Le défi de la sécurité des patients
À travers cette réflexion sur mon parcours en matière de sécurité des patients pendant les trente dernières années, j’examinerai les moyens par lesquels la future génération de décideurs, de soignants, de gestionnaires ou de cadres dans le domaine de la santé pourra s’assurer que la sécurité des patients devienne partie intégrante de ses actions, dans le cadre des idées reconnues en matière de sécurité des patients. La sécurité fera ainsi partie de toutes les activités quotidiennes. J’utiliserai quelques exemples d’histoires de patients pour illustrer ce que l’on peut faire pour changer les choses. Tout le monde a une histoire à raconter. Alors que vous lisez cet article, je vous invite à y transposer votre propre vécu et votre expérience de la sécurité du patient et de votre propre sécurité, puis à réfléchir à ce que vous ressentez. Vous avez peut-être expérimenté un « presque accident » en ayant failli causer un dommage à un patient, ou avez été victime d’épuisement professionnel. Certains d’entre vous ont été confrontés à un événement indésirable au cours duquel un patient a été atteint, faisant de vous ce qu’on appelle une seconde victime. De nos jours, les personnes qu’on appelle patients ont l’habitude de recevoir des soins sans prendre de risque. Cependant, nous causons des dommages à 10% voire 15% des patients, et ce pourcentage est probablement sous-estimé puisque le préjudice peut être défini de différentes manières. La prévalence des dommages évitables varie et dépend de ce que l’on considère comme évitable [1]. De récents rapports ont indiqué un niveau bien plus élevé, pouvant atteindre 25% des soins hospitaliers [2]. Les articles de René Amalberti [3] et Charles Vincent [4] décrivent leur expérience de l’analyse des incidents cliniques et de ce qu’elle peut nous apprendre. Ils proposent des manières concrètes de faire de ce processus une expérience d’apprentissage en ayant recours à une approche systémique de l’analyse des événements indésirables. Dans cet article, je m’appuierai sur leurs contributions pour expliquer ce qu’un soignant peut faire pour construire un système plus sûr, où le risque est géré de manière proactive et où les dommages sont réduits, avec une meilleure expérience pour le patient et le soignant. Je m’inspirerai aussi de mon expérience de médecin et de défenseur de la sécurité des patients et de la qualité des soins.
Mon histoire à propos de la sécurité des patients
L’histoire de la sécurité des patients n’est pas récente. La nécessité de préserver les patients des dommages remonte au Code d’Hammourabi en 1750 av. JC, et au primum non nocere (d’abord, ne pas nuire) qu’on attribue au serment d’Hippocrate (entre les Ve et IIIe siècles av. JC) [5]. Cependant, l’approche moderne de la sécurité du patient est née au tournant du XXe siècle avec la publication de rapports aux États-Unis et en Grande-Bretagne [6], bien après que j’ai été diplômé, en 1979. Cela signifie que les théories de la sécurité du patient n’étaient pas enseignées dans la faculté de médecine que j’ai fréquentée. Néanmoins, j’ai juré de respecter le serment d’Hippocrate, une tradition qui n’est plus très répandue à l’heure actuelle. Je me souviens de la solennité de la cérémonie, même si je n’avais aucune idée de l’étendue possible du problème puisqu’on ne mesurait pas les dommages ni les événements indésirables. À cette époque, on considérait que le simple fait d’être un professionnel garantissait la sécurité, un point de vue que de nombreux praticiens continuent de partager. J’avais pourtant l’impression que les soins de santé n’étaient pas aussi sûrs qu’on le disait. En 1973, Ivan Illich a publié son livre prophétique Limits to Medicine: Medical Nemesis, the Expropriation of Health [7]. Dans ce pamphlet sur la profession médicale, Illich explorait la croyance selon laquelle les soins de santé seraient la cause de nombreux préjudices, occasionnant des dommages iatrogènes à au moins 10% des patients. Il identifiait trois types de dommages iatrogènes, qui sont toujours pertinents : la iatrogénèse clinique correspond aux actions de soins qui causent des dommages, même s’il n’y avait guère à l’époque de médecine fondée sur des preuves ; la iatrogénèse sociale correspond à la médicalisation de la santé et de la vie en général, et la iatrogénèse culturelle correspond à l’appropriation des croyances des gens sur la vie, la santé et la maladie pour soutenir les deux premières formes de iatrogénèse [8]. Il en résulte que les médecins surtraitent ou maltraitent leurs patients. Le livre a choqué la profession médicale, nos professeurs nous ont prévenus qu’il n’existait aucune donnée soutenant les théories d’Illich et qu’il ne fallait pas lire son ouvrage. Pourtant, nous savons que, en raison du manque de données, Illich a sous-estimé l’ampleur des dommages causés par les interventions médicales. À l’époque, on acceptait que « des choses arrivent », que l’on appelait effets secondaires inévitables, conséquences ou événements indésirables. La science de la sécurité des patients n’était pas encore née. Deux ans après avoir obtenu mon diplôme, j’ai été confronté à mon premier événement indésirable : un médecin stagiaire a administré par inadvertance du chlorure de potassium au lieu de chlorure de sodium à un nourrisson atteint de diarrhée, alors que les deux flacons étaient rangés côte à côte. Confondre les deux flacons était une erreur humaine facile à commettre. Il m’incombait d’informer les parents que nous avions tué leur fils par inadvertance. Même si je n’avais pas conscience de l’importance de cet événement pour moi, parce que j’étais davantage préoccupé par l’impact sur la famille, ce fut le début du chemin qui a défini le travail de ma vie. En réfléchissant à cette journée importante, je me considère comme la troisième victime de cet accident – le nourrisson et sa famille étant les premières victimes, et le docteur stagiaire et l’infirmière les secondes. Le docteur stagiaire et l’infirmière y ont perdu leur confiance, et en fin de compte leurs carrières, parce que c’était perçu comme une erreur humaine plutôt que comme un problème systémique ; la sécurité des patients comme science n’était pas encore née. Il s’agissait d’un échec lié aux facteurs humains et à l’ergonomie dans une unité hautement performante et bien organisée qui traitait plus de cent bébés atteints de diarrhée par jour de manière très efficace et efficiente.
Le développement de la science de la sécurité des patients
Au cours des quarante dernières années, la pratique médicale moderne s’est orientée vers le développement d’une science de la sécurité des patients, avec des théories et des méthodes visant à réduire les dommages. La plupart des articles traitant de sécurité des patients s’intéressent aux aspects techniques de la sécurité. L’accent a d’abord été mis sur la gestion des événements indésirables (« comment analyse-t-on un événement indésirable grave »), puis sur l’amélioration de la sécurité des patients (« comment appliquer les théories et méthodes »). Pourtant, malgré les progrès rapides réalisés dans la compréhension de ce qu’il fallait faire, la mise en œuvre des initiatives en matière de sécurité des patients n’a pas été aussi bonne qu’elle l’aurait dû. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) a publié le Global Patient Safety Action Plan (Plan d’action mondial pour la sécurité des patients) en 2021 or, lors d’une revue de la mise en œuvre du plan, elle a constaté que peu de pays disposaient d’une stratégie nationale ou avaient mis en œuvre les recommandations du rapport [9,10]. L’Imperial College a publié une revue globale qui montrait des résultats similaires [11]. L’échec de la mise en œuvre de programmes de sécurité s’explique par de nombreuses raisons. L’une d’entre elles est que les soignants de première ligne n’ont pas encore répondu avec enthousiasme au défi de la sécurité des patients. Peu de médecins ont pris connaissance de la stratégie de leur propre établissement en matière de sécurité des patients. Malgré tous les programmes consacrés aux patients, nous sommes loin du compte. Les principales raisons de ce problème sont le manque de culture relative à la sécurité des patients, les contraintes professionnelles, la complexité croissante des soins de santé et le manque de leadership et de soutien de l’encadrement [12].
Le défi pour les futures générations de soignants
Le défi pour les futures générations de soignants est de savoir que faire pour garantir la sécurité tout en prodiguant des soins dans un environnement complexe et exigeant. En y réfléchissant, j’ai identifié plusieurs étapes pour faire la différence, fondées sur les expériences qui ont défini ma carrière. En tant que médecin plus expérimenté, le premier événement hospitalier majeur que j’ai eu à traiter s’est produit dans une petite unité pédiatrique de l’Angleterre rurale, en 1994. Une infirmière avait assassiné trois enfants et tenté d’en assassiner un quatrième. Elle a été condamnée pour meurtre et on lui a diagnostiqué un syndrome de Münchhausen par procuration. Pourtant, il s’agissait d’une défaillance totale des systèmes. La science de la sécurité du patient en était alors à ses balbutiements, aussi cet événement a été perçu comme une « pomme pourrie » dans le système. J’ai découvert des soignants épuisés, des systèmes et des processus qui ne fonctionnaient pas, et des enfants et des familles qui avaient subi des préjudices. Mais surtout, comme cela se passait avant le début du mouvement pour la sécurité des patients, la théorie et les méthodes pour assurer la sécurité des patients étaient inexistantes. Au fil des années, j’ai été confronté à des événements similaires pour lesquels j’ai aidé à enquêter. C’est à partir de ces événements que j’ai identifié les actions qui suivent. Je vous invite à réfléchir à la manière dont vous pouvez les appliquer dans votre organisation.
Action 1 – L’importance des valeurs : demandons-nous « pourquoi » nous devrions être orientés « sécurité »
La sécurité des patients concerne les personnes, c’est-à-dire les personnes qui reçoivent les soins, les « patients », et celles qui dispensent les soins, les « soignants ». Elle concerne la relation de confiance entre les gens. Nous entrons en médecine, enthousiastes à l’idée de faire la différence et nous croyons vraiment pouvoir délivrer des soins sûrs. Les patients nous font confiance pour cela. Ensuite, à mesure que les soins se complexifient et que la demande excède notre capacité à prodiguer des soins, l’attention à la sécurité des patients devient plus difficile. Alors, pour offrir des soins sûrs, nous avons besoin de valeurs fondamentales que nous considérons comme notre « étoile polaire » tout au long de notre carrière. J’ai développé l’approche multi-dimensionnelle de la qualité pour souligner l’importance des valeurs humaines nécessaires pour délivrer des soins hautement sûrs et de qualité (Figure 1). Dans ce modèle, le respect, la gentillesse et la compassion, les soins holistiques intégrés, la transparence et la coproduction en santé sont indispensables pour satisfaire aux exigences de l’un ou l’autre domaine de la qualité [13]. Cela nécessite de trouver un équilibre entre les différents domaines de la qualité tout en assurant l’excellence clinique pour atteindre les résultats souhaités. Le changement climatique a été inclus dans le modèle car il relève à la fois de la qualité et de la sécurité.
Action 2 – Développons une culture de la sécurité
Comme le remarque Federico, la culture de sécurité est le fondement de tout système de sécurité [14]. La culture correspond à ce que nous croyons et pensons, et elle détermine ce que nous faisons et produisons, c’est-à-dire les résultats de nos actions. On ne peut pas présumer de l’existence d’une culture de la sécurité, celle-ci doit plutôt être nourrie et développée. Dans tous les événements liés à la sécurité des patients que j’ai analysés, le problème principal était l’absence d’une culture de la sécurité, ou plutôt l’hypothèse erronée de l’existence d’un environnement sûr. Les équipes hospitalières devraient se demander tous les jours : « Sommes-nous sûrs ? » Bien que la notion de culture soit complexe, j’ai constaté que l’échelle de sécurité des patients de Manchester était une méthode utile pour permettre aux équipes d’évaluer leur propre culture de la sécurité [15,16]. On peut la condenser en cinq questions pour déterminer si les soins sont sûrs (Figure 2). Lorsqu’elle pose la question correspondant à chaque niveau, l’équipe peut s’aider d’exemples concrets pour déterminer s’il existe ou non une culture de la sécurité. Si l’on considère chacun des niveaux, on peut voir dans quelle direction il faut aller pour être plus sûr. Nous pouvons être « génératifs » pour certains de nos actes, par exemple en prescrivant des produits sanguins, mais peu sûrs dans d’autres parties où nous prenons plus de risques ou ne prêtons pas assez attention aux détails, par exemple en matière d’hygiène des mains ou de prescription. La plupart des équipes se trouvent aux niveaux « réactif » ou « calculateur », avec des systèmes en place, mais peu d’entre elles gèrent les risques de manière « proactive ». L’objectif de tout programme de sécurité des patients est de passer d’un niveau à l’autre afin que la sécurité devienne une préoccupation quotidienne. Pour y parvenir, une culture de la sécurité nécessite un environnement dans lequel toutes les personnes impliquées dans les soins de santé se sentent en sécurité, qu’il s’agisse des patients ou du personnel soignant.
Action 3 – Intégrons la sécurité psychologique
La sécurité psychologique, introduite par Edmonson, consiste à créer un environnement de travail dans lequel les personnes se présentent sous leur vrai jour, se sentent en sécurité pour s’exprimer et se remettre en question [17]. Ce concept a acquis une popularité croissante au cours des dernières années [18]. Dans un article récent, il a été suggéré que nous devrions développer les compétences liées à la sécurité psychologique autant que nos compétences cliniques [19]. Mon point de vue à ce sujet est que nous devons intégrer la sécurité psychologique dans l’ADN du soignant dès le début de sa formation, afin que la sécurité devienne un comportement naturel et spontané [20], ce qui permettra de relever le défi de l’épuisement professionnel et de développer la résilience au sein du système.
Action 4 – Dotons-nous de compétences en sécurité, et surtout sur l’impact des facteurs humains
Il est évident pour moi que la science de la sécurité des patients est aussi importante que toutes les autres matières principales de la formation médicale telles que l’anatomie, la pathologie et la physiologie [21]. Malheureusement, ce n’est pas le cas dans la plupart des programmes de formation et, lorsque ça l’est, le temps alloué est encore bien trop court. Des cursus sur la sécurité des patients ont été élaborés et peuvent être suivis dans le cadre des formations de premier et de deuxième cycles. Je vous demande instamment d’exiger que cela soit inclus dans votre formation. Au minimum, le programme devrait inclure des cours complets sur les facteurs humains et l’ergonomie [22]. Face à la complexité croissante des soins de santé, la formation aux facteurs humains est essentielle et non une simple option. J’apprécie la relative facilité d’utilisation du modèle SEIPS1 qui peut être appliqué à tous les niveaux d’une organisation et être utilisé pour enseigner les facteurs humains aux équipes hospitalières [23] (Figure 3). Il complète d’autres programmes tels que le crew ressource management2 [24] et TeamSTEPPS3 [25]. Les équipes hospitalières peuvent utiliser ce dernier tous les jours pour faire de la sécurité leur « modèle économique ». Trois questions sont à poser :
- Comment fonctionne notre système de travail (ou notre équipe) ? Par exemple, disposons-nous du personnel adapté aux patients ? Pouvons-nous effectuer les tâches requises avec les outils que nous avons et comment notre travail est-il organisé dans l’environnement de travail ?
- Les processus sont-ils fiables, par exemple les recommandations cliniques sont-elles suivies ?
- Que faisons-nous bien et moins bien ? Ce qui implique de mesurer les résultats cliniques souhaités et non souhaités, y compris l’expérience des patients.
Si cela est fait tous les jours, l’équipe est sur la voie de soins plus sûrs.
Action 5 – Donnons aux patients le pouvoir d’être des partenaires grâce à la coproduction et à la prise de décision partagée
Depuis peu, les concepts de coproduction et de prise de décision partagée ont pris de l’importance dans les soins de santé [26]. L’essentiel est de permettre aux patients et à leurs familles de définir la qualité et la sécurité. En tant que soignant, j’ai toujours considéré les enfants dont je m’occupais et leurs parents comme des partenaires égaux dans leur prise en charge. J’ai également pris conscience que, pour assurer leur sécurité, il fallait briser la nature hiérarchique de la relation entre le soignant et le patient en donnant aux parents et aux enfants la possibilité de contrôler leur santé et de gérer leur maladie. Par exemple, un patient peut décider quels actes conviennent le mieux à sa propre expérience. L’autogestion et le fait de décider ensemble des meilleures options de traitement signifient que les conséquences sont plus sûres. La charte de l’OMS sur la sécurité des patients, élaborée avec des patients, est un bon point de départ pour réfléchir à la manière dont vous pouvez faire une réelle différence dans la prestation des soins [27]. Les gens ont besoin de sécurité psychologique pour avoir le contrôle, et ainsi le courage de changer le modèle traditionnel de soins.
Action 6 – Plaçons l’équité au cœur de toutes les actions
L’inégalité des soins est présente dans toutes les sociétés et nous devons tenir compte des déterminants sociaux de la santé dans tout ce que nous faisons. Pendant mes années de formation en Afrique du Sud, il m’est apparu évident que les déterminants de la santé avaient un impact majeur sur les situations cliniques et les résultats qui en découlaient. Cela a renforcé ma détermination à veiller à ce que tout le monde ait les mêmes chances de recevoir des soins sûrs. Pourtant, à ce jour, l’inégalité en ce domaine reste une réalité pour les patients [28]. Des personnes issues de milieux différents, en raison de leur origine ethnique, d’un handicap, de leur orientation sexuelle ou de leur lieu de résidence, ont de moins bons pronostics et subissent plus d’événements indésirables. En tant que soignants, nous ne pouvons éluder cet enjeu et nous devons sans cesse nous poser la question : « Ai-je relevé le défi de l’équité ? ».
Action 7 – Exploitons le potentiel des nouvelles technologies pour garantir la sécurité des diagnostics
La sécurité des diagnostics est un nouveau défi et le thème de la dernière campagne de l’OMS en matière de sécurité des patients [29]. Les soins de santé ont toujours intégré l’innovation, et l’avenir offre de nombreuses opportunités d’amélioration des soins grâce à la santé digitale et à l’intelligence artificielle. C’est particulièrement important en matière de sécurité du diagnostic. Cependant, le développement de la télémédecine et de l’utilisation de l’intelligence artificielle dans le diagnostic a soulevé de nouveaux défis en matière de sécurité. Alors que nous en sommes aux prémices de ce domaine en rapide évolution, le potentiel est immense et il nous faut saisir les opportunités à venir [30].
Action 8 – Soyons tous des promoteurs de la sécurité et développons un système d’apprentissage
La dernière action sous-tend toutes les autres. La sécurité des patients ne peut être assurée que si chacun en devient le promoteur. La complexité de la sécurité des patients et le problème de la multiplicité des intervenants, où personne n’assume la responsabilité de la sécurité, constituent un défi à relever [31]. Chaque soignant doit être un ambassadeur pour faire la différence, non seulement pour la personne traitée, mais aussi pour l’équipe et l’organisation. Notre but devrait être de développer un système d’apprentissage grâce auquel nous tirons des leçons de ce qui fonctionne bien, mais aussi des incidents cliniques et des événements indésirables. Pour atteindre ce type de système, j’ai développé le programme Situation Awareness For Everyone (SAFE), qui fournit aux équipes hospitalières des outils pour s’assurer qu’elles sont engagées dans la sécurité des patients et qu’elles sont capables de traduire la théorie complexe en actions significatives [32]. Dans ce programme, de courts rassemblements d’équipe (huddles) sont organisés plusieurs fois par jour pour mettre en œuvre différentes théories et méthodes relatives à la sécurité. Ces huddles sont basés sur le modèle de mesure de la sécurité de Vincent, auquel s’ajoute la question de savoir ce qui fonctionne bien [33]. Les résultats ont montré une amélioration du travail d’équipe et de son moral, ainsi que des issues plus favorables. Par exemple, dans une unité au Mozambique, malgré le manque de ressources humaines, l’équipe a réduit de huit à un par mois le nombre de décès dans les vingt-quatre heures suivant l’admission. Tout ce qu’elle a fait, c’est s’approprier le sujet de la sécurité et anticiper la détérioration de l’état des patients.
Conclusion
La sécurité des patients est un défi pour tous. Mon parcours, depuis le premier cas auquel j’ai été confronté en tant que jeune médecin, a connu de nombreux chemins et expériences qui m’ont permis de définir ce que requiert la sécurité. Je terminerai par une autre histoire de patient. Lorsque j’étais directeur médical de l’unité d’obstétrique d’un grand hôpital de Londres, une série de décès maternels s’est produite. Les stagiaires en obstétrique avaient exprimé des inquiétudes concernant leur apprentissage et leur supervision dans les mois précédant le premier décès. Ils n’avaient pas prononcé les mots « nous ne nous sentons pas en sécurité » et ne disposaient pas de la sécurité psychologique nécessaire pour le faire. C’était juste avant l’émergence de la sécurité des patients en tant que science, et je reconnais aujourd’hui que, si nous avions eu des connaissances en la matière à l’époque, certaines des femmes qui sont mortes auraient peut-être survécu. La leçon que j’en tire est que la culture est à la base de la sécurité des patients, qu’elle définit notre façon de travailler et qu’elle peut prévenir les dommages. Nous avons tous un rôle à jouer et ces huit actions peuvent faire la différence.
Notes :
1- Systems Engineering Initiative for Patient Safety, initiative d'ingénierie des systèmes pour la sécurité des patients.
2- Gestion des ressources de l'équipage.
3- Team strategies and tools to enhance performance and patient safety, outils et stratégies d'équipe pour accroître la performance des équipes et la sécurité des patients.