Ces temps derniers, notre revue a reçu quelques textes issus de travaux utilisant une « méthode mixte ». Nous ne sommes d’ailleurs pas la seule : si en 1983 Medline ne référençait que 503 travaux faisant plus ou moins référence à une « mixed-method », on en dénombrait 27 173 trente ans plus tard. Un développement explosif ! Depuis 2007, existe même un Journal of Mixed Methods Research.
Précisons les choses. Selon John Creswell qui fait autorité en la matière, il s’agit de « la collecte ou l’analyse de données quantitatives et qualitatives dans une seule étude dans laquelle les données sont collectées simultanément ou séquentiellement, se voient accorder une priorité et impliquent l’intégration à un ou plusieurs stades du processus de recherche ». « Intégration » est le mot-clé. Dans un récent éditorial de la revue Hygiènes1, j’ai en effet pointé un risque : celui d’un abus de langage, d’une simple juxtaposition de données issues de travaux sans véritable cohésion, ni logique d’intégration. Associer dans une publication des données qualitatives et quantitatives – même intéressantes et concernant le même sujet – ne suffit donc pas à qualifier une « méthode mixte ».
Les méthodes mixtes ont été développées depuis quelques décennies seulement. Elles font déjà l’objet de nombreuses recommandations méthodologiques2,3,4,5. Surtout, elles ont diffusé rapidement – en sciences sociales, en sciences de l’éducation, en management et puis en sciences de la santé. La raison en est le constat qu’un point de vue unique sur une réalité complexe et pluriprofessionnelle, par exemple la gestion de la qualité et des risques, épuise rarement le sujet et oriente mal les décisions.
Il est vrai aussi que le mixage n’est pas simple : dans notre domaine, l’approche qualitative est principalement orientée vers l’analyse subjective du vécu des patients, des soignants et autres acteurs et de leurs interactions mutuelles et avec leur environnement (équipe, organisation, matériel…) tandis que l’analyse quantitative, le plus souvent descriptive et quelquefois expérimentale, éventuellement randomisée, voire en double aveugle, peut apporter des connaissances sur les faits eux-mêmes et sur les relations entre telles causes (situation à risque, méthodes prise en charge…) et tels effets. L’une et l’autre ont leur logique propre et des partisans souvent résolus.
Aussi ce mariage de la carpe et du lapin dans une même démarche de recherche est plutôt délicat d’autant que la nécessaire intégration – le concept clé, rappelons-le – doit concerner toutes les étapes de la recherche : la question posée à laquelle on souhaite répondre, les designs d’études et les méthodes d’analyse, les résultats et leur interprétation. Récemment deux chercheurs de l’Université du Michigan à Ann Arbor6 ont rappelé cette dimension dans le BMJ Quality & Safety.
Soulignons aussi qu’il s’agit de méthodes mixtes pour la recherche, donc construites pour accepter ou rejeter une hypothèse formalisée. L’ensemble des approches – interdisciplinaires et complémentaires – et l’ensemble des variables étudiées doivent explorer rigoureusement cette hypothèse initiale commune selon un déroulement et des interactions logiques.
Ensuite les designs d’étude et les différentes modalités d’intégration des données et des résultats doivent être pensés explicitement et présentés dans le protocole, puis dans le compte rendu de recherche.
Plusieurs modèles d’intégration des étapes de la recherche ont été rapportés :
- Un premier modèle est le déroulement parallèle et indépendant des approches quantitatives et qualitatives, l’interprétation des résultats intégrant l’ensemble des observations réalisées pour une compréhension de la problématique étudiée plus globale et plus sûre si les observations sont convergentes bien sûr.
- Le second est un déroulement successif, l’approche quantitative étant réalisée en premier et le qualitatif secondaire apportant des informations supplémentaires venant éclairer les observations quantitatives.
- Le troisième modèle fonctionne dans l’autre sens : fort des résultats de l’enquête qualitative initiale, une approche quantitative complémentaire va les tester (s’agissant d’une technique ou d’un mode d’intervention par exemple) et les généraliser en prenant en compte un grand nombre de personnes.
- Enfin un séquençage construit de plusieurs étapes quantitatives et qualitatives peut permettre d’affiner progressivement la compréhension de la problématique étudiée, ceci devant aussi prendre en compte les contradictions paradoxales possibles entre les résultats des différents designs, pour générer de nouvelles hypothèses. Ainsi si l’ensemble des méthodes doivent être définies a priori, elles peuvent aussi évoluer en fonction des observations réalisées et de nouvelles hypothèses.
Les innovations délibérément méthodologiques en recherche sont rares. En voilà une qui peut se révéler pertinente pour l’avenir de notre domaine de travail. Cela suppose un effort de formation des professionnels et des chercheurs concernés et notre réseau de structures d’appui pourrait être d’un grand secours. Cela suppose que des équipes de recherche pluridisciplinaires soient développées. Cela suppose enfin que les décideurs se saisissent du potentiel d’analyse en profondeur des méthodes mixtes pour en faciliter le développement et en utiliser les résultats en pratique. En avant avec les méthodes mixtes de recherche !
Notes :
1- Fabry J. Mixer les carottes, et aussi les méthodes. Hygiènes. 2023;31(4):271-272.
2- Creswell JW, Plano Clark VL. Designing and conducting mixed methods research. 3rd edition. Thousand Oaks: Sage publications, 2017. 520 p.
3- Small ML. How to conduct mixed methods study : recent trends in a rapidly growing literature. Annu Rev Sociol. 2011;38:44-53.
4- Hitchcock JH. The routledge handbook for advancing integration in mixed methods research. Londres: Routledge, 2022. 634 pages.
5- Guevel MR, Pommier J. Recherche par les méthodes mixtes en santé publique : enjeux et illustration. Santé publique. 2012;24(1):23-38.
6- Guetterman TC, Manojlovich M. Grand rounds in methodology : designing for integration in mixed methods resesearch. BMJ Qual Saf. 2024;1:1-9.