Le sujet peut surprendre. Pourquoi parler de nouveaux modes de management au sujet de la promotion de la qualité et de la sécurité des soins ?
La qualité est généralement rattachée à l’expertise clinique. Le terme « management » est ambigu, et l’idée que de nouveaux modèles apportent une valeur ajoutée à la qualité et la sécurité des soins reste assez obscure. Pourtant, l’enjeu est de taille. Il nécessite au préalable une clarification de la notion de management lorsqu’elle est appliquée à la santé.
Pour beaucoup, le management a une vision péjorative. Il a imposé aux soignants des logiques comptables et les a ensevelis sous les exigences bureaucratiques. Perte de sens, fardeau administratif, rentabilité d’entreprise, tous ces maux sont rattachés à une gestion qui serait déconnectée de la réalité. Si les maux sont réels, le diagnostic est erroné. Aucun pays ne peut se passer d’une régulation économique des dépenses de santé. La régulation économique n’est pas le management, qui se comprend comme l’ensemble des méthodes et outils de l’action collective. La réalité est que les maux actuels, en matière de qualité, et sur le plan économique et de l’attractivité, proviennent en grande partie d’un manque de management.
Enjeu de taille…
Il faut avoir conscience que l’organisation de la prise en charge d’un malade n’a plus grand-chose à voir avec ce qu’elle pouvait être il n’y a même pas dix ans. Les nouvelles options thérapeutiques, la possibilité dans de nombreuses maladies chroniques d’éviter l’hospitalisation, ont introduit de nouvelles questions de coordination. Les professionnels, médecins, infirmières, pharmaciens ont à coopérer pour que le patient ait un parcours de santé cohérent. Les situations de crise sont devenues en même temps plus fréquentes (attaques terroristes, inondations, pandémie de Covid-19), créant plus d’incertitudes.
Face à ces évolutions, c’est tout un management sur le terrain qu’il convient de construire. Il est nécessaire pour résoudre des défauts criants et répétés. Au niveau des équipes, le manque de reconnaissance au travail, l’absence de gestion des conflits et, d’une manière plus générale, l’incapacité à fédérer un esprit d’équipe sont les plus notables [1]. Au niveau de l’hôpital, les difficultés rattachées aux relations hiérarchiques établies entre les directions de l’établissement et les équipes de soins sont également fréquemment rapportées. La régulation disjointe entre les directions et les équipes de soins (chacun opérant de manière distincte et sans coordination) conduit, lorsqu’elle existe, à un sentiment d’abandon et un manque de confiance des professionnels sur le terrain [2]. Une relation exclusivement descendante alimente également une perte du sens des missions, surtout lorsque le rapport hiérarchique impose un exercice régulier de reddition de comptes (les « fichiers Excel à remplir »), ou empêche l’autonomie de l’action locale. En matière de parcours, la coordination entre l’hôpital, la ville et le médico-social reste aussi un leitmotiv. Malgré les efforts, la coopération entre acteurs à distance reste encore un sujet majeur. Dans tous ces défauts, la cause est managériale, au sens d’un défaut de l’action collective.
L’enjeu d’une création de nouveaux modèles de management pour pallier cette situation est de taille. Il l’est d’abord en matière de qualité. La non-qualité provient pour une grande partie (entre 50% et 70% selon les études) de défauts d’organisation, d’une mauvaise communication dans les ordonnances entre la ville et l’hôpital par exemple. Même lorsque l’erreur est jugée individuelle, elle est le plus souvent le résultat d’un dysfonctionnement organisationnel. Ce sont des dysfonctionnements organisationnels le long du parcours du patient qui engendrent le plus souvent les événements indésirables. En cas de menace, la résilience requise est aussi organisationnelle. Si le système hospitalier a pu faire face à la pandémie de Covid-19, c’est bien parce que la crise a été gérée sur le terrain par une coopération entre soignants et directeurs d’établissement [3]. En parallèle, l’enjeu concerne également des questions économiques et d’attractivité. Rappelons que 5% à 10% des dépenses de santé sont liés à des défauts de mise en œuvre (des doublons ou des venues à l’hôpital injustifiées). De même, 25% à 40% du temps de travail quotidien des professionnels de santé est consacré aux rattrapages de défauts d’organisation. Or, cette mobilisation à résoudre des problèmes organisationnels n’est pas anodine dans la perte d’attractivité des métiers du soin. Elle n’est pas non plus anodine en matière de qualité. Une plus grande fatigue au travail engendre plus de risque d’erreurs. C’est un cercle vertueux qui est à construire avec l’instauration de nouveaux modèles de management.
…mais mal perçu
Les méthodes et les outils de ces nouveaux modèles sont connus. Animation d’équipes fédératrice, reconnaissance du travail accompli, réduction des hiérarchies et plus grande autonomie des équipes de soins, innovations dans l’organisation quotidienne, coopération au-delà des frontières physiques de l’hôpital et des différences de statut, en sont les caractéristiques principales. Ils requièrent un ensemble de compétences pratiques sur la coordination, le travail d’équipe, et l’esprit d’innovation organisationnelle, car contrairement à une idée répandue, ces méthodes s’apprennent [4].
Le paradoxe est que rien, aujourd’hui, n’est établi dans le domaine. Certains acteurs expriment bien le besoin de travailler ensemble, ou affirment la nécessité d’approches plus participatives et bienveillantes. D’autres soulignent l’importance de « travailler ensemble », ou proposent d’engager un projet managérial. Mais il n’existe pas de cadre général qui permette de concevoir et mettre en place ces projets encore dispersés. L’enjeu est mal perçu.
Une politique incitative apparaît nécessaire pour structurer ces démarches, notamment dans l’optique de la promotion de la qualité des soins. Il faut former à ces compétences pratiques de coopération, de gestion de projet ou de gestion des conflits. Le public concerné par ces formations est large, avec un accent particulier au niveau des membres des équipes de soins. Certains établissements se sont déjà engagés dans cette voie en favorisant la création d’une dynamique collective pluri-professionnelle, les cadres de santé et les infirmiers y apparaissant particulièrement concernés. Le rapport du Pr Olivier Claris insiste lui aussi sur la nécessité d’une formation continue des médecins sur ces sujets [5]. Dans la même veine, il faut également évaluer et recruter les responsables hospitaliers (managers, médecins ou cadres de santé) sur leur capacité managériale, notamment sur leur attitude à fédérer, et à créer un climat psychologiquement serein au sein des équipes. L’objectif est de rendre la démarche systématique. Former, évaluer et recruter les professionnels de santé et les managers hospitaliers en fonction de leurs compétences managériales constituent un ensemble. Ces trois pistes n’éteignent pas le sujet. D’autres sont certainement à étudier, notamment au niveau de modes de paiement collectif incitant au travail d’équipe. C’est le management qu’il faut développer, mais un management de terrain centré sur le parcours du patient dans lequel les tutelles guident et accompagnent l’initiative locale.
Références
1- Edmondson AC. Teaming: How organizations learn, innovate, and compete in the knowledge economy. San Francisco, CA: John Wiley & Sons, 2012.
2- Moisdon JC. Régulation conjointe ou régulations disjointes ? Une lecture gestionnaire des évolutions récentes du système hospitalier français. Sciences de la société 2009:77;2-16.
3- Dumez H, Minvielle E. Voyage au cœur du système de santé. 100 témoignages pour apprendre à gérer avec la crise. Ed. Eska, 2021.
4- Minvielle E. Le patient et le système. Paris: Ed. Seli Arslan, 2018.
5- Mission sur la gouvernance et la simplification hospitalières confiée au Pr Olivier Claris, Paris 2020.156 p. Accessible à : https://sante.gouv.fr/IMG/pdf/rapport_claris_version_finale.pdf (Consulté le 07-03-2023).