Les soins centrés patients
La qualité des soins est un objectif prioritaire de la transformation de notre système de santé. En 1999 l’Institute of Medicine (IOM) décrivait les 6 caractéristiques des soins de qualité [1] : sûrs, efficaces, efficients, administrés à temps, équitables et centrés sur le patient. Toujours selon l’IOM, les soins sont centrés patient lorsqu’ils répondent de façon adaptée aux préférences individuelles de chaque patient et à ses besoins, tout en respectant ses valeurs. Afin de signifier qu’au-delà du patient, c’est bien la personne dans sa globalité que nous devons prendre en compte, certains utilisent désormais l’expression « soins centrés sur la personne » [2].
L’expérience patient
Les soins centrés sur la personne prennent en compte l’expérience patient, définie par Wolf et al. comme « l’ensemble des perceptions, des interactions et des faits vécus par les patients et leurs proches tout au long de la trajectoire de soins » [3]. Ces dernières années, on a observé une explosion de l’utilisation du terme « expérience patient ». En recensant les publications parues entre 2000 et 2014, le Beryl Institute a mis en évidence que l’expérience patient est constituée de plusieurs dimensions du soin mais aussi extérieures au soin [4]. Les principales sont l’organisation des soins, la communication avec le personnel médical et soignant, l’information du patient et l’environnement (accessibilité, propreté, nuisances sonores) [4]. La définition la plus communément utilisée actuellement est celle proposée par le Beryl Institute et traduite par l’Institut français de l’expérience patient1 : « L’expérience patient, c’est l’ensemble des interactions d’une organisation de santé avec un patient et ses proches susceptibles d’influencer leur perception tout au long de leur parcours de santé. Ces interactions sont façonnées à la fois par la politique conduite par l’établissement et par l’histoire et la culture de chacun des patients accueillis. »
Expérience patient versus satisfaction
La satisfaction des usagers vis-à-vis des soins reçus est reconnue comme essentielle dans l’appréciation de la qualité des soins en santé. En France, les établissements de santé ont pour obligation de réaliser des enquêtes de satisfaction auprès de leurs usagers depuis 1996 [5]. Depuis 2016, Le dispositif national « e-Satis +48h MCO » évalue via un questionnaire la satisfaction et l’expérience des patients hospitalisés plus de 48 heures dans un établissement de santé de médecine, chirurgie et obstétrique (MCO) [6]. Différentes études montrent qu’une réponse « d’insatisfaction » par rapport aux soins ne survient que lorsque le patient a vécu une expérience de soins qu’il interprète comme une négligence ou une faute grave et que des niveaux élevés de satisfaction peuvent co-exister alors que d’importantes lacunes sont relevées au niveau des soins [7].
Le shadowing
En 2006 le Centre médical de l’université de Pittsburgh (UPMC) a développé le shadowing (littéralement : « l’ombre »), dans le cadre du programme Patient-and-family-centered care (PFCC). Il s’agissait du premier programme véritablement orienté patient à avoir été mis en place dans le monde avec l’objectif de répondre aux besoins des patients [8,9]. Depuis, la méthode a été appelée en français Amppati pour amélioration du parcours vécu par le patient et son entourage par Immersion.
Le shadowing consiste à suivre un patient volontaire sur un segment de son parcours en recueillant en temps réel son ressenti, exprimé de façon verbale et non verbale. Concrètement, un « suiveur », volontaire professionnel ou non, accompagne le patient sur un segment de son parcours afin de recueillir en temps réel son vécu et le cas échéant celui de son entourage [10]. Cette méthode a pour objectif de définir ce qui est réellement important pour le patient sur un parcours de soins et répondre au mieux à ses besoins [11]. Pour un parcours donné, trois patients minimum sont suivis. La synthèse des données recueillies au cours des suivis est analysée au cours d’une réunion pluridisciplinaire rassemblant des représentants de toutes les catégories professionnelles impliquées sur le parcours. Des actions d’améliorations sont décidées au cours de cette réunion et mises en place dès que possible. La méthode du shadowing a été déployée dans plusieurs secteurs des hôpitaux de l’UPMC avec pour résultat une amélioration qualitative de l’expérience des patients [12].
D’autres études ont montré que le shadowing permettait d’améliorer également la collaboration interprofessionnelle au sein des équipes [13]. Aujourd’hui, cette méthode est reconnue est diffusée aux États-Unis par l’Institute for Health care Improvement (IHI) [14]. Le but de notre travail était de connaître la faisabilité et l’intérêt du shadowing dans des établissements sanitaires et médico-sociaux en France.
Méthode
Nous avons réalisé deux expérimentations de la méthode du shadowing, l’une dans le secteur sanitaire en 2013, l’autre en 2014 avec des établissements médico-sociaux (Ehpad) de la région Rhône-Alpes. Chaque établissement volontaire a choisi un segment de parcours patient/usager pour lequel il souhaitait recueillir l’expérience patient avec la méthode du shadowing. Après une séance d’information et sur la base d’un guide synthétique rédigé à partir des documents disponibles sur le shadowing, chaque établissement a réalisé 3 à 5 suivis de patients/résidents pour le segment de parcours choisi.
L’évaluation a été réalisée à partir de données recueillies par questionnaires et entretiens : à l’issue de chaque suivi tous les professionnels et usagers ont répondu à un questionnaire portant sur leur satisfaction, les difficultés éventuelles et leur avis sur l’intérêt de la méthode. En complément, des entretiens téléphoniques ont été menés avec le référent projet de chaque établissement. L’ensemble des référents et des suiveurs a été réuni à trois reprises tout au long du projet, pour des temps de partage d’expérience. Les étapes du déploiement du shadowing sont présentées en Figure 1.
Résultats
Le point de vue des professionnels de santé
Quinze établissements sanitaires et 6 structures médico-sociales volontaires de Rhône-Alpes ont participé à cette expérimentation : 5 établissements de santé privés à but lucratif, 6 établissements de santé privé d’intérêt collectif, 4 établissements de santé publics et 6 Ehpad. En ce qui concerne les services sanitaires, les suivis ont été réalisés dans 7 types d’activité : chirurgie ambulatoire, rééducation, psychiatrie, obstétrique, dialyse, consultation externe et urgences. Au total 54 patients et 9 résidents en Ehpad ont été suivis dans le cadre de l’expérimentation. Les parcours évalués sont présentés dans le Tableau I.
Les vingt et un « suiveurs » volontaires, professionnels en santé de divers profils (responsables qualité, administratifs, soignants) ont répondu à un questionnaire sur la faisabilité et l’intérêt de la méthode. Dix-huit (86%) ont exprimé n’avoir eu aucune difficulté à recueillir le ressenti des patients/résidents, 4 (19%) ont craint d’avoir influencé les commentaires des patients, 14 (88%) ont déclaré que cette méthode leur avait apporté une vision différente de l’expérience du patient/résident. La durée moyenne de réalisation de la préparation, du suivi et de la réalisation de la synthèse d’un suivi a été de 5 heures (min 55 minutes ; max 11,5 heures). Tous ont déclaré souhaiter renouveler l’expérience.
La note moyenne de faisabilité de la méthode attribuée par les suiveurs s’élevait à 6,8/10 (min 4 ; max 9), note qu’ils ont expliquée par la lourdeur des outils traduits directement de la méthode anglo-saxonne. L’intérêt de la méthode a reçu de la part des suiveurs la note de 8,3/10 (min 5 ; max 10). Les entretiens avec les suiveurs ont mis en évidence quelques difficultés pour certains suiveurs : des outils trop chronophages, pour certains établissements un manque de ressources ou des difficultés dans le choix du parcours. Les avantages de la méthode spontanément cités par les suiveurs étaient : le peu de moyens nécessaires, l’adaptabilité à tout type d’activité, la possibilité de mettre en place immédiatement certaines actions d’amélioration, la bonne acceptation par les professionnels des « critiques » provenant directement des patients, l’aspect « humain » de la méthode.
Le point de vue des patients et résidents
Cinquante-sept patients et résidents sur les 63 suivis dans le cadre de l’expérimentation ont répondu au questionnaire de satisfaction, soit un taux de réponse de 90%. Neuf d’entre eux ont pu être contactés pour un entretien téléphonique complémentaire. Six patients avaient refusé de participer, soit un taux de refus de 0,8%. Quatre patients ont indiqué le motif de leur refus : la fatigue (en psychiatrie), le respect de l’intimité (obstétrique), le manque de temps (en consultation ambulatoire), le sentiment de n’avoir rien à exprimer.
Tous les patients/résidents répondants ont trouvé tout à fait appropriée la manière dont ils avaient été invités à participer et se sont sentis libres de s’exprimer au cours du suivi. Cinquante-trois (96%) ont trouvé le suivi non-contraignant. Tous étaient prêts à renouveler l’expérience. La note moyenne de faisabilité exprimée par les patients/usagers était de 8,2/10 et l’intérêt de la méthode était noté 8,5/10. Les entretiens patients ont révélé que certains auraient souhaité que le suiveur leur pose plus de questions. Tous les autres commentaires étaient positifs : ils se sont sentis accueillis et écoutés, ont apprécié de participer à l’amélioration de l’expérience d’autres patients et ont à nouveau exprimé ne pas avoir été gênés par le suivi.
Les suivis de ces patients/résidents ont abouti à la définition de plans d’action dans chaque établissement. Ces plans d’action ont été élaborés avec des membres des équipes dans lesquelles s’étaient déroulés les suivis. Le Tableau II présente des exemples d’actions définies à l’issue des suivis.
Enseignements, limites et perspectives
La méthode de shadowing ou Amppati fait de chaque patient/résident un représentant des usagers et un partenaire des professionnels
Chaque usager suivi devient pour un temps un représentant des usagers. Il sait que sa participation va contribuer à l’amélioration de l’expérience d’autres patients/résidents. Pour la plupart d’entre eux il s’agit même de leur motivation principale pour participer.
Par cette méthode, le patient et les professionnels deviennent de véritables partenaires pour l’amélioration de la qualité des soins. Aux yeux des professionnels, le patient n’est plus seulement celui qui « reçoit » des soins mais devient un allié précieux avec lequel collaborer.
Les commissions des relations avec les usagers (aujourd’hui commissions des usagers) de plusieurs établissements participants avaient compris cette opportunité et se sont particulièrement impliquées, au titre d’initiateur du projet et de comité de pilotage.
Impacts positifs dans les équipes
Les professionnels qui ont participé ont témoigné de l’impact positif de la méthode sur leurs équipes. Se recentrer sur l’expérience des patients, essentielle à leurs yeux, leur a apporté bien-être et motivation. Par ailleurs les professionnels suiveurs ont vécu une expérience forte, moteur du changement.
Une méthode qui trouve sa place dans le pilotage des établissements
De nombreux établissements participants continuent à utiliser la méthode du shadowing sur des parcours différents, par exemple de façon systématique lors de la mise en place de toute nouvelle activité ou mode d’organisation, considérant que cette méthode leur permet de vivre le parcours de soins « à travers les yeux du patient/résident ».
Limites et perspectives de notre travail
Nous avons recueilli dans notre travail les plans d’action qui ont été décidés lors de l’expérimentation mais nous n’avons pas vérifié par la suite leur mise en œuvre, ni l’impact de ces actions sur la satisfaction ou l’expérience des patients. D’autres travaux nous semblent nécessaires pour valider l’efficacité de la méthode qui se traduirait par l’amélioration de l’expérience des patients/résidents. Pour ce faire il sera nécessaire de disposer d’outils de mesure validés en français.
Enfin, les « suiveurs » dans le cadre de ce travail étaient des professionnels. Par la suite nous avons travaillé avec des suiveurs représentants d’usagers ou étudiants en santé. Il est tout à fait envisageable de développer cette autre option qui pourrait permettre notamment de réaliser plus de suivis en palliant le manque de disponibilité des professionnels de santé. Nous recommandons cependant une formation préalable à l’écoute pour ces profils de suiveurs.
Du shadowing à la méthode Amppati
Ce travail avait pour objectif de connaître la faisabilité et l’intérêt du shadowing dans des établissements sanitaires et médico-sociaux français. Les outils utilisés lors de l’expérimentation étaient les documents disponibles sur le site du PFCC (aujourd’hui la méthode shadowing est disponible sur le site de l’IHI2) traduits directement à partir de leur version originale américaine. Les enseignements de l’expérimentation ont été utilisés pour la rédaction d’un guide et d’un kit-outils en français intitulés « Amppati » en libre accès sur le site internet du Ceppraal3. Une fiche descriptive recto verso de la méthode permet à chacun de prendre rapidement connaissance de la méthode et de son intérêt et de la partager au sein de son établissement afin d’envisager son utilisation. Des formations sont également proposées sur la méthode et sur l’écoute active, compétence clé du suiveur. En effet, l’expérimentation a montré que le savoir être du suiveur est particulièrement important : il doit trouver la bonne distance physique et relationnelle avec le patient sans être intrusif ni gêner la réalisation des soins. La personne suivie doit se sentir libre de s’exprimer et dans une relation de confiance. C’est pourquoi la formation proposée par le Ceppraal aux suiveurs concerne pour une grande part l’écoute active et la collecte d’information verbales et non-verbales. Le Ceppraal a, par ailleurs, formé les autres structures régionales d’appui à la qualité des soins et la sécurité des patients auprès desquelles les professionnels et représentants d’usagers peuvent se former4.
Notes :
1- http://www.experiencepatient.fr/
2- www.ihi.org
3- www.ceppraal-sante.fr
4- voir coordonnées sur le site de la Forap : www.forap.fr