Contexte et objectif
Les événements indésirables liés aux médicaments (EIM) comprennent les erreurs de médications, les effets indésirables, les réactions allergiques et les surdosages. Dans les services d’urgence, on estime que la fréquence de ce type d’EI varie de 0,6 à 28% des cas. Pour être en mesure de traiter correctement un EIM, les médecins doivent avoir une connaissance approfondie des interactions médicamenteuses ainsi que des événements indésirables provoqués par les différents types de médicaments. La présente étude a été réalisée sur une période de plusieurs années au service d’urgences du Centre hospitalier universitaire (CHU) de Nantes afin d’évaluer la capacité des médecins à identifier les EIM. C’est la deuxième étude réalisée sur ce sujet. Une première étude avait déjà été réalisée en 2008 dans le même service de ce CHU composé de 3 000 lits et avec un nombre moyen d’admissions aux urgences de 86 000 cas par an. Au CHU de Nantes, l’observatoire de l’iatrogénie médicamenteuse au service d’accueil des urgences a été mis en place en 2007. Les objectifs de cet observatoire étaient de faire progresser les connaissances sur l’iatrogénie médicamenteuse chez les patients admis aux urgences et de développer une culture de gestion du risque médicamenteux au sein de l’équipe soignante pour, à long terme, améliorer la prévention et diminuer l’incidence de ce type d’événements.
Méthode
Tous les patients adultes (>18 ans), capable d’être interrogés, admis aux urgences entre janvier 2014 et décembre 2017 et ayant donné leur consentement pour répondre au questionnaire, ont été inclus dans l’étude. Le nombre total de patients inclus sur les quatre années d’étude est de 1 870.
Résultats
Parmi ces patients, 279 (14,9%) ont subi un EIM. L’âge moyen des patients ayant subi un EIM est significativement plus élevé que ceux n’ayant pas subi d’EIM (69 ans vs 55 ans). Le risque d’être hospitalisé était plus élevé chez les patients présentant un EIM comparativement à ceux ne présentant pas d’EIM. Le nombre de médicaments pris par les patients ayant subi un EIM était plus élevé que ceux n’en ayant pas subi (6 vs 3). Les classes de médicaments les plus fréquemment impliquées dans la survenue d’un EIM sont les médicaments agissant sur le système cardiovasculaire (29,3%), sur le sang et les organes hématopoïétiques (29,3%), sur le système nerveux (21,7%) et les médicaments agissant sur le système digestif (9%). Parmi ces 279 EIM, 28% n’ont pas été identifiés par les médecins du service d’urgence. La probabilité de repérage de l’EIM par les médecins était plus élevée lorsque celui-ci était directement lié à la condition du patient. Finalement, la probabilité de repérage de l’EIM par les médecins était plus basse lorsque la sévérité de celui-ci était moindre.
Discussion
Comparativement à la première étude réalisée en 2008 quelques améliorations ont été observées : une légère diminution des EIM (20% dans la première étude vs 15% dans la deuxième étude) et un meilleur repérage des EIM par les médecins urgentistes (35% dans la première étude vs 72% dans la deuxième étude). Les auteurs soulignent que ces progrès sont probablement dus à la priorité mise sur les politiques concernant la sécurité des médicaments au sein de l’hôpital ces dix dernières années, à la participation accrue des équipes de pharmacovigilance au sein des équipes de soins et à la formation des étudiants en médecine à l’iatrogénie médicamenteuse.
Cependant, la présente étude montre également qu’il existe encore des points à améliorer. En effet, les résultats montrent que :
- Lorsque la condition pathologique du patient est liée à un ou plusieurs traitements, l’EIM est repéré plus facilement par les médecins. Ceci met en lumière la nécessité de former les professionnels des urgences à identifier les effets des médicaments sur la condition pathologique des patients. En effet, certains médicaments peuvent exacerber les conditions de la maladie. Une autre possibilité d’amélioration est l’intégration des pharmaciens dans les équipes de soins.
- Lorsque l’EIM n’est pas sévère (potentiellement mortel ou nécessitant une hospitalisation) celui-ci est moins repéré par les médecins. Ceci peut être dû au manque de temps de leur part dans un contexte d’urgence, au fait que les patients soient pris en charge par plusieurs professionnels de soins ou à une méconnaissance par ces professionnels de l’iatrogénie médicamenteuse.
- Les patients ayant subi un EIM ont en moyenne 9 ans de plus que ceux n’ayant pas subi d’EIM. En revanche, il n’y a pas de différence d’âge entre les patients dont l’EIM a été repéré par les médecins et ceux pour qui il ne l’a pas été. Cela montre que les médecins ne considèrent pas les patients plus âgés comme étant une population à risque d’EIM, probablement en raison de leur physiologie spécifique et de la fréquente polymédication associée à ce type de patients.
- En moyenne, les patients ayant subi un EIM prennent au moins deux médicaments de plus que ceux n’ayant pas subi d’EIM. Ceci est un facteur de risque bien connu dans le monde médical et les médecins urgentistes doivent rester vigilants sur ce point. Certaines mesures de prévention permettent de diminuer le risque d’EIM, notamment : ne pas prescrire aux patients polymédicalisés des médicaments qui ne procurent pas d’avantages, améliorer la vigilance des médecins et informer les patients sur les médicaments.
Les auteurs concluent l’étude en affirmant que celle-ci a permis aux médecins urgentistes de prendre à nouveau conscience de la problématique de l’iatrogénie médicamenteuse et de montrer que, bien qu’il faille du temps pour changer une culture, il est possible d’observer des changements positifs ces dix dernières années.