Longtemps, le signalement des événements indésirables (EI) a été considéré comme le Graal de la sécurité du patient dans les établissements de santé [1]. Il a rapidement été admis que la démarche ne permettait pas une connaissance exhaustive des EI [2] mais qu’elle ouvrait une fenêtre sur le système [3] et contribuait au développement d’une culture de sécurité [4]. La conception des systèmes de signalement et leur utilisation varient selon les pays et évoluent dans le temps. En France, un événement indésirable en santé a été défini en 2004 par l’Agence nationale pour l’accréditation en santé (Anaes) comme une « situation qui s’écarte de procédures ou de résultats escomptés dans une situation habituelle et qui est ou qui serait potentiellement source de dommages1 ». La déclaration de ces événements fait l’objet de nombreuses préconisations internationales depuis plus de vingt ans et a constitué le socle conceptuel de l’amélioration de la sécurité des soins [3,5,6,7]. Le postulat est celui de l’apprentissage à partir des erreurs afin d’éviter leur récurrence et de limiter leurs conséquences dommageables [2,4]. Cependant, l’efficacité de cette déclaration est conditionnée par le cadre opérationnel dans lequel elle s’inscrit et par la finalité de cette déclaration : contrôle, sécurité sanitaire et santé publique au niveau national ou régional, gestion opérationnelle de la sécurité des patients au niveau local [5,8]. Le choix peut se faire entre un système volontaire alimenté par les professionnels, un système volontaire alimenté par les usagers ou un système semi-automatisé de capture d’information à partir des dossiers des patients [2]. En France, la déclaration des EI s’inscrit dans chacun de ces cadres, soit de façon intégrée en ce qui concerne les événements indésirables graves (EIG), soumis à une déclaration obligatoire, soit de façon spécifique en fonction des objectifs de sécurité retenus : système national des vigilances relatives aux produits de santé ou à certains processus (transfusion sanguine, radiothérapie notamment) ou systèmes locaux spécifiques à chaque structure sanitaire ou médico-sociale. Ses modalités pratiques dépendront de ces objectifs et imposent de définir qui déclare, quel type d’événement, à qui et pour quelle utilisation [2,5,6,7,8]. Si les systèmes locaux reposent sur la déclaration volontaire par les professionnels, les systèmes nationaux relèvent d’une obligation réglementaire. La manière d’analyser les événements et les actions correctives qui en découlent dépendent donc du système de signalement.
Pourquoi signaler les événements indésirables ?
La principale raison invoquée est la croyance qu’on peut améliorer la sécurité des patients en apprenant des accidents et des presque accidents plutôt que d’affirmer qu’ils ne sont jamais survenus [9]. Cela suppose que les événements déclarés fassent l’objet d’une analyse pour en identifier les conditions de survenue et les causes ou facteurs favorisants. Ces facteurs doivent faire l’objet de mesures correctives visant à prévenir la récurrence de ces EI, notamment sous une forme plus grave [5,10]. Cette déclaration n’est donc qu’une des étapes d’un dispositif complet de maîtrise des risques. Ce dispositif devrait comprendre un support de déclaration, des règles de confidentialité et d’anonymisation, une démarche de sensibilisation et de préparation des professionnels à la déclaration, l’engagement de non-sanction des déclarants, le choix d’une méthode d’analyse et de validation des propositions d’action, un dispositif de suivi et d’évaluation des résultats, une politique de diffusion des résultats [5]. Le signalement volontaire pourrait favoriser le développement d’une culture de sécurité. Le système national de signalement et d’apprentissage mis en place en Angleterre et au pays de Galles en 2003 est un système de signalement volontaire des EI. L’analyse de ses données en 2004-2005 établit une relation entre la fréquence de déclaration volontaire des EI et certains éléments du climat de sécurité, sans pouvoir établir de lien de causalité entre ces variables [11]. Cependant, plus un établissement émet de signalements vers une base de données centralisée, plus le nombre de signalements augmente avec le temps. Par contre, dans un tel système, il n’a pas été possible d’établir de relation statistique entre la fréquence des signalements et la sécurité du patient estimée à partir d’indicateurs comme la mortalité hospitalière, les infections à staphylocoques dorés résistants à la méticilline, les infections de site opératoire, les escarres de décubitus, ou les EI en rapport avec un dispositif médical [11]. Cela peut tenir à la diversité des bases de données sollicitées, obéissant à des logiques de signalement différentes. Le recours d’incitatifs au signalement volontaire a été développé en France dans le cadre du dispositif d’accréditation des médecins exerçant des spécialités dites à risques. En contrepartie d’un certain nombre de signalements annuels d’EI et de sa participation à au moins une action annuelle d’amélioration des pratiques (dont une réunion de morbidité et de mortalité ou RMM), chaque médecin ou équipe médicale voit une partie de sa prime d’assurance en responsabilité civile professionnelle prise en charge par la Caisse nationale d’assurance maladie. Initialement limitée à une liste restreinte d’EI définie par une instance spécifique à chaque spécialité médicale, la nature des EI à signaler ne souffre d’aucune restriction. Ces EI sont analysés conjointement par le déclarant et par un de ses pairs formé à l’analyse, puis classés dans une base de données hébergée par la Haute Autorité de santé (HAS). Le bilan annuel de ces analyses est publié et consultable2. Ces analyses débouchent en outre sur des recommandations de pratique et d’organisation, relayées par les instances professionnelles. Un tel système ne permet de mobiliser pratiquement que des praticiens libéraux, seuls à bénéficier de l’avantage financier, avec un niveau d’engagement variant entre 0,9% et 76% selon les spécialités. Parallèlement à ce dispositif existent en France plusieurs systèmes nationaux de déclaration obligatoire d’EI dont les plus anciens sont les systèmes de vigilance. Ils ont pour objectif l’amélioration de la sécurité sanitaire et sont essentiellement centrés sur les produits de santé : matériovigilance, hémovigilance, pharmacovigilance et réactovigilance. L’analyse de ces bases de données fournit des informations utiles à l’amélioration de la sécurité du patient, sous réserve que des actions correctives soient entreprises. Cela a été particulièrement utile pour les dispositifs médicaux et certains médicaments à faible marge de sécurité [12,13,14,15]. Depuis 2016, le signalement de tout EIG est une obligation réglementaire pour tout professionnel de santé [16], à travers un portail dédié. La finalité est double. Il s’agit tout d’abord de fournir aux pouvoirs publics une visibilité sur la nature des EIG déclarés, leurs facteurs favorisants (plus que leurs causes) et les mesures correctives apportées par les équipes concernées. Par ailleurs, la publication par la HAS de la synthèse de l’analyse de ces EIG a une vocation pédagogique3. Dans une logique de sécurité sanitaire, chaque agence régionale de santé destinataire du signalement peut décider de déclencher une inspection de l’établissement concerné pouvant déboucher sur des demandes de mesures correctives particulières (notamment de mise en conformité), voire de sanctions administratives. Ce signalement obligatoire tend à faire le lien entre le système national de signalement des EI et les systèmes mis en place dans chaque établissement de santé, soit spontanément, soit dans le cadre de la démarche (obligatoire) de certification (anciennement accréditation) des établissements de santé. Ces signalements, préconisés depuis 2003, ont pour objectif une vision globale des risques afin que leur analyse identifie les défaillances à corriger pour prévenir leur récurrence4. Même en sachant que ce signalement n’est jamais exhaustif, il contribue à vérifier la complétude des analyses de risque a priori [17].
Quels événements signaler ?
En ce qui concerne les EIG à déclaration obligatoire, la réglementation les définit comme des « événement[s] inattendu[s] au regard de l’état de santé et de la pathologie de la personne et dont les conséquences sont le décès, la mise en jeu du pronostic vital, la survenue probable d’un déficit fonctionnel permanent [etc.] » [16]. Il a été établi qu’il existe un lien statistique entre les défaillances dans le processus de prise en charge du patient et la survenue d’un EI clinique [18]. Les événements les plus graves sont souvent précédés de la survenue d’événements de faible gravité. Il est donc intéressant de déclarer et d’analyser les événements peu graves qui auraient pu conduire à la réalisation de complications. C’est pourquoi, outre les EIG, il est utile de signaler les presque accidents, dénommés « near misses » par les Anglo-Saxons et « échappées-belles » au Québec. Il s’agit d’EI survenus au cours de la prise en charge d’un patient, sans conséquence pour celui-ci soit « par chance », soit du fait de l’action des professionnels. Cette récupération ex ante permet une détection de barrières ayant incomplètement fonctionné et dont l’amélioration permet d’espérer de prévenir la survenue d’EI plus graves dans des circonstances analogues [19]. L’utilité du signalement d’EI moins graves, c’est-à-dire sans conséquence en l’absence de toute intervention et des dysfonctionnements, reste discutée. Il n’est pas établi que leur analyse contribue à l’amélioration de la sécurité du patient alors qu’ils surchargent le système et le travail des personnels chargés de l’analyse [8,9]. Indépendamment de leur gravité, certains EI résultent d’une violation. Celle-ci est un manquement délibéré à une règle de sécurité connue et souvent définie réglementairement et expose normalement à des sanctions. Leur analyse est cependant utile car elle révèle volontiers que les conditions locales, voire l’organisation globale, incitent à ces transgressions, justifiant des modifications de l’organisation du travail [20]. Il convient donc de définir une politique locale de déclaration des EI en définissant l’objet, les modalités et l’utilisation du système mis en place.
Comment signaler les événements indésirables ?
Les modalités pratiques du signalement obligatoire dans les systèmes nationaux ou régionaux sont imposées par la réglementation. En France, signaler s’est considérablement simplifié depuis 2016 par la création d’un portail internet dédié5. Il permet aux professionnels de santé, mais aussi aux patients, associations de patients, consommateurs et usagers de signaler tout événement sanitaire jugé indésirable. En ce qui concerne les professionnels de santé et les établissements sanitaires et médico-sociaux, le signalement obligatoire d’un EIG doit être effectué sans délai. Il précise la nature et les circonstances de survenue de l’événement, les premières mesures prises en faveur du patient (soins et information du patient ou des proches), et la prévention de la récurrence de l’EIG mise en œuvre. Une seconde déclaration doit s’effectuer dans un délai de trois mois à compter de la survenue de l’EIG. Elle décrit la façon dont l’événement a été géré et les éléments de retour d’expérience à la suite de l’analyse des causes réalisée dans l’établissement, au besoin avec l’aide de la structure régionale d’appui. Cette déclaration comprend également le plan d’actions correctives et les échéances de sa mise en œuvre et de son évaluation. Si l’EIG est, au moins en partie, causé par un produit de santé ou comprend une infection associée aux soins, le signalement est réorienté vers la structure nationale chargée de son traitement dans le cadre d’une des vigilances sanitaires. Le signalement est guidé par le formulaire imposé. Dans le cadre de l’accréditation des médecins, il s’effectue par voie électronique, guidé par un formulaire à documenter. Il peut ensuite être précisé par un échange avec l’expert désigné par l’organisme de spécialité pour l’analyse de l’EI. Les signalements au système local de chaque établissement devraient idéalement inclure les EIG à déclaration obligatoire et ceux effectués par les médecins accrédités. Cependant, outre la réticence des déclarants à porter à la connaissance de tout l’établissement la survenue d’un EIG, les systèmes informatiques ne sont pas interopérables. De plus, bien que de plus en plus rarement, les signalements internes ne passent pas toujours par un système informatique, alors que le signalement par voie électronique semble plus efficace qu’en utilisant un support papier [21]. En amont de la méthode de signalement, des prérequis sont indispensables [5]. Ils doivent faire l’objet d’un travail préparatoire souvent long mais essentiel pour implanter, diffuser et entretenir la culture nécessaire au succès du projet. La déclaration doit nécessairement garantir la sécurité des déclarants. Cela justifie un engagement explicite et public de la direction de l’établissement et de l’encadrement à ne pas sanctionner les déclarants sous peine de voir les signalements se tarir par crainte de la sanction [22]. Cela exige que le système de déclaration soit indépendant d’une autorité ayant le pouvoir de punir le déclarant et que l’identité des déclarants ne soit pas communiquée à des tiers [5,6]. Il est contre-productif que le signalement soit anonyme. En effet, l’anonymat absolu empêche de revenir vers le déclarant pour préciser son signalement en vue de l’analyse de l’EI et de ses causes et facteurs favorisants. En outre, des signalements anonymes sont vécus comme de la délation et créent un climat de défiance au sein de l’établissement. La pratique habituelle est donc qu’une fois les informations nécessaires à l’analyse colligées, le signalement soit rendu anonyme. L’engagement de non-punition soulève deux problèmes incomplètement résolus actuellement. Le premier concerne l’impossible impunité vis-à-vis de la loi quand le déclarant est jugé responsable de l’EI au terme d’un débat contradictoire arbitré par un juge. Dans les établissements publics, cela relève de la faute détachable du service, seule à ne pas être endossée par l’employeur. Dans les établissements privés, les praticiens libéraux (non salariés par l’établissement) peuvent voir leur responsabilité engagée, non pas du fait de leur signalement, mais des conséquences dommageables de l’acte auquel ils ont concouru et au cours duquel l’EI est survenu. Cela n’a cependant pas empêché le développement du signalement d’EIG dans le cadre du dispositif d’accréditation des médecins. Bien plus complexe est la situation où l’EI survient dans le cadre d’une violation, engendrée notamment par une pression de production du fait de la direction de l’établissement [20,23]. Il y a là une source possible de conflit entre professionnels déclarants et direction qui doit être clarifiée périodiquement pour garantir un climat compatible avec la sécurité des patients [22]. La pérennisation des systèmes de signalement suppose un retour d’information au déclarant, notamment pour que le signalement ait un sens pour chacun [8].
Les systèmes de signalement sont-ils utiles ?
L’utilité des systèmes de signalement locaux fait l’objet de peu d’études, généralement centrées sur la mise en place de ces systèmes, notamment informatisés, évalués à l’aide de l’évolution du nombre de signalements [24,25,26,27,28]. Les données sur les systèmes nationaux ne sont pas beaucoup plus informatives. Cependant, en France, la structure des formulaires de signalement permet de préciser les circonstances de survenue des EI, notamment en ce qui concerne le type d’activité concernée, son degré d’urgence et la complexité des situations cliniques. En outre, la taille de l’échantillon permet idéalement d’identifier des domaines de risques particuliers. Le dispositif d’accréditation des médecins a colligé 128 873 signalements volontaires d’EI de gravité variable de 2007 à 2020. Le dernier bilan annuel publié concerne l’année 2020, où le nombre de signalements a été peu affecté par la pandémie de Covid-196 (1 869 en 2020 contre 2 083 en 2019 [29]), et indique que 74% des EI signalés correspondent à des EI pré-identifiés par les organismes professionnels agréés chargés de le faire. Cela peut s’expliquer par l’historique même du système. En effet, durant les premières années de fonctionnement, il était demandé aux médecins concernés de signaler préférentiellement les EI sélectionnés par l’organisme agréé de chaque spécialité. De ce fait, la base de données est peu informative sur la survenue de nouveaux types d’EI, et sans garantie sur la représentativité de l’échantillon d’EI ainsi analysé. Par conséquent, les leçons qui en sont tirées sont d’une portée limitée en termes d’amélioration de la sécurité du patient. La base de données des EIG à déclaration obligatoire7 a vu le volume de signalements obligatoires passer de 288 en 2017 à 1 081 en 2020 (avec un léger fléchissement par rapport à 2019, vraisemblablement en raison de la pandémie). Ces chiffres sous-estiment largement le nombre d’EIG, estimé entre 160 000 et 375 000, qui se produisent chaque année au cours d’un séjour hospitalier dans un service de médecine ou de chirurgie [30], bien que la définition des EIG soit plus large dans cette étude que celle donnée par la réglementation. Cependant, la progression dans le temps du nombre de signalements suggère une amélioration de la culture de sécurité, ainsi que l’évoquent les résultats britanniques [11]. Dans cette logique, des progrès restent à faire car, malgré l’obligation réglementaire, en 2020, seulement 40% des signalements comprennent le second volet décrivant les mesures correctives entreprises par les établissements.
Comment améliorer les systèmes de déclaration ?
Les systèmes de signalement devraient avoir atteint un niveau de maturité, tant au niveau local que national. Cependant, les résultats disponibles en France posent la question de leur efficacité et de leur efficience. La question de leur amélioration se pose, de même que leur repositionnement dans une politique d’amélioration de la sécurité du patient [31]. Pour cela, plusieurs axes ont été identifiés [8,31,32]. Les freins au signalement persistent comme en témoignent les résultats des systèmes nationaux français et la littérature internationale [1,8,31,32]. La crainte de la sanction reste évoquée, sans qu’il soit possible d’en apprécier le poids dans des contextes judiciaires nationaux différents. Ce poids mérite d’être évalué à l’aune de données établissant que la sous-déclaration n’affecte pas les EI les plus graves [33]. Pour que les déclarants ne se sentent pas en danger, il est recommandé que le système de signalement soit indépendant d’une autorité ayant un pouvoir de sanction, et que l’identité du déclarant ne soit pas divulguée à un tiers [5]. Ce n’est pas le cas en France, pour la déclaration obligatoire des EIG. Cela est d’autant plus gênant que l’autorité sanitaire, dotée d’un pouvoir de police sanitaire, connaît l’identité des personnes effectuant le signalement, l’anonymisation n’ayant lieu qu’au moment de l’analyse de l’EIG par la HAS. Il y a donc un fort enjeu institutionnel, tant au niveau des établissements que des autorités sanitaires. En ce qui concerne les établissements, les équipes de direction ont la responsabilité de créer et d’entretenir le climat de confiance indispensable pour vaincre la crainte de la sanction, même en cas d’EI consécutif à des violations. Outre l’engagement réitéré de non-sanction, le retour d’information vers les déclarants entretient cette confiance, qu’il s’agisse d’un retour rapide accusant réception du signalement ou plus circonstancié sur l’analyse approfondie de l’EI [8,32]. La pertinence de ces analyses et leur impact sur le travail quotidien à travers les mesures correctives préconisées sont susceptibles de conditionner la volonté de signaler par les professionnels de santé. Faire participer les déclarants à l’analyse est à la fois pertinent pour la qualité de l’analyse et valorisant pour le déclarant [10,34]. Cette pratique a permis d’augmenter le nombre de signalements dans les établissements qui l’ont instituée. Cela peut également permettre d’équilibrer les mesures correctives prescrites entre les professionnels de première ligne et les gestionnaires de l’établissement, ce qui n’est pas toujours le cas. Il a été établi dans un hôpital suédois que la majorité de ces mesures (69%) concernent les professionnels de première ligne, 28% l’échelon intermédiaire d’encadrement et seulement 3% le niveau de la direction. Bien plus, sur l’ensemble des mesures préconisées, 45% sont mises en œuvre, 33% ne le sont pas et, pour 22%, les professionnels ignorent si elles ont été mises en œuvre ou pas [35]. Dans de telles conditions, maintenir la mobilisation et convaincre les professionnels de l’utilité de signaler est une gageure. Il est par ailleurs difficile de garantir un retour d’information circonstancié dans des délais raisonnables vers les déclarants quand le volume des signalements croît. Cet élément est susceptible de saturer le système avec des événements dont l’analyse est peu contributive pour la sécurité des patients [8]. Cela pourrait inciter à demander de ne signaler que des EI de niveau de gravité suffisamment élevé. Le risque est de négliger les presque accidents dont le traitement permettrait de prévenir la survenue d’EIG dans des circonstances similaires. En outre, le coût du système, pour former les professionnels, entretenir le rythme des déclarations, et recueillir et analyser les données, peut être supérieur à celui de l’application de recommandations déjà établies [36]. La charge de travail d’une analyse en profondeur est considérable, estimée entre 20 et 90 heures pour une analyse des causes profondes et la formulation de recommandations pour l’amélioration de la sécurité des patients. Cela représente une charge horaire de 12 à 150 heures-homme [35,37].
Conclusion
La place des systèmes de signalement des événements indésirables reste donc à redéfinir. L’estimation par la même méthode du nombre d’EIG en rapport avec l’hospitalisation en France varie peu de 2004 (175 000-250 000) à 2009 (275 000-395 000) et à 2019 (160 000-375 000), alors que leur définition reste stable [30,38]. Parallèlement, les signalements obligatoires ne représentent qu’une très faible proportion de ces EIG, sans qu’il soit possible de savoir si leur typologie est superposable. On peut donc douter de la pertinence du décompte des EIG par le biais du signalement ou de toute autre méthode vis-à-vis de l’évaluation de la sécurité des patients. L’hypothèse a été formulée il y a déjà presque dix ans que, dans un monde en rapide évolution, il est plus important de développer des organisations apprenantes que de compter les EI [1]. C’est souligner la primauté de l’échelon local dans la maîtrise des risques associés aux soins, dans la mesure où les conditions de survenue des EI dépendent de facteurs locaux. L’échelon national gagnerait à colliger les signalements internes d’EI et d’EIG jugés rares voire exceptionnels par les établissements afin de les regrouper et ainsi d’identifier des risques émergents [1]. Recentrer le signalement de routine sur les établissements devrait conduire à s’interroger sur l’utilité d’associer des patients ou le représentant des usagers (RU) à leur analyse. Le RU est déjà réglementairement destinataire des EIG survenus par tranche de douze mois [39]. En faire un « vrai » partenaire de la sécurité des patients est une hypothèse soulevée par certains, qui soulignent l’apport de ce regard à la fois extérieur et expert, au prix d’un inconfort pour l’établissement et les professionnels [1]. Les professionnels identifient 35% des signalements effectués par les patients comme ayant de possibles conséquences sur la sécurité des patients [40]. Ainsi, deux décennies après avoir promu les regards croisés entre tous les acteurs du soin sur la sécurité des patients, le temps est sans doute venu d’y associer les patients eux-mêmes, au moins pour le signalement des événements indésirables.
Notes :
1- https://www.aehm.fr/doc/21/gestion-des-risques-anaes.pdf (Consulté le 22-09-2022).
2- https://www.has-sante.fr/upload/docs/application/pdf/2021-04/196_rapport_d_activite_2020_0a_cd_2021_03_25_vd.pdf (Consulté le 22-09-2022).
3- https://www.has-sante.fr/upload/docs/application/pdf/2021-12/pdf_retour_experience_national.pdf (Consulté le 22-09-2022).
4- https://www.has-sante.fr/upload/docs/application/pdf/manuel_juin_03-v1.pdf (Consulté le 22-09-2022).
5- www.signalement-sante.gouv.fr (Consulté le 22-09-2022).
6- Coronavirus disease 2019, maladie à coronavirus 2019.
7- https://www.has-sante.fr/upload/docs/application/pdf/2021-12/pdf_cahier_technique.pdf (Consulté le 22-09-2022).