La pratique du numérique dans le domaine de la santé est aujourd’hui une réalité. Les patients prennent rendez-vous sur internet, procèdent à leur pré-admission en ligne, les professionnels de santé utilisent un dossier patient informatisé, ils pratiquent des téléconsultations, ont recours à la télé-expertise, des systèmes d’aide à la décision apparaissent dans les cabinets de radiologie. Des applications de santé sont utilisées pour le suivi des maladies chroniques, et des capteurs connectés alimentent des dispositifs de télésurveillance. Le virage numérique de notre système de santé est d’ores et déjà engagé, la crise sanitaire ayant joué un rôle d’accélérateur1.
Pourtant, de nombreuses études ont rapporté que si les patients, les professionnels de santé, et plus généralement les utilisateurs du numérique en santé sont partants pour bénéficier des avantages du numérique en santé ce n’est pas à n’importe quel prix. Pas question en effet de sacrifier la qualité d’une relation de soins humanisée, la valeur de l’écoute et la force de l’empathie. Ainsi, afin de garantir les usages du numérique en santé, il faut s’attacher à développer un numérique en santé qui présente des qualités capables de répondre aux questionnements éthiques des utilisateurs : quels sont les traitements opérés sur mes données de santé ? comment être sûr de la confidentialité des données ? où sont localisés les serveurs qui hébergent les données sensibles que sont les données de santé ? Le numérique en santé sera citoyen, souverain et humaniste ou il ne sera pas ! Il est donc critique que le développement des outils du numérique en santé et leurs usages s’inscrivent dans un cadre de valeurs éthiques, tel qu’introduit dans la loi Ma Santé 2022, mais qui reste à formaliser afin de permettre aux éditeurs des solutions numériques en santé de s’y inscrire et aux utilisateurs de ces solutions d’avoir des pratiques qui s’y conforment. Mais comment rendre opérationnelle, cette notion abstraite de l’éthique du numérique en santé ?
Le code de déontologie définit l’éthique médicale selon quatre piliers : la bienfaisance, la non-malfaisance, la justice ou l’équité et l’autonomie. Ces quatre notions s’expriment au niveau du serment d’Hippocrate avec des termes extrêmement contemporains : « je respecterai toutes les personnes, leur autonomie et leur volonté, sans aucune discrimination » ; « j’interviendrai pour les protéger si elles sont affaiblies » ; « j’informerai les patients des décisions envisagées, de leurs raisons et de leurs conséquences », « je ne tromperai jamais leur confiance », « je tairai les secrets qui me seront confiés ». Si on croise l’éthique médicale avec l’éthique du numérique qui inclut des notions telles que la facilité d’utilisation, l’accessibilité à tous, un numérique au service de son utilisateur et des considérations d’écoresponsabilité, on peut définir l’éthique du numérique en santé.
La cellule éthique de la Délégation ministérielle au numérique en santé a ainsi défini l’éthique du numérique en santé autour de quatre dimensions élevées au niveau de principes éthiques européens à l’occasion de la présidence française du Conseil de l’Union européenne : inscrire le numérique en santé dans un cadre de valeurs humanistes, donner aux citoyens le contrôle sur leurs données de santé, développer un numérique en santé inclusif et mettre en œuvre un numérique en santé écoresponsable. Ces principes portés par la France au sein de l’Europe ont en effet été acceptés par l’unanimité des États membres le 2 février 2022, ils constituent la feuille de route de l’éthique du numérique en santé au niveau de l’Europe. Ce sont également les principes qui définissent les enjeux éthiques du numérique en santé en France.
Ces enjeux éthiques s’appliquent à tout objet du numérique en santé. Or il en est un, particulièrement emblématique, offert aux citoyens français depuis janvier 2022, l’espace numérique de santé, encore appelé Mon espace santé. Mon espace santé est ouvert à tous les citoyens sauf s’ils s’y opposent. Il propose essentiellement quatre services : un dossier médical, une messagerie sécurisée citoyenne, un agenda de rendez-vous médicaux synchronisé et un magasin d’applications de santé dont l’État garantit les qualités en matière de sécurité, d’interopérabilité et d’éthique. Est-ce que Mon espace santé répond aux enjeux éthiques définis pour le numérique en santé ?
Tous les efforts ont été mis en œuvre afin de garantir que Mon espace santé réponde effectivement aux attentes éthiques des citoyens. Tout d’abord, et afin de ne laisser personne de côté, Mon espace santé a été co-construit avec et pour les citoyens. À partir de 2019, des ateliers citoyens rassemblant plusieurs centaines de personnes ont permis d’aller à la rencontre des gens, de s’appuyer sur leur expérience d’usagers, d’apprécier leurs attentes et leurs craintes vis-à-vis du numérique en santé, et de tester de nouveaux usages. Cette initiative a été relayée par le comité citoyen mis en place en 2021 afin d’inscrire définitivement les citoyens dans la gouvernance du dispositif et de répondre au premier des principes européens2 « inscrire le numérique en santé dans un cadre de valeurs humanistes ».
Par ailleurs, une des préoccupations majeures des citoyens est de savoir qui a accédé à leurs données de santé, quand et pour quoi faire. En permettant au citoyen titulaire de choisir les professionnels de santé qui auront accès à son dossier médical, d’être informé de tout premier accès d’un professionnel de santé à son dossier médical, de consulter le journal des accès de tous les professionnels de santé qui auront réalisé des actions en lecture/écriture sur son dossier médical, Mon espace santé permet de répondre à cette interrogation et répond ainsi au deuxième des principes éthiques européens « donner aux citoyens le contrôle sur leurs données de santé ».
Mon espace santé répond également aux enjeux du numérique inclusif, troisième principe éthique européen. En effet, le problème des fractures numériques est majeur avec 13 millions de Français touchés par l’illectronisme3. Ainsi, le dispositif des ambassadeurs a été mis en œuvre afin de créer un réseau de structures et de personnes sur le terrain qui aident les citoyens et notamment les plus éloignés du numérique à prendre en main Mon espace santé. Un pilote de ce dispositif a eu lieu au deuxième semestre 2021 en Haute-Garonne avec des ambassadeurs qui ont réalisé une cinquantaine d’actions (stands de sensibilisation dans les salles d’attente d’hôpitaux, webinaires, intervention auprès des étudiants en pharmacie, etc.). Le dispositif est en cours de généralisation et des coordinateurs régionaux des ambassadeurs Mon espace santé vont progressivement arriver dans chaque région. Ils seront chargés de la mobilisation et de l’animation des acteurs territoriaux (agences régionales de santé, GRADes4, caisses primaires d’Assurance maladie, conseillers numériques France service, aidants professionnels, élus, bénévoles, etc.) pour favoriser l’usage de Mon espace santé par toutes les personnes indépendamment des appétences pour le numérique de chacun.
Enfin, parce que le numérique en santé, bien qu’immatériel, a un impact sur l’environnement et le réchauffement climatique, il importait que Mon espace santé soit exemplaire sur la dimension de la responsabilité environnementale. Ainsi parmi les critères éthiques des applications de santé qui candidatent au référencement dans le magasin de Mon espace santé, certains critères visent spécifiquement à évaluer l’engagement des éditeurs de ces applications dans une démarche d’écoresponsabilité et un écoscore leur est proposé, afin qu’ils calculent l’impact environnemental de leur outil. Cet écoscore a par ailleurs vocation à être rendu public pour les applications référencées, en commençant par l’écoscore de Mon espace santé.
Ainsi, le ministère de la Santé et l’Assurance maladie ont travaillé ensemble afin que Mon espace santé réponde aux enjeux éthiques identifiés en amont du développement et du déploiement de cet outil numérique offert aux citoyens français. Mais l’éthique est une notion abstraite mouvante et nul ne sait si de nouveaux questionnements n’apparaîtront pas à l’issue de quelques semaines ou quelques mois d’utilisation de Mon espace santé. Aussi, il faudra être vigilant et à l’écoute des usagers afin de faire évoluer l’outil en conséquence. Car si le numérique en santé doit être éthique pour favoriser l’adhésion des utilisateurs et donc les usages, à l’inverse, il n’est pas éthique de développer un numérique en santé non utilisé (par méfiance ou par défiance de la part des usagers), ne permettant pas aux citoyens et donc aux patients d'en bénéficier.
Notes :
1- 49% des Français déclarent avoir utilisé un nouvel outil numérique de santé au cours de la pandémie Covid. Voir le sondage OpinionWay sur : https://www.opinion-way.com/fr/sondage-d-opinion/sondages-publies/marketing/sante/opinionway-pour-les-assises-citoyennes-du-numerique-en-sante-les-francais-et-le-virage-numerique-en-sante-novembre-2020.html (Consulté le 17-03-2022).
2- Commission européenne. Principes européens pour l’éthique du numérique en santé [internet]. Janvier 2022. 1 p. Accessible à : https://solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/220131_european_ethical_principles_for_digital_health_fr_eng.pdf (Consulté le 15-03-2022).
3- Voir : https://www.publicsenat.fr/article/politique/13-millions-de-francais-touches-par-l-illectronisme-selon-jacques-toubon-182708 (Consulté le 15-03-2022).
4- Groupement régional d’appui au développement de la e-Santé.