive rétrospective.

Population cible

L’étude porte sur un CHU mère-enfant de 500 lits.

Organisation de la déclaration des IA au Québec et organisation interne

Le Québec profite d’un recul intéressant en matière de déclaration et de divulgation des IA. En effet, depuis 2002, la Loi sur les services de santé et les services sociaux propose un encadrement de la gestion des risques, incluant la formation d’un comité de gestion des risques (art. 183.1), l’identification et l’analyse des risques d’IA et la mise en place d’un système de surveillance (art. 183.2), la mise en place d’un système dans lequel remplir un formulaire de déclaration ne compromet pas le déclarant et n’équivaut pas à porter accusation (art. 183.3) et la confidentialité des données recueillies en dépit des mécanismes d’accès à l’information (art. 183.4) [15]. C’est dans cet esprit que le CHU Sainte-Justine a formé un comité de gouvernance et de gestion des risques et qu’il assure la gestion d’un registre local des IA. Le pharmacien gestionnaire de risque représentant le département de pharmacie siège également en tant qu’invité sur ce comité qui assure une vision transversale de la gestion des risques. À partir des IA déclarés dans le logiciel, le pharmacien gestionnaire de risque revoit les principaux IA, effectue des rétroactions aux personnes concernées lorsqu’applicable, discute de certains cas en réunion départementale, propose des changements de pratique et diffuse les changements à l’équipe.

Variables à l’étude

Toutes les déclarations d’IAM complétées ont été extraites du registre local de l’établissement du 1er avril 2011 au 31 mars 2018. Du 1er avril 2011 au 31 mars 2016, les IA étaient saisis dans Gesrisk® (Optimum Conseil, Sainte-Clotilde-de-Châteauguay, Québec, Canada) et ceux du 1er avril 2016 au 31 mars 2018, étaient saisis dans l’application web SISSS® (MSSS, Québec, Canada). Chaque IAM est codifié selon le guide d’utilisation du rapport de déclaration d’incident ou d’accident – AH-223-1 [13]. La gravité des IAM est codifiée selon la classification du NCC MERP) [14]. Le changement de logiciel n’affecte pas les données recueillies et est rapporté à des fins de reproductibilité uniquement.

Extraction et traitement des données

Les données ont été extraites et analysées dans un tableur (Excel®, Microsoft, Seattle, WA, ÉUA). Pour chaque IA, les données suivantes ont été extraites : nombre total par exercice financier. Pour chaque IAM, les données suivantes ont été extraites : numéro de l’évènement, date, type d’évènement (médication et traitement), l’étape du circuit du médicament (i.e. approvisionnement, émission de l’ordonnance, traitement de l’ordonnance, gestion de la médication à l’unité de soins/service/ressource d’hébergement), la circonstance (n=35 énoncés de 2011 à 2014 ; 18 énoncés à partir du 1er avril 2014), la gravité. Indépendamment de l’évolution de l’outil de saisie, des changements ont été apportés par le législateur sur la nomenclature des variables utilisées pour déclarer un IA. Ainsi, deux bases de données ont été utilisées (2011-2014 et 2014-2018) pour la période d’étude et les variables similaires ont été appariées pour l’analyse (Tableau I).

À partir des données recueillies, les IAM et les IAT (IA de la catégorie « traitement », disponibles dans la base de données depuis 2014) ont été extraits ; certains de ces IA sont liés à la médication mais codés sous la catégorie traitement (i.e. principalement des événements liés à l’utilisation de solutés).

La complexité de la BDPP (base de données sur les produits pharmaceutiques) ne permet pas d’utiliser un lexique pré-codé des noms de médicaments. La saisie des déclarations en texte libre, contribue à la présence de fautes d’orthographe et à une non-harmonisation des appellations. Afin de commenter la nature des médicaments impliqués, chaque IAM a été recodé en précisant le nom du médicament impliqué selon sa dénomination commune internationale à partir de la liste des médicaments utilisés au CHU Sainte-Justine. La re-codification a été faite manuellement.

Analyse

Les principales dates associées à l’évolution de la gestion des IA au Québec ont été identifiées. Par la suite, le nombre total d’IA par année financière a été calculé ainsi que la proportion d’IAM et d’IAT sur l’ensemble des IA par année.

Afin de tenir compte des volumes d’activité de l’établissement, le nombre d’IAM et d’IAT par 100 admissions, par 1 000 jours-présence et par 1 000 doses dispensées par la pharmacie, a été calculé par année et pour la période d’étude.

Les proportions d’IAM par circonstance et selon l’indice de gravité ont été calculées. En tenant compte du nombre de doses dispensées par la pharmacie pour la période d’étude, nous avons calculé le ratio du nombre d’IAM/1 000 doses dispensées.

Seules des statistiques descriptives ont été effectuées.

Résultats

La Figure 1 présente un profil des principales dates de l’évolution de la gestion des incidents et accidents au Québec.

Du 1er avril 2011 au 31 mars 2018 (2 763 jours), 41 349 IA ont été déclarés au CHU Sainte-Justine par le personnel de l’établissement dont 31% (12 881/41 349) d’IAM, 50% (20 552/41 349) d’IAT et 19% d’IA autres (7 916/41 349).

La proportion d’IAM varie de 37% en 2011-2012, à 37% en 2012-2013, à 38% en 2013-2014, à 24% en 2014-2015, à 27% en 2015-2016, à 27% en 2016-2017 et à 28% en 2017-2018. En moyenne, il survient 4,7 IAM par jour pour la période d’étude.

La proportion d’IAT varie de 54% en 2011-2012, à 51% en 2012-2013, à 53% en 2013-2014, à 57% en 2014-2015, à 49% en 2015-2016, à 49% en 2016-2017 et à 58% en 2017-2018. En moyenne, il survient 7,4 IAT par jour pour la période d’étude.

Le Tableau II présente un profil du nombre d’IAM et d’IAMT par admission, jour-présence et dose dispensée de 2011 à 2018 et les valeurs moyennes annuelles des ratios de l’étude précédente menée de 2004 à 2011 [11].

Le Tableau III présente un profil des circonstances associées à la survenue des IAM en ordre décroissant d’occurrence de 2011 à 2018. La catégorie « Autre » regroupe les éléments en lien avec la médication mais non classables dans les propositions du menu déroulant (ex. concentration de médicament erronée, incompatibilité, médicament cessé ou non prescrit ou encore lié au profil médicamenteux). La majorité (>94%) des IAM déclarés est liée à l’administration des médicaments.

Le Tableau IV présente un profil de l’indice de gravité et descriptions des IAM en ordre décroissant d’occurrence de 2011 à 2018. La majorité des IAM sont de gravité « C » c’est-à-dire qu’il s’agit d’événements qui ont touché l’usager, sans lui causer de conséquence. En revanche deux événements sont de gravité « I » liés à l’utilisation de potassium par voie injectable.

Le Tableau V présente un profil du ratio du nombre d’IAM par 1 000 doses dispensées pour les 20 principaux médicaments impliqués dans les IAM en ordre décroissant de nombre d’IAM de 2011 à 2018. Les cinq médicaments les plus impliqués sont l’acétaminophène, la morphine, l’héparine, l’ondansétron et l’insuline.

Discussion

Cette étude descriptive rétrospective présente des données originales entourant les IAM et les IAT de 2011 à 2018, faisant suite à une première étude menée de 2004 à 2011.

En ce qui concerne les IAM, on note une diminution des ratios à partir de 2014-2015 (ex. 20,25 IAM par 1 000 jours-présence en 2012-2013 versus 15,16 IAM par 1 000 jours-présence en 2017-2018). Au 1er avril 2014, des changements ont été apportés à la gestion des risques. Le formulaire national de déclaration AH-223 a été revu et bonifié à l’échelle du Québec, passant d’une page à compléter avec deux pages pour le guide utilisateur à deux pages à compléter avec quatre pages pour le guide de l’utilisateur [9]. On pourrait être tenté de postuler que cette complexification du formulaire a pu contribuer à une baisse de la déclaration par le personnel, mais cela n’est pas juste. En effet, une analyse plus poussée des données met en évidence une autre hypothèse. Des modifications ont été apportées aux règles de codification des IA et au logiciel utilisé pour leur saisie, formalisant davantage les champs avec des menus déroulant. En outre, certains IA liés à médication (ex. événements liés aux solutés) sont désormais codifiés dans « traitement » plutôt que dans « médication » depuis le 1er avril 2014. À la lumière de ces éléments, nous avons également calculé les ratios d’IAT par admission, jours-présence et doses dispensées. Ceux-ci demeurent plus stables de 2011-2012 à 2017-2018 et comparables aux ratios antérieurs, confirmant la non-réduction des IA liés à la médication. Il est raisonnable de penser que les autres établissements de santé québécois ont appliqué les mêmes règles, de sorte que certains IA associés à la médication se retrouvent désormais sous le type « traitement ».

En ce qui concerne les circonstances de survenue des IAM, ils sont majoritairement liés à l’administration des médicaments. Ceci n’est pas étonnant compte tenu de la complexité du circuit du médicament, du grand nombre de professionnels en soins infirmiers, de règles et consignes à respecter ainsi que du grand nombre de doses à administrer. Deux circonstances dominent le palmarès, soit l’omission administrative d’une dose (22%) et la mauvaise posologie (21%). L’omission peut s’expliquer par la présence de doses de médicaments prescrites au besoin sans que la condition clinique du patient ne soit réévaluée, l’omission de saisie sur la feuille d’administration des médicaments d’une ordonnance, le fait que le patient soit absent du service pour un examen ou une analyse au moment d’administrer la dose, la surcharge de travail et le manque de planification des doses à administrer. La mauvaise posologie peut s’expliquer notamment par le mauvais débit d’un soluté, l’arrêt non désiré d’une perfusion de médicament suite à un problème technique… La déclaration des IAM ne vise pas à identifier un secteur ou un individu responsable de la survenue de l’événement mais les causes de survenue de l’évènement ; il est toutefois possible de regrouper les IAM par étapes du circuit du médicament. Notre étude montre que la majorité des IAM est générée dans les services et une minorité à la pharmacie. Les incidents survenant à la pharmacie sont interceptés par les pharmaciens lors de la validation finale. Aucun formulaire AH-223 n’est complété dans ces cas. De plus, il est plus facile de prévenir les IAM à la pharmacie que dans les services en raison du nombre plus limité d’intervenants, de la redondance systématique des processus (i.e. double vérification de la plupart des étapes du circuit) et des outils utilisés (systèmes informatiques, aides à la décision, code-barres). Bien qu’un nombre limité d’IAM soit généré à la pharmacie, il est essentiel que l’équipe pharmacie ait une vue globale de tous les IAM afin d’assurer un circuit du médicament sécuritaire. Au CHU Sainte-Justine, le lecteur de code-barres n’est pas encore utilisé pour administrer les doses de médicaments.

En ce qui concerne l’indice de gravité des IAM recensés, la majorité des IAM ne comporte pas de conséquence pour le patient (i.e. gravité A, B, C=85%). D’autres IAM ont nécessité une surveillance accrue sans conséquence (i.e. gravité D=9%). En vertu du cadre juridique, la divulgation au patient d’un IAM déclaré est exigée pour les IAM de gravité E1 à I (i.e. 654 IAM/12 880, 5%). En 2011, le MSSS a choisi de nommer les IA de gravité C comme étant désormais des accidents plutôt que des incidents [16]. Ce changement n’a pas d’effet sur l’analyse de nos données. Le comité de gestion de risque doit cibler ses efforts sur les IAM comportant davantage de conséquences (i.e. particulièrement les IAM de gravité G, H et I). Dans notre étude, seuls deux IAM ont une conséquence de type I, soit deux décès liés à l’administration accidentelle de potassium [17].

En ce qui concerne la médication, notre étude met en évidence les vingt médicaments les plus impliqués dans les IAM. Il est intéressant de noter que certains médicaments ont un ratio d’IAM par 1 000 doses dispensées très élevé en dépit de leur utilisation (ex. l’insuline affiche un nombre de 15,45 IAM/1 000 doses dispensées contre 1,45 pour l’hydromorphone). Il est utile de considérer non seulement le nombre d’IAM mais également le ratio par dose dispensée pour identifier les médicaments plus à risque et les actions préventives. De plus, six des médicaments identifiés lors de notre analyse font également partie de la liste des médicaments à haut risque [18]. En partageant ce type de données au personnel soignant, on peut accroître la vigilance afin de réduire les risques associés à ces médicaments.

Il existe de plus en plus de médicaments disponibles sur le marché canadien. Ceci représente une opportunité pour les patients mais également une augmentation des risques associés à la prescription, à la validation, à la préparation, à l’administration et au suivi des patients. Chaque dose de médicament représente un risque d’incident ou d’accident et l’augmentation du nombre de doses prescrites et administrées accroît ce risque. Il est essentiel que les cliniciens soient conscients du niveau de risque applicable au circuit du médicament. En partageant les données liées aux IAM aux cliniciens, on peut favoriser des échanges constructifs afin d’identifier des pistes d’amélioration et de réduction des risques. Les données recueillies au CHU Sainte-Justine sont périodiquement discutées (ex. au comité de pharmacologie, au comité pharmacie-soins infirmiers, dans les équipes de gestion de risques, lors d’événements sentinelles) afin d’améliorer les pratiques. La déclaration des IA, bien qu’obligatoire, doit être davantage encouragée. Elle n’a pas pour but de compromettre le déclarant et elle n’équivaut pas à porter accusation. Ces données doivent être gérées par l’établissement pour que le système demeure utile et pérenne. En les présentant périodiquement, nous pensons accroître la préoccupation de tous les intervenants à pérenniser un circuit du médicament sécuritaire. Au Québec, le chef du département de pharmacie est responsable de ce circuit, en collaboration avec les autres intervenants. Les données d’IA constituent un élément parmi d’autres pour assurer un monitorage constant du circuit et du niveau de risque.

Il n’existe pas de données similaires de CHU mère-enfant publiées dans la littérature permettant de nous comparer. Peu de pays ont un registre public des IA et très peu d’établissements s’engagent dans la publication et l’analyse de ces données dans la littérature scientifique. En outre, de telles comparaisons représentent un autre projet en soi, sachant la nécessité de comparer les définitions, les critères de déclaration, les outils utilisés, les modalités de déclaration, etc. En ce qui concerne le registre national publié au Québec, les données publiées ne permettent pas de calculer des ratios par admission, par jour-présence ou par dose dispensée. Sans le dénominateur, la comparaison des nombres absolus est peu utile.

Il existe peu de données sur les retombées d’un registre national sur la survenue des IAM. Chen et al. ont notamment évalué les retombées d’un registre à l’échelle de la pharmacie, le nombre d’IAM diminuant de 27% entre 2014 et 2015 [19]. Il est toutefois difficile de dire si la réduction des IAM est liée à l’intervention ou à une réduction de la déclaration. Dans notre étude, on note une stabilité des déclarations. La tenue du registre et l’analyse des IAM permettent avant tout de prendre conscience des risques, d’informer le personnel et d’identifier des actions correctrices au fil du temps. D’autres travaux pourraient permettre d’illustrer la variété des interventions réalisées au fil du temps (ex. changement de fournisseurs de médicaments compte tenu de l’étiquetage, changement de localisation de produits pour éviter des erreurs de pige, changement dans les systèmes d’information).

En outre, l’analyse prospective des déclarations d’IAM est chronophage et pas toujours utile. Zhou et al. ont proposé un processus amélioré afin de tirer pleinement profit de l’ensemble des déclarations [20]. Dans notre équipe, les IAM d’indice de gravité élevé (>F) sont revus systématiquement ; tous les IAM générés à la pharmacie sont également revus par le pharmacien désigné. De plus, une sélection des autres IAM est explorée afin d’identifier des problèmes précis qui pourraient profiter de changements de pratique.

Cette étude comporte des limites. Les données présentées ne portent que sur un établissement. Le profil des IA et IAM est propre à un établissement de santé et il peut être difficile de comparer les établissements si les règles entourant la codification et la déclaration ne sont pas appliquées uniformément au sein d’un groupe d’établissement de santé. De plus, peu d’établissements partagent ces données détaillées dans le cadre de publications scientifiques, ce qui limite, à ce jour, notre capacité de comparer et de commenter davantage. Au Québec, le MSSS publie chaque année un rapport du registre national des IA à travers le réseau de la santé. Il faut interpréter avec prudence l’évolution des données compte tenu des changements apportés aux formulaires, aux règles de saisie et aux logiciels. Toutefois, une comparaison transversale pour une année donnée peut être un exercice utile pour alimenter les discussions d’un comité de gestion des risques.

Conclusion

Cette étude descriptive rétrospective présente les incidents et les accidents déclarés liés à la médication (IAM) dans un centre hospitalier universitaire de 500 lits. Du 1er avril 2011 au 31 mars 2018 (2 763 jours), un total de 41 349 IA a été déclaré au CHU Sainte-Justine par les professionnels de l’établissement soit 31% (12 881/41 349) du type « médication » (IAM), 50% (20 552/41 349) du type « traitement » (IAT) et 19% d’IA autres (7 916/41 349). La majorité (>94%) des IAM déclarés est liée à l’administration des médicaments. Les cinq médicaments les plus impliqués sont l’acétaminophène, la morphine, l’héparine, l’ondansétron et l’insuline. Les pharmaciens doivent revoir l’ensemble des IAM afin d’assurer une gestion des risques optimale du circuit du médicament afin que les IAM ne se reproduisent pas et de limiter la survenue de nouveaux IAM potentiellement évitables.

Informations de l'auteur

Historique : Reçu 17 avril 2019 – Accepté 6 octobre 2019 – Publié 26 décembre 2019.
Remerciements : Suzanne Atkinson, chef-adjointe aux services pharmaceutiques au Département de pharmacie et Geneviève Parisien, directrice qualité performance – CHU Sainte-Justine, Montréal, Québec, Canada.
Financement : aucun déclaré.
Conflit potentiel d’intérêts : aucun déclaré.

Références

*1- Safren MA, Chapanis A. A critical incident study of hospital medication errors. Hospitals 1960;34(1):32-34.

*2- Bowles GC Jr. Pharmacist plays many roles in preventing medication errors. Mod Hosp 1965;105-126.

*3- Institute of Medicine (US) Committee on Quality of Health Care in America. To err is human: building a safer health system. Washington (DC): National Academies Press (US); 2000.

*4- CBC News. Medical errors killing up to 24,000 Canadians a year [internet]. 10 juin 2004. Accessible à : https://www.cbc.ca/news/technology/medical-errors-killing-up-to-24-000-canadians-a-year-1.514758 (Consulté le 2-12-2019).

*5- The New York Times. Death by medical error : adding context to scary headlines [internet]. 16 août 2016. Accessible à : https://www.nytimes.com/2016/08/16/upshot/death-by-medical-error-adding-context-to-some-scary-numbers.html (Consulté le 2-12-2019).

*6- World Health Organization. Medication errors. Technical series on safer primary care [internet]. Accessible à : https://apps.who.int/iris/bitstream/handle/10665/252274/9789241511643-eng.pdf (Consulté le 2-12-2019).

*7- Organisation mondiale de la santé. Initiative mondiale – Réduction des erreurs de médication. 29 mars 2017. Accessible à : https://www.who.int/fr/news-room/detail/29-03-2017-who-launches-global-effort-to-halve-medication-related-errors-in-5-years (Consulté le 2-12-2019).

*8- Organisation mondiale de la santé. Troisième défi mondial pour la sécurité des patients. 8 août 2017. Accessible à : https://www.who.int/bulletin/volumes/95/8/17-198002/fr/ (Consulté le 2-12-2019).

*9- Ministère de la Santé et des Services sociaux – Québec. Formulaire AH-223 [internet]. Accessible à : http://msssa4.msss.gouv.qc.ca/intra/formres.nsf/9d7020958f686e8a85256e4500715a8f/d11170ca3d62f0be85257ca2005faf94?OpenDocument (Consulté le 2-12-2019).

*10- Ministère de la Santé et des Services sociaux – Québec. Registre national des incidents et accidents survenus lors de la prestation de soins de santé et de services sociaux au Québec [internet]. Accessible à : http://publications.msss.gouv.qc.ca/msss/recherche/?txt=Registre+national+des+incidents+et+accidents&rechercher=Lancer+la+recherche&msss_valpub= (Consulté le 2-12-2019).

*11- Rochais E, Lebel D, Atkinson S, et al. Perspective sur les accidents et incidents médicamenteux en centre hospitalier universitaire. Risques & Qualité en milieu de soins 2011;VIII(4):243-252.

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Citation

Chabrier A, Dagorn A, Trépanier M, Lebel D, Bussières JF. Incidents et accidents médicamenteux en établissement de santé : analyse descriptive des événements déclarés d’un CHU mère-enfant de 2011 à 2018. Risques & Qualité 2019;(16)4;205-212. DOI : 10.25329/rq_xvi_4-2

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