Le suivi d’indicateurs à partir de bases de données médico-administratives ou de registres permet de détecter des résultats atypiques, potentiels reflets de problèmes de qualité ou de sécurité des soins. C’est le principe d’un dispositif de vigilance menant les professionnels à analyser leurs résultats et leurs pratiques en cas de résultat déviant par rapport à la valeur attendue, et à mettre en place des actions d’amélioration en cas d’alerte confirmée. Un tel dispositif a été introduit par l’ordonnance n° 2021-583 du 12 mai 2021 dans le cadre de la rénovation du régime des autorisations des activités chirurgicales [1]. Dans le cadre de la préparation de ces travaux, la Haute Autorité de santé (HAS) a procédé à une recherche documentaire sur l’utilisation d’indicateurs de vigilance en milieu hospitalier, dont les résultats complets apparaissent dans le rapport [2]. De nombreux pays utilisent des indicateurs à des fins d’alerte en établissement de santé. Sont présentées ici des données issues de France, d’Allemagne, d’Australie, d’Autriche, des États-Unis, du Royaume-Uni et de Suisse.
Définition d’un indicateur de vigilance en santé
Actuellement, il n’existe pas de définition précise d’un indicateur de vigilance en santé. Dans la littérature analysée, les indicateurs de vigilance sont souvent appelés « trigger tools » (outils déclencheurs d’analyse), « screening tools » (outils de dépistage) ou « outlier measures » (mesures des valeurs hors norme) et sont utilisés au sein de systèmes de surveillance (« surveillance system for alerts » [3]) pour détecter des événements indésirables associés aux soins en établissement de santé, dans la majorité des cas à partir de bases de données médico-administratives. Pour cela, des seuils d’alerte sont définis et permettent de mettre en évidence des valeurs statistiquement atypiques de l’indicateur, ou alertes, potentiel reflet de problèmes de qualité ou de sécurité. Une analyse de ces alertes statistiques est nécessaire avant de conduire à d’éventuelles actions correctrices. En effet, l’apparition d’une alerte ne doit pas être immédiatement interprétée comme indiquant de mauvaises performances, de nombreuses autres explications étant possibles (hasard, problèmes de codage, évolution de la typologie des patients…) [3,4,5,6].
Utilisation
En France
En France, la HAS produit actuellement quatre indicateurs de résultat issus du programme de médicalisation des systèmes d’information (PMSI) portant sur des complications de chirurgie orthopédique [7,8,9,10]. Ils sont conçus pour le pilotage interne de la qualité des soins et pour la gestion des risques [11]. Avec le même objectif, la direction générale de l’offre de soins (DGOS) et l’Agence technique de l’information sur l’hospitalisation (Atih) ont développé un indicateur de réhospitalisation en médecine, chirurgie et obstétrique (MCO), calculé automatiquement à partir du PMSI et dont les résultats sont mis à la disposition des établissements de santé via la plateforme ScanSanté [5]. Bien que le PMSI ait été développé à des fins de tarification et que, comme toute base de données médico-administratives, il présente des limites intrinsèques (collecte rétrospective des données, disponibilité et qualité du codage, stratégie de codage), les indicateurs qui en sont issus ont pour avantage d’être calculés automatiquement à partir de données existantes, donc de ne pas engendrer de charge de travail supplémentaire pour les professionnels de santé, mais également de pouvoir être suivis dans le temps. L’Institut national du cancer a récemment lancé un programme d’élaboration d’indicateurs de qualité et de sécurité spécifiques au parcours de santé en cancérologie (non limités au secteur hospitalier). Plusieurs indicateurs de processus, de résultat (dont deux de mortalité et un de complication) et de pertinence des soins, assortis de seuil d’alerte, ont ainsi été définis pour les cancers colorectal, du sein, du pancréas et de l’ovaire depuis 2019 [12,13,14,15].
Pays anglo-saxons (États-Unis, Australie, Royaume-Uni)
Aux États-Unis, les indicateurs de qualité dédiés aux hôpitaux de l’Agency for Healthcare Research and Quality1 (AHRQ) (inpatient quality indicators [IQI], patient safety indicators [PSI] et pediatric quality indicators2 [PDI]) ont été élaborés originellement (entre 2000 et 2006) à des fins de surveillance et d’amélioration de la qualité [16]. Tous calculés à partir des données médico-administratives, ils peuvent être utilisés par les hôpitaux pour identifier les problèmes potentiels qui pourraient nécessiter une étude plus approfondie. Ils incluent mortalité hospitalière notamment dans les groupes à faible mortalité, utilisation de procédures chirurgicales, complications, événements indésirables associés aux soins [17,18,19]. L’Australie a mis en place en 2009 un ensemble national d’indicateurs de résultats hospitaliers (mortalité et réadmissions) avec pour objectif premier d’identifier d’éventuels problèmes de qualité et de sécurité [20,21]. D’autres indicateurs de réadmission évitable sont également disponibles dans certains États et territoires d’Australie [22], ainsi que des indicateurs portant sur les durées de séjour spécifiques à un acte [4]. À partir de 2013, seize indicateurs portant sur les complications acquises à l’hôpital ont été mis à la disposition des établissements de santé [23]. En complément, il existe aussi 332 indicateurs cliniques de type structure, processus et résultat développés par l’Australian Council on Healthcare Standards3 (ACHS) depuis 1993 dans le cadre de l’accréditation des établissements de santé et conçus pour être utilisés comme des indicateurs de vigilance [24]. Enfin, dix événements sentinelles sont à déclaration et analyse obligatoires au niveau national [25]. Au Royaume-Uni, l’unité Dr Foster de l’Imperial College London surveille, depuis 2007, 122 indicateurs de mortalité mesurés à partir des données administratives hospitalières, portant sur 122 diagnostics et procédures spécifiques au sein des hôpitaux de soins aigus du National Health Service4 [3]. Parallèlement, la Care Quality Commission5 a mis en place à partir de 2014 un suivi des hôpitaux sur la base d’un ensemble d’indicateurs concernant, cette année-là, 57 situations cliniques [26]. Ont ainsi été proposés, entre autres, des indicateurs de sécurité (mortalité pour des pathologies ou des procédures à faible risque, événements sentinelles, complications infectieuses évitables), des indicateurs d’efficacité (mortalité non spécifique et spécifique, réadmissions, complications), des indicateurs d’activité (par exemple durée de séjour), des indicateurs rapportés par les patients, des indicateurs de réactivité (temps d’attente) et des indicateurs de qualité de la gouvernance (par exemple absentéisme, risque financier). En outre, le Healthcare Quality Improvement Partnership6 (HQIP), responsable de plusieurs programmes nationaux d’amélioration de la qualité des soins au Royaume-Uni, gère le programme national d’audits cliniques et de résultats des patients (National Clinical Audit and Patient Outcomes Programme7) [6]. Actuellement, les audits réalisés concernent une trentaine de spécialités et sont menés par les sociétés savantes concernées sur la base d’indicateurs de vigilance qu’elles ont développés : il peut s’agir d’indicateurs de résultat liés aux actes dont les taux de mortalité, d’indicateurs de processus lorsqu’ils ont montré être associés aux résultats cliniques ou d’indicateurs de volume d’activité.
Allemagne, Autriche, Suisse
En Allemagne, les indicateurs de qualité hospitaliers G-IQI (German inpatient quality indicators8) ont été principalement conçus pour être des indicateurs de vigilance mesurés à partir de données de la statistique médicale des hôpitaux [27]. Ils sont maintenant utilisés par l’association Initiative Qualitätsmedizin (IQM), qui regroupe 500 établissements en Allemagne et en Suisse. Il s’agit en très grande majorité d’indicateurs de mortalité et de volume d’activité, mais aussi d’indicateurs de complication et de processus, ainsi que de valeurs d’information. Parallèlement aux G-IQI, les hôpitaux allemands membres de l’IQM utilisent également les PSI basés sur les indicateurs nord-américains de l’AHRQ. Enfin, l’Institut pour l’assurance qualité et la transparence des soins de santé (Institut für Qualitätssicherung und Transparenz im Gesundheitswesen [IQTIG]), qui évalue la qualité des soins en Allemagne, utilise des indicateurs de qualité pour identifier les établissements de santé hors norme, qui font ensuite l’objet d’une enquête qualitative plus approfondie dans le cadre d’un dialogue structuré pour vérifier si la qualité des soins est conforme à la norme requise [28]. En 2019, il y avait ainsi 221 indicateurs de qualité mesurés dont des indicateurs de structure, de processus et de résultat, assortis de valeurs d’information. Parmi ceux-ci, on trouve des indicateurs de mortalité, de complication, de ré-opération et des événements sentinelles [29]. Des systèmes d’indicateurs de qualité hospitaliers à visée d’alerte similaires aux indicateurs allemands (G-IQI) ont été mis en place en Autriche (ministère fédéral du Travail, des Affaires sociales, de la Santé et de la Protection des consommateurs, dits A-IQI) et en Suisse (Office fédéral de santé publique [OFSP], dits CH-IQI) en 2011 et 2012 respectivement [30,31]. En Suisse, parallèlement aux indicateurs CH-IQI, des mesures nationales de la qualité menées dans le domaine des soins hospitaliers sont réalisées par l’Association nationale pour le développement de la qualité dans les hôpitaux et cliniques (ANQ), depuis 2009, afin de produire des évaluations comparatives nationales diffusées publiquement et de permettre aux établissements de santé présentant des taux hors norme d’analyser leurs résultats et de s’améliorer. Elles comprennent la mesure des réadmissions potentiellement évitables [32], ainsi que des indicateurs de complication (infection du site opératoire pour onze interventions chirurgicales, escarre) [33,34], d’événements indésirables associés aux soins [34] ou encore de satisfaction des patients [35].
Typologie
Mortalité
La mortalité est fréquemment choisie comme indicateur de qualité parce que le décès est un événement non équivoque résistant aux manipulations et l’aboutissement d’une prise en charge dont l’issue aurait pu être différente [30]. Plusieurs types d’indicateur de mortalité existent : ajustés en fonction du risque (standardized mortality ratio [SMR]), stratifiés ou bruts.
Réadmissions
La prévention des réhospitalisations constitue un enjeu important pour la qualité et la sécurité de la prise en charge du patient hospitalisé, dans tous les systèmes de santé du monde [5]. Les taux de réadmission à l’hôpital sont donc couramment utilisés comme indicateurs de vigilance. Il peut s’agir de réadmissions « toutes causes » ou spécifiques à une pathologie ou à une intervention [22]. Les pathologies ou procédures ciblées sont le plus souvent celles ayant une prévalence ou un taux de réadmission élevés. Hors chirurgie ambulatoire, les délais de réadmission sont dans la majorité des cas de 28 ou 30 jours après la sortie du patient, allant d’entre un et sept jours à 60 jours [5,22]. Le délai d’un à sept jours a été choisi pour l’indicateur de réadmission toutes causes, élaboré en France (RH7) parce que les causes de réhospitalisation survenant dans les sept jours après la sortie du patient seraient le plus souvent liées à la qualité des soins intra-hospitaliers, alors que celles survenant plus tardivement seraient plutôt liées à la prise en charge par le premier recours sur le territoire et à la coordination entre les acteurs de ville et l’hôpital [5]. L’Australie a développé en 2019 une liste de diagnostics de réadmission potentiellement évitable [22].
Complications
Certains indicateurs portent sur des complications spécifiques de certaines interventions [23,36]. En France, quatre indicateurs de complication de la chirurgie orthopédique ont été développés à partir du PMSI et peuvent être utilisés à des fins d’alerte par les établissements de santé [7,8,9,10] : deux concernent les événements thrombo-emboliques et deux les infections du site opératoire après la pose de prothèse totale de hanche ou de genou. Ces complications ont été choisies car leur incidence reste relativement faible, mais elles concernent une chirurgie fréquente et des recommandations de bonnes pratiques professionnelles pour les prévenir sont disponibles. Les résultats de ces mesures sont restitués annuellement aux établissements de santé.
Événements sentinelles
Les événements sentinelles, également appelés « événements qui ne devraient jamais arriver » (never events), sont des événements indésirables inattendus graves et évitables ayant entraîné un préjudice physique ou psychologique ou la mort d’un patient, et qui n’auraient pas dû survenir si des mesures de prévention adéquates avaient été mises en œuvre [37]. Il s’agit par exemple des opérations sur le mauvais patient ou sur le mauvais côté. Ils sont utilisés dans certains pays comme des indicateurs de vigilance, chaque événement survenu devant être analysé par la direction de l’établissement de santé concerné, en collaboration avec les experts et les cliniciens [25,27,31,38,39,40].
Processus
L’Initiative Qualitätsmedizin utilise des indicateurs de processus (proportion de certaines techniques chirurgicales, part des transferts vers un autre hôpital pour certaines maladies, durée moyenne de séjour de certaines prises en charge). Par ailleurs, pour certaines pathologies ou traitements, le nombre de patients traités est indiqué (volume d’activité), ce qui permet de savoir si un hôpital a atteint les exigences légales de volume d’activité minimum, le cas échéant. Des durées de séjour spécifiques à des actes [4], des indicateurs portant sur les ré-opérations [28,41] et les séjours en réanimation [41] sont également utilisés comme indicateurs de vigilance.
Source des données
Deux types de sources de données peuvent être utilisés pour produire des indicateurs mesurant la qualité à l’hôpital : soit la collecte de données saisies à cet effet, soit le recours à d’autres données de routine pour évaluer la qualité des résultats (registres, base de données hospitalières ou médico-administratives…) [30]. La première source présente l’inconvénient de nécessiter un effort de collecte. De plus, il peut exister des biais qui ne sont pas forcément liés à des manipulations des données lors de la saisie mais qui peuvent, par exemple, provenir d’une non-déclaration de complications non identifiées. L’autre source consiste à utiliser des données dont on dispose déjà, ne nécessitant aucune charge supplémentaire en temps et en personnel pour les recueillir. Cependant, la mesure de la qualité au moyen de données de routine trouve ses limites lorsque les informations nécessaires ne sont pas codées ou ne peuvent l’être, ainsi que dans la qualité du codage. Néanmoins, des études effectuées aux États-Unis ont montré que les données de routine se prêtent au moins aussi bien à l’analyse de la qualité que les données cliniques spécialement collectées [30]. En outre, tant le critère coût-bénéfice que la disponibilité immédiate plaident en faveur des données de routine existantes. La majeure partie des indicateurs identifiés par la HAS dans son rapport est calculée à partir de bases de données médico-administratives [3,5,7,8,9,10,16,20,30,31,32,42], mais ils peuvent également être mesurés à partir de questionnaires remplis par les patients [35], de systèmes de déclaration d’événement indésirable associé aux soins [25], d’enquêtes de prévalence [34] ou d’autres collectes de données spécifiques [6].
Ajustements aux risques
Pour pouvoir analyser le résultat observé pour un indicateur, il est nécessaire d’ajuster le résultat à la population prise en charge. La stratégie d’ajustement est variable selon les pays et organismes. En France, les indicateurs de résultat développés par la HAS à partir du PMSI sont ajustés aux facteurs de risque significativement associés à la survenue de l’événement et sans lien avec la qualité du séjour hospitalier [7,8,9,10,43]. L’indicateur de réhospitalisation dans un délai d’un à sept jours en MCO développé par la DGOS et l’Atih est ajusté au niveau de sévérité puisqu’il est réalisé par groupe homogène de malades (GHM) [5]. À l’étranger, la méthode d’ajustement varie selon les pays et les indicateurs. Les indicateurs de qualité hospitaliers américains développés par l’AHRQ sont ajustés aux caractéristiques démographiques du patient (âge et sexe), à la gravité de la maladie, à la clinique, aux comorbidités et aux informations sur la sortie du patient [16]. Les différents indicateurs de vigilance mesurant la mortalité hospitalière de l’Australian Commission on Safety and Quality in Health Care9 (ACSQHC) sont également ajustés à plusieurs critères tels que l’âge, le sexe, les comorbidités, les diagnostics et d’autres variables lorsque c’est pertinent (durée de séjour, mode d’admission, index de Charlson…) [20]. Pour les indicateurs cliniques développés par l’ACHS, il n’y a pas d’ajustement des résultats mais une stratification des données en fonction des sources probables de variation identifiées par un groupe de travail : hôpital public ou privé, urbain ou non, localisation géographique, éventuellement prise en charge ambulatoire [24]. En Suisse, l’ajustement aux risques des indicateurs de qualité CH-IQI se base sur la standardisation commune de l’âge et du sexe [30]. Diverses analyses ont été réalisées pour savoir si l’ajustement en fonction de l’âge et du sexe était suffisant. Il s’est avéré que trois facteurs en particulier – l’âge, le degré de gravité de la comorbidité et le nombre de diagnostics codés – sont fortement corrélés et sont tous sans exception liés au risque de mortalité. L’âge est néanmoins le facteur principal du risque de mortalité et la variance de la mortalité expliquée par les comorbidités n’est que de 5% à 15% selon l’indicateur et la procédure choisie. La limitation de l’ajustement à l’âge et au sexe résout en outre le problème lié à la pratique du codage médical.
Seuils d’alerte
Le seuil d’alerte est la valeur du résultat de l’indicateur au-delà ou en deçà de laquelle le résultat est jugé hors norme. La HAS identifie les résultats d’établissements significativement différents d’une valeur de référence à l’aide de limites fixées à deux ou trois écarts-types [11]. Afin de s’assurer d’un risque d’erreur statistique minimum, la limite à trois écarts-types est actuellement privilégiée pour toute utilisation externe à un établissement de santé (diffusion publique, incitation financière à l’amélioration de la qualité…). Ces intervalles de confiance à 95% ou 99,8% autour de la valeur cible sont retenus par de nombreux pays : Autriche [41], Suisse [33,35], Australie [24,44], Royaume-Uni [6]. Au Royaume-Uni, il est recommandé d’utiliser un double seuil, avec des valeurs seuil de p à 0,05 pour déclencher une « alerte » et à 0,002 pour déclencher une « alarme ». Les alarmes doivent être rendues publiques, mais la diffusion des alertes n’est pas imposée [6]. Pour les indicateurs de qualité hospitaliers de l’AHRQ [45] et pour l’indicateur français de réhospitalisation dans un délai d’un à sept jours en MCO [5], il est préconisé de comparer les taux observés dans l’établissement aux taux attendus correspondant à ceux qu’il aurait obtenus s’il avait réalisé les mêmes performances que la population de référence compte tenu de son case-mix (c’est-à-dire âge, sexe, groupes apparentés par diagnostic et catégories de comorbidité). Pour l’indicateur de réhospitalisation français RH7, il n’a pas été déterminé de seuil d’alerte précis. L’établissement est invité à suivre l’évolution de ses résultats dans le temps et à s’en inquiéter lorsqu’ils s’écartent de la valeur de référence. Pour la majorité des indicateurs de mortalité hospitaliers issus de la démarche de l’IQM [30,31,42], un indice standardisé de mortalité ou des valeurs de référence sont indiqués. Cependant, dans le cadre des démarches allemande et suisse qui reposent sur le volontariat des établissements de santé, la valeur exacte du seuil d’alerte n’est pas précisée. Ceux qui choisissent d’utiliser les IQI doivent fixer eux-mêmes leurs propres règles en fonction du type d’indicateur (événements sentinelles ou événements communs), pour enclencher des actions d’analyse ou de revue par les pairs. En Suisse, il est indiqué qu’un processus de revue par les pairs ne sera mené que si les taux de mortalité observés pour une pathologie donnée sont « nettement supérieurs » à la valeur cible, sans précision quantitative sur cet écart (46). En Angleterre, le système de surveillance du NHS prévoit d’alerter les établissements de santé lorsqu’un taux de mortalité spécifique à un diagnostic ou à une procédure dépasse un seuil correspondant au double de la mortalité attendue sur la base de la moyenne nationale, pour lequel il existe une probabilité inférieure à 0,1% d’avoir une fausse alarme statistique au cours des douze derniers mois [47]. Dans le cas des indicateurs « événements sentinelles », chaque cas correspond à une alerte [25,41,44].
Petits nombres de cas
La question de la pertinence des statistiques (fiabilité statistique, variabilité stochastique) revêt une importance particulière quand le nombre de cas est restreint [30]. Pour cette raison, les organisations n’indiquent pas les résultats des indicateurs lorsque le nombre de cas est inférieur à dix (HAS en France, OFSP en Suisse) [11,30] ou à trente (indicateur français de réhospitalisation dans un délai d’un à sept jours en MCO, ACSQHC) [5,20]. Ces seuils permettent d’inclure le maximum d’établissements dans les démarches d’amélioration tout en minimisant le risque de réidentification des personnes. Ces informations permettent la surveillance de la qualité des interventions à faible risque : les complications ou décès rares doivent faire l’objet d’une analyse, car ils peuvent indiquer des lacunes dans la gestion des risques [30].
Périodicité de production
La périodicité de production des indicateurs de vigilance est variable selon les organisations et le type d’indicateur. Elle peut être mensuelle, trimestrielle, semestrielle, annuelle ou bisannuelle [3,4,5,7-10,16,22,30,36,44,47]. Dans la majorité des cas, les spécifications techniques des indicateurs sont librement mises à la disposition des établissements de santé, qui peuvent ainsi les calculer eux-mêmes, en continu ou à une fréquence plus élevée que les diffusions officielles.
Formats de restitution
Il est important que les résultats des indicateurs soient présentés dans un format facile à utiliser et à comprendre par les professionnels des établissements de santé (direction administrative, services de soins, département d’information médicale, etc.) : il doit permettre, entre autres, d’identifier rapidement une évolution défavorable des résultats ou des résultats hors norme. En outre, lorsque les résultats sont rendus publics, l’approche choisie doit minimiser le risque que quelqu’un porte des jugements sur la qualité d’un établissement simplement parce qu’il a une valeur d’indicateur hors norme [6]. La HAS restitue à chaque établissement de santé les résultats des indicateurs portant sur les complications en chirurgie orthopédique dans un diagramme en entonnoir (funnel plot) (Figure 1) [11]. Il s’agit d’une représentation graphique facile à lire qui permet à chaque établissement de santé de voir distinctement son résultat parmi ceux des autres établissements, de le comparer à la référence, et de se situer à l’intérieur ou à l’extérieur de l’entonnoir défini par les limites à deux ou trois écarts-types pour savoir si son résultat est hors norme, compte tenu de la population de patients qu’il prend en charge. Cependant, le diagramme en entonnoir ne permet pas de comparer les établissements de santé entre eux puisqu’ils traitent des populations de patients différentes, ni de comparer l’évolution du résultat d’un établissement dans le temps, puisque la restitution porte à chaque fois sur une population de patients différente. Pour la mortalité de pathologies spécifiques à forte morbidité comme les fractures du col fémoral, l’ACSQHC recommande une présentation sous forme de graphique VLAD10 (Figure 2), qui illustre la différence entre le nombre réel de décès et le nombre attendu au fil du temps en utilisant la méthode des sommes cumulées (CUSUM11). Le graphique VLAD indique en abscisse le nombre de cas observés au fil du temps. À chaque intervalle de temps prédéterminé, la différence entre le nombre attendu et le nombre réel est calculée et cette valeur est ajoutée à celle résultant de la somme des intervalles précédents. Si le nombre de décès observé est inférieur au nombre attendu, la valeur augmente (vies statistiques gagnées), si le nombre de décès observés est supérieur au nombre attendu, la valeur baisse (vies statistiques perdues). Il existe trois tendances possibles pour les graphiques VLAD et CUSUM :
- la ligne centrale reste entre les limites de contrôle supérieure et inférieure : cela indique que le taux de mortalité de l’hôpital est similaire au taux de mortalité national ;
- la ligne centrale descend et touche la limite de contrôle inférieure (comme au point A de la Figure 2) : cela indique que l’hôpital a un taux de mortalité plus élevé que la moyenne nationale pour sa typologie de patients ;
- la ligne centrale monte et touche la limite de contrôle supérieure (comme au point B de la Figure 2) : cela indique que l’hôpital a un taux de mortalité inférieur à la moyenne nationale pour sa typologie de patients.
Le graphique VLAD permet aux établissements de santé d’identifier facilement un changement dans l’évolution des taux de mortalité [44]. Le HQIP a conçu un guide destiné aux modalités de restitution des indicateurs de vigilance dans le cadre du programme national d’audits cliniques du Royaume-Uni [48]. Il préconise, par exemple, d’utiliser un graphique appelé « control limit chart » pour présenter les indicateurs de mortalité spécifique à un type d’acte réalisé par un professionnel de santé particulier, avec des limites de contrôle. Dans tous les cas, les données chiffrées doivent apparaître dans un tableau en dessous des graphiques. L’unité Dr Foster de l’Imperial College London utilise des graphiques de contrôle des sommes cumulées (CUSUM charts) pour informer les établissements de santé lorsque les résultats de leurs indicateurs de mortalité spécifique dépassent le seuil d’alerte. L’établissement reçoit alors un courrier qui rappelle la démarche du Mortality Alerting Surveillance System12 et sa méthodologie, informe l’établissement que la mortalité observée pour un diagnostic ou une procédure a dépassé le double de la mortalité attendue pour la typologie de patients, indique les différentes raisons qui peuvent générer une alerte (hasard, codage, typologie des patients, qualité des soins), et présente le graphique de contrôle statistique du processus ainsi que les statistiques des douze mois précédents (nombre d’admissions, décès, décès attendus, risque relatif, probabilité que l’alerte soit due au hasard) (Figure 3) [3].
Fréquence de révision
Pour que les indicateurs de qualité utilisés comme indicateurs de vigilance restent scientifiquement valides, acceptables et utiles, ils doivent être revus régulièrement en fonction, entre autres, de la littérature récente, des commentaires des utilisateurs, des mises à jour des spécifications techniques (dont codages), des changements de population de référence, des révisions par des experts cliniques, de nouvelles données disponibles et des progrès méthodologiques de l’industrie [16]. La périodicité de révision des indicateurs dépend des organismes et des pays : l’AHRQ et l’IQTIG révisent annuellement leurs indicateurs de qualité [16,28], les organismes des trois pays impliqués dans l’IQM (OFSP suisse, ministère de la Santé autrichien, université technique de Berlin) le font tous les deux ans [30,31,42], l’ACHS tous les trois ans [49].
Discussion
La recherche documentaire internationale réalisée par la HAS montre que les indicateurs de vigilance :
- sont utilisés dans plusieurs pays depuis de nombreuses années, sur la base d’études démontrant un bénéfice pour les patients ;
- sont un des éléments de la démarche d’amélioration de la qualité et de la sécurité des soins ;
- permettent de repérer des situations à améliorer et aussi des pratiques exemplaires ;
- sont utilisables en routine à partir des bases de données médico-administratives ;
- doivent déclencher, en cas d’alerte, un processus d’autoévaluation (couplé ou non à d’autres processus extérieurs, comme la revue par les pairs) ;
- doivent être régulièrement réévalués.
En France, un tel dispositif de vigilance a été mis en place pour la chirurgie [1]. Ce mécanisme de vigilance pourrait être étendu à toutes les activités à risque (activités interventionnelles, médecine d’urgence, soins critiques, anesthésie) et plus généralement à toutes les activités de soins. En effet, la mesure du résultat des soins, la comparaison avec un résultat attendu et la mise en œuvre de mesures correctrices en cas d’écart sont requises pour tous les soins. Il s’agit d’une exigence déontologique des médecins et d’une attente légitime des patients avant d’être une exigence réglementaire des tutelles. L’automatisation du recueil d’indicateurs de vigilance à partir de bases de données médico-administratives et de registres, de leur analyse statistique et de leur restitution en temps réel permet un pilotage du résultat des soins. Les indicateurs de vigilance doivent être intégrés au tableau de bord qui permet la gestion de toute production de soins. En cas d’alerte, selon la nature de l’indicateur, l’importance de la déviation par rapport au résultat attendu et le cadre réglementaire, la réponse est variable : revue de dossiers par le service ou l’établissement seulement, revue par des pairs en complément, dialogue entre l’établissement de santé et l’agence régionale de santé, voire inspection administrative. Après correction éventuelle, le suivi de l’indicateur permet de contrôler le retour dans la norme. Pour que les dispositifs de vigilance soient considérés comme une aide à la qualité des soins dans l’intérêt des patients, donc acceptés par les médecins et les établissements de soins, et diffusés et utilisés en routine, il faut une implication des médecins à toutes les étapes du dispositif : choix des indicateurs, des modalités d’ajustement, des seuils ; organisation et participation au système national d’audit clinique par spécialité ; participation avec tous les acteurs à l’évaluation régulière du dispositif de vigilance et à ses évolutions. Les dispositifs de vigilance avec audit externe par des pairs qui existent en Angleterre, en Allemagne et en Suisse apparaissent comme des programmes vertueux ; ils doivent trouver leur place en France au côté des autres éléments de la démarche d’amélioration de la qualité et de la sécurité des soins.
Notes :
1- Agence pour la recherche et la qualité des soins.
2- Indicateurs de qualité des patients hospitalisés, indicateurs de sécurité des patients et indicateurs de qualité en pédiatrie.
3- Conseil australien sur les normes de santé.
4- Service national de santé.
5- Commission de la qualité des soins.
6- Partenariat pour l’amélioration de la qualité des soins de santé.
7- Audit clinique et programme de résultats pour le patient nationaux.
8- Indicateurs allemands de qualité des patients hospitalisés.
9- Commission australienne sur la sécurité et la qualité des soins de santé.
10- Variable life adjusted display, affichage ajusté à durée de vie variable.
11- Cumulative sum.
12- Système de surveillance et d’alerte sur la mortalité.