Edito | Vous avez dit pertinence ?

On a tous à l’esprit le malade imaginaire de Molière et l’impertinence médicale furieuse à laquelle il s’est soumis. Malgré tout, la pertinence des soins n’aura guère été un sujet dans le passé, les décisions de soins émanant d’autorités contestables mais incontestées. Heureusement il en est allé différemment au XXe siècle.

Où et quand a-t-on commencé à se préoccuper de la pertinence des soins ?

Aux États-Unis, la problématique de la Qualité des soins a pris forme dès les années quatre-vingt, grâce aux travaux d’Avedis Donabedian [1]. Puis, au début des années quatre-vingt-dix, ce fut le tour de la Pertinence de faire l’objet d’un large débat public à la suite des travaux de la Rand Corporation de l’Université de Californie [2]. Leur mérite ? Avoir apporté un éclairage objectif sur ce qu’on appelle maintenant les soins pertinents ou le « juste soin », ceux pour lesquels « le bénéfice escompté pour la santé est supérieur aux conséquences négatives attendues […] d’une façon suffisante pour estimer qu’il est valable d’entreprendre la procédure, indépendamment de son coût [3]. » Une importante clarification…

Cet intérêt pour la pertinence a aussi bénéficié des nombreux travaux nord-américains et britanniques mesurant les variations géographiques (par défaut ou par excès, c’est toujours la question !) dans la délivrance des soins (taux d’hospitalisation, taux d’intervention, taux d’investigation, taux de prescription…) sans que soit montrée une relation de ces variations avec des résultats de santé. Saluons particulièrement le travail de John Wennberg (décédé cette année) qui a consacré sa vie de chercheur à explorer ce problème. En 2013, il conclut : « Les données suggèrent que les variations chirurgicales résultent principalement des différences dans les croyances des médecins concernant les indications de la chirurgie et de la mesure dans laquelle les préférences des patients sont prises ou non en compte dans les décisions de traitement [4]. »

Et en France ?

En France, bien que 20 à 25% des actes de soins aient pu être considérés comme inutiles (selon différentes sources dont la Cour des comptes), la prise de conscience a été plus tardive. Le Pr Claude Béraud, alors médecin-conseil national Cnam, eut beau tirer la sonnette d’alarme dès 1992 [5], il a fallu attendre 2005 pour que la Cnam publie (et présente au Parlement) chaque année un réel plan d’action de « maîtrise médicalisée » des dépenses de soins avec une attention particulière pour la pertinence des soins, pour leur conformité avec les recommandations afin d’éviter les gaspillages. De nombreux dispositifs sont alors mis en place par l’Assurance maladie avec des résultats variés. En fait, pour les professionnels et les établissements, ces initiatives furent perçues comme de simples outils de maîtrise des coûts, et non comme un réel effort de promotion de la qualité du système de soins. Cela viendra plus tard.

« La bonne intervention de santé, au bon moment, au bon endroit, pour le bon patient » telle est la définition des soins pertinents établie par la HAS et largement acceptée depuis. Elle rejoint celle du ministère de la Santé : « Un soin peut être qualifié de pertinent, lorsqu’il est dispensé en adéquation avec les besoins du patient, sur la base d’une analyse bénéfices/risques, et conformément aux données actuelles de la science, aux recommandations de la Haute Autorité de santé (HAS) et des sociétés savantes, nationales et internationales ». Sur cette base, les initiatives se multiplient :

  • publication par le ministère (DHOS) d’un guide méthodologique en 2012 [6],
  • premier rapport de l’Assurance maladie en 2013 : Améliorer la qualité du système de santé et maîtriser les dépenses : les propositions de l’Assurance maladie pour 2014 avec une analyse de quatre domaines : la chirurgie bariatrique, les thyroïdectomies, le traitement du cancer de la prostate et la cholécystectomie pour lithiase vésiculaire,
  • rapport au Sénat Améliorer la pertinence des soins en 2017 [7],
  • élaboration par la HAS d’un guide (DPC) au sujet de la Revue de performance des soins [8],
  • rapport de l’Académie de médecine La pertinence des actes médicaux coordonné par R. Mornex et J. Orgiazzi en 2019 qui met en avant la qualité de la formation professionnelle [9],
  • réunion en avril 2024 à Dijon de la Conférence des directeurs généraux de CHU (commission Qualité) sur Pertinence et développement durable (point de départ d’une série d’articles dans la revue Risques & Qualité),
  • publication en août 2024 d’un Dossier ADSP/HCSP Pertinence des soins et variations des pratiques médicales coordonné par A. Fouchard et P. Michel,
  • et c’est aussi le sujet de la 25e édition des Jiqhs organisées par la Fédération hospitalière de France en novembre 2024.

Pertinence vs qualité ?

Certains avaient pensé que la réduction des soins non pertinents (qui est censée rapporter de l’argent) serait prioritaire par rapport à la promotion de la qualité (qui peut en coûter, au moins initialement). Cela est une absurdité : les choses doivent aller ensemble avec un même dynamisme et une même finalité. La promotion de la pertinence est partie prenante d’une politique globale de la Qualité. Elle renforce la soutenabilité de notre modèle médico-social, la satisfaction des soignés et celle des soignants. L’enjeu est donc de prendre en compte l’ensemble des enjeux du schéma.

Certes le sujet n’est pas facile à mettre en pratique. Les connaissances scientifiques ne sont pas toujours au rendez-vous. La balance bénéfices/risques peut être difficile à régler. Les critères de pertinence peuvent être insuffisants et sont fatalement remis en cause dans le temps. Ils peuvent nécessiter d’être adaptés à l’environnement professionnel des territoires et à la disponibilité des technologies. Les référentiels peuvent être insuffisamment actualisés, etc. De plus, sur et sous-utilisation doivent être prises en compte conjointement. Enfin les évaluations des efforts antérieurs concernant la pertinence des soins de santé sont encore lacunaires.

Voici donc un nouveau défi – à la fois conceptuel et pratique – pour les équipes qualité hospitalières. Les interventions visant à améliorer la pertinence des soins sont multiples : revue de pertinence sur des sujets choisis en équipe, enquête utilisant l’Appropriateness Evaluation Protocol, consensus autour de documents de bonne pratique issus de sociétés savantes ou de la HAS, analyse d’événements indésirables associés à des soins inutiles, analyse des plaintes éventuelles, etc [9]. Elles concernent avant tout les professionnels de santé, mais aussi les patients, les organismes de soins et les institutions académiques et de formation continue. Ceci sans limiter les soins mais en favorisant le soin juste et de qualité, en harmonisant les pratiques et en favorisant le dialogue avec les patients sur les choix de prise en charge.

RQ_XXI_4_edito_fig1

Référence

1- Donabedian A. Explorations in quality assessment and monitoring. Vol. I. The definition of quality and approaches to its assessment, 1980; Vol. II. The criteria and standards of quality, 1982; Vol. III. The methods and findings of quality assessment and monitoring: an illustrated analysis, 1985. Ann Arbor: Health Administration Press.

2- https://www.rand.org/ (Consulté le 19-11-2024)

3- Institut de recherche et documentation en économie de la santé (Irdes). La pertinence de soins en France. Les principaux dispositifs et leurs évaluations. Paris : Irdes; 2018. 62 p. Accessible à : https://www.irdes.fr/documentation/syntheses/la-pertinence-de-soins-en-france.pdf (Consulté le 19-11-2024).

4- Birkmeyer JD, Reames BN, McCulloch P, et al. Understanding of regional variation in the use of surgery. Lancet. 2013;382(9898):1121-9. Doi : 10.1016/S0140-6736(13)61215-5.

5- « La Sécu, c’est bien, en abuser, ça craint ». Accessible à : https://doc.irdes.fr/index.php?lvl=notice_display&id=110596 (Consulté le 19-11-2024).

6- https://sante.gouv.fr/IMG/pdf/pertinence_des_soins_-_guide_methodologique.pdf (Consulté le 19-11-2024).

7- http://droit-medecine.over-blog.com/2017/08/rapport-668-senat-ameliorer-la-pertinence-des-soins-un-enjeu-majeur-pour-notre-systeme-de-sante.html (Consulté le 19-11-2024).

8- https://www.has-sante.fr/jcms/c_2807060/fr/revue-de-pertinence-des-soins (Consulté le 19-11-2024).

9- Mornex R J. Orgiazzi J. La pertinence des actes médicaux. Bulletin de l’Académie nationale de médecine. 2019;203(8-9):722-740. Doi : 10.1016/j.banm.2019.10.001.