Quand en 2004, avec quelques collègues enthousiastes, nous avons créé la revue Risques & Qualité, nous n’étions pas à l’abri d’une certaine naïveté. La gestion des risques et celle de la qualité étaient alors conçues dans un même mouvement, comme sœurs jumelles, et même siamoises. Et on considérait que la maîtrise des risques devait être un socle incontournable pour une médecine de qualité, avec la formation professionnelle et quelques autres broutilles. L’objectif était d’ailleurs à notre portée au prix d’une démarche rigoureuse, d’une attitude non punitive et d’une écoute respectueuse des professionnels de santé. Des progrès substantiels dans la maîtrise des infections dites alors nosocomiales, avaient été observés dans la décennie précédente1. Ils montraient le chemin.
Avec maintenant un peu de recul, on peut constater que les efforts de tous, au niveau des institutions et à celui des équipes hospitalières, ont porté leurs fruits. De nombreuses publications dans notre revue ont présenté ces initiatives et leurs résultats. Deux publications récentes signalées dans notre rubrique d’actualités illustrent cette évolution. La première est celle de l’Agency for Healthcare Research and Quality (USA) qui rapporte que les taux d’événements indésirables liés aux soins de santé en milieu hospitalier ont considérablement diminué aux États-Unis au cours de la décennie qui a précédé le début de la pandémie de Covid-19, avec notamment des baisses significatives pour les patients atteints de crises cardiaques, d’insuffisances cardiaques, de pneumopathies et pour les interventions chirurgicales majeures. La seconde nous importe particulièrement, qui rapporte les résultats de l’étude Eneis 3 avec là aussi une réduction des risques d’événements associés aux soins entre 2009 et 2019. Le sujet n’est pas clos, mais la sécurité est au rendez-vous.
Dans ce numéro, René Amalberti présente son riche parcours2 entre sécurité industrielle, sécurité des transports et sécurité des soins de santé. Une expérience essentielle pour aller plus loin dans notre pratique. Il nous invite à ne pas rester « à la surface des choses » et à introduire dans notre réflexion plusieurs réflexions issues de ses expériences variées. Comme la nécessité d’arbitrages et de compromis entre les demandes prioritaires liées à telle ou telle situation de soins (« la sécurité est toujours en compétition avec d’autres objectifs » rappelle-t-il), et la capacité des professionnels d’identifier l’erreur, de la corriger et de s’enrichir de cette expérience. Il nous rappelle aussi que le modèle même de la sécurité est intrinsèquement différent si on se situe dans des environnements différents, par exemple des soins en Ehpad, des urgences, un bloc opératoire, une pharmacie ou une stérilisation hospitalière. Il faut s’adapter, faire les compromis utiles au niveau où cela est nécessaire.
À la fin de sa présentation, René Amalberti résume une réflexion développée dans un autre article récent3 que j’invite les lecteurs à consulter. Il part d’un constat « très étrange », celui d’une dissonance factuelle et cognitive entre trois évolutions constatées depuis quelques dizaines d’années : celle de la performance technique des soins, celle de la sécurité des mêmes soins et celle du niveau de satisfaction plus ou moins partagé par les professionnels, les patients et la population. Les deux premières connaissent des améliorations remarquables quand la troisième se dégrade de façon continue ce qui conduit à la situation de crise que l’on connaît. Ainsi la performance et la sécurité ne fondent pas nécessairement la qualité. Il y a bien d’autres dimensions que nous devrions prendre davantage en compte dans notre revue au vu des difficultés présentes. L’auteur avance d’ailleurs quelques « visions explicatives » à ces contradictions : elles devraient faire débat dans le petit monde de la gestion des risques en santé.
Notes :
1- Progrès bien illustrés par l’évolution des indicateurs produits par des réseaux de surveillance (dits Raisin) aujourd’hui abandonnés.
2- Amalberti R. Compromis, benchmark, et approche système : trois mots-clés qui ont rythmé mon parcours sur la sécurité du patient. Risques & Qualité 2022;19(4):236-239.
3- Amalberti R. Dissonance croissante – voire découplage – entre malaise social, indicateurs de qualité en berne et bons résultats de sécurité. L’exemple de la médecine. Tribunes de la sécurité industrielle 2022;2:1-8.