La loi Kouchner, 20 ans après…

jacques fabry

jacques fabry

Université de Lyon – Lyon – France | 16, chemin du Gourlas – 01480 Fareins – France
Autres articles de l'auteur dans Risques et qualité Articles dans PubMeb
,
michel sfez

michel sfez

Société française de gestion des risques en établissement de santé (Sofgres) – Paris – France
Autres articles de l'auteur dans Risques et qualité Articles dans PubMeb

La loi Kouchner, 20 ans après…

Figures RQ_XIX_2_Fabry.pdf

Résumé

Le 2 mars 2002 était publiée la loi « relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé » [1], intégrée au Code de la santé publique. Elle était destinée à améliorer la solidarité envers les patients qu’ils soient malades ou handicapés, créer une démocratie sanitaire, renforcer la qualité du système de santé et permettre une réparation des conséquences des risques sanitaires. Une série de défis centraux pour un système de santé. Le contexte était alors celui de deux décennies d’actions des malades du VIH [2] avec une défiance majeure vis-à-vis des professionnels de santé compte tenu de l’affaire du sang contaminé, une montée en charge des plaintes à leur encontre et par conséquent une crise de l’assurance en responsabilité civile des professionnels libéraux. La cohérence de l’ensemble est donnée par la notion de démocratie sanitaire et ses modalités de mise en œuvre, visant à rendre les usagers du système de santé partenaires des décisions de santé publique et de sécurité sanitaire.

Article

L’impact sur la qualité et la sécurité des soins qui découle de ces dispositions, a été notable. Ainsi, les représentants des usagers, issus d’associations agréées, participent au mieux à la gouvernance des établissements de santé, en particulier à travers la commission de relation avec les usagers (devenue depuis commission des usagers). À ce titre, bien que la loi ne soit pas explicite, leur participation contribue à la qualité et à la sécurité des soins. L’information du patient sur les risques inhérents aux soins, l’impératif consentement éclairé aux soins, l’accès au dossier médical sont des éléments clé de la participation de chacun à sa prise en charge dans de bonnes conditions de qualité et de sécurité. Les professionnels voient leur obligation de formation continue renforcée. Ils ont en outre l’obligation de déclarer les événements indésirables considérés comme des « accidents médicaux » dont l’indemnisation est facilitée par la création de l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux où siègent des représentants des associations d’usagers. Ainsi, les accidents non fautifs éligibles sont indemnisés plus rapidement que par la voie judiciaire, dans un délai moyen d’environ 12 à 16 mois après la réception de la demande par une commission de conciliation et d’indemnisation [3], ces délais s’étant allongés lors de la pandémie de Covid-19. La loi a donc fait le pari que qualité et sécurité des soins seront renforcées par une meilleure formation des professionnels et une participation active des patients et des représentants des usagers à l’organisation et à la personnalisation des soins. Le signalement des évènements indésirables, dont la loi ne définit pas la finalité, doit permettre leur analyse et la prévention de leur récidive. En pratique, la loi a mis en place la seule atténuation de ses conséquences financières, avec des conditions d’éligibilité précises.

Vingt ans après, l’efficacité de la loi est jugée mitigée. La reconnaissance des droits des patients en est le plus grand succès [4,5,6]. Cependant, les modalités de leur mise en œuvre sont méconnues de nombre de patients et de médecins [2,4,6], faute notamment de formation des professionnels et d’information large du grand public. En outre, l’élargissement des prérogatives des représentants des usagers est entravé par l’absence de valorisation financière du temps qu’ils y consacrent [2,4,7]. Leur présence dans les établissements de santé passe donc souvent inaperçue et les patients ignorent alors leur existence, ce qui limite les possibilités d’amélioration de la qualité des soins. Trois questions se posent à nous aujourd’hui.

Faut-il une nouvelle loi Kouchner ?

Des axes d’amélioration émergent de deux enquêtes récentes [5,6] au premier rang desquels l’information large des patients et la formation systématique des étudiants en médecine, des médecins et des représentants des usagers aux droits des patients et à leurs modalités d’application. Le droit à l’information des patients mérite d’être amélioré. Certains patients considèrent son contenu trop exhaustif ou peu intelligible, justifiant d’inclure aux études de médecine une formation à l’écoute et à la communication. Les modalités et la traçabilité de l’information sont à reconsidérer à la lumière du développement de la télémédecine et du dossier médical partagé, tant du point de vue de la qualité de la relation médecin-patient, que de la préservation du secret médical et de l’accord du patient sur le partage de l’information entre professionnels de santé. De ce point de vue, il est préoccupant qu’en France, un usager sur trois manque des compétences numériques de base [8], limitant de ce fait l’exercice de son droit à l’accès à son dossier médical. La place du représentant des usagers est à repenser dans le cadre d’une co-construction des parcours de soins prenant en compte l’expérience patient et la définition du rôle des patients experts. Cela ouvre la discussion sur la « professionnalisation » des représentants des usagers et d’une large évolution culturelle plus que législative. Cela passe par une réflexion sur notre système de santé, mis à mal par la pandémie de Covid-19, notamment dans l’exercice du droit des usagers. Faut-il une autre loi pour cela ? Peut-être suffit-il de mettre en œuvre complètement l’exemplaire loi de 2002, sérieusement, avec une vraie volonté politique et des moyens adaptés.RQ_XIX_2_Fabry_fig1

La démocratie sanitaire est-elle menacée par la crise du système de santé ?

Notre système autrefois tant loué connaît une crise profonde. Crise de confiance. Crise démographique, de recrutement et peut-être de motivation. Crise de la logique territoriale avec des inégalités croissantes entre territoires ruraux et entre quartiers urbains. Une refondation s’impose, qui doit toucher l’organisation des soins, les modalités de la gestion hospitalière, les relations entre le privé et le public, l’organisation territoriale des services de santé avec une participation réelle des usagers. La qualité et la sécurité des soins vont de pair avec une organisation performante des services faisant toute sa place au patient acteur. Une réforme de notre système de santé ne peut être seulement cosmétique : la démocratie sanitaire est à ce prix.

La démocratie sanitaire est-elle possible sans démocratie ?

Cela n’échappe à personne : nous vivons dans un monde troublé. En même temps que la Covid-19, un nouveau virus se répand dans l’humanité : le virus de l’autocratie1. Avec ses variants russe ou chinois ou d’ailleurs. Il circule plus vite que l’Omicron sur les réseaux sociaux et dans les esprits, porté par la désinformation. Ne circule-t-il pas déjà dans nos vieilles terres républicaines désabusées ? La démocratie en santé est-elle fondamentalement autre chose qu’un humanisme actif, un investissement délibéré au service des droits des hommes, lorsque ceux-ci connaissent la souffrance et voient s’approcher le handicap ou la mort. La démocratie sanitaire, c’est la démocratie tout court.

Note :

1- Lire le bel entretien avec l’écrivain chinois Ma Jian : Le dieu chinois de la peste. L’Obs n°3008 - 9 juin 2022.

Informations de l'auteur

Financement : les auteurs déclarent ne pas avoir reçu de financement.

Liens d’intérêt : les auteurs déclarent ne pas avoir de lien d’intérêt.

Références

 

1- Loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé. JORF du 5 mars 2002. Accessible à : https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000000227015/ (Consulté le 14-06-2022).

2- Cardin H. La loi du 4 mars 2002 dite « loi Kouchner ». Les Tribunes de la santé 2014;1(42):27-33. Accessible à : https://www.cairn.info/revue-les-tribunes-de-la-sante1-2014-1-page-27.htm (Consulté le 14-06-2022).

3- Office national d’indemnisation des accidents médicaux. Rapport d’activité 2020. Montreuil, juillet 2021. 53 p. Accessible à : https://www.oniam.fr/indemnisation-accidents-medicaux/rapport-d-activite (Consulté le 14-06-2022).

4- France Assos Santé. 2002-2022. La loi Kouchner à l’épreuve du temps [Internet]. 24 février 2022. Accessible à : https://www.france-assos-sante.org/actualite/2002-2022-la-loi-kouchner-a-lepreuve-du-temps/ (Consulté le 14-06-2022).

5- Conseil national de l’ordre des médecins. Commission des relations avec les associations de patients et d’usagers (Corap). La loi Kouchner, 20 ans après. Paris, février 2022. 77 p. Accessible à : https://www.conseil-national.medecin.fr/sites/default/files/external-package/rapport/1hn8dmd/cnom_rapport_corap_20_ans_loi_kouchner.pdf (Consulté le 14-06-2022).

6- Espace éthique Région Île-de-France - Refonder ensemble la démocratie en santé. Paris, Saclay, mars 2022. 88 p. Accessible à : https://www.espace-ethique.org/sites/default/files/enquete_-_refonder_la_ds_-_22.03.22-2.pdf (Consulté le 14-06-2022).

7- France Assos Santé. Guide du représentant des usagers du système de santé. 6e édition. Paris, 2021. 118 p. Accessible à : https://www.france-assos-sante.org/publication_document/guide-du-representant-des-usagers-du-systeme-de-sante-5e-edition/ (Consulté le 14-06-2022).

8- Legleye S, Rolland A. Une personne sur six n’utilise pas Internet, plus d’un usager sur trois manque de compétences numériques de base. INSEE première 2019;1780:1-4 Accessible à : www.insee.fr/fr/statistiques/4241397 (Consulté le 14-06-2022).

Citation

Historique : Reçu 5 juin 2022 – Accepté 13 juin 2022 – Publié 22 juin 2022.

Sfez M, Fabry J. La loi Kouchner, 20 ans après... Risques & Qualité 2022;(19)2:73-76. Doi : 10.25329/rq_xix_2_fabry

Copyright : © Health & Co 2022.