L’enregistrement des communications au bloc d’endoscopie peut-il améliorer la performance du travail en équipe ?

Can recording communications in the endoscopy room improve team performance?

philippe cabarrot

dr philippe cabarrot

Service Évaluation et outils pour la qualité et la sécurité des soins (Evoqss) – Direction de l’amélioration de la qualité et de la sécurité des soins (Daqss) – Haute Autorité de santé (HAS) – 5, avenue du Stade-de-France – 93210 Saint-Denis – France | Service de gastro-entérologie – Clinique des Cèdres – Ramsay Santé – Cornebarrieu – France
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L’enregistrement des communications au bloc d’endoscopie peut-il améliorer la performance du travail en équipe ?

Figures RQ_XXI_3_Cabarrot.pdf

Résumé

Des défaillances dans la communication au sein des équipes surviennent de manière chronique au bloc opératoire et peuvent entraîner des conséquences graves. Nous avons réalisé un travail de recherche clinique sur la qualité de la communication dans un bloc d’endoscopie digestive, au moyen d’enregistrements des conversations. Nous rapportons les résultats de cette étude prospective, réalisée avant et après le retour des résultats à l’équipe. Faisant appel à la notion de réflexivité en équipe, nous montrons que la réalisation d’enregistrements audio au bloc permet l’amélioration des processus, notamment pour la réalisation de la check-list sécurité du patient en endoscopie digestive, et des résultats intermédiaires, comme l’amélioration de la qualité de la communication ou la diminution de certaines distractions et interruptions de tâche. En revanche, du fait de la rareté des complications en endoscopie digestive, nous n’avons pu démontrer une diminution du nombre d’événements indésirables. Nous envisageons également les problèmes techniques et éthiques soulevés par une telle démarche.

Mots clés: Bloc opératoire - Amélioration de la qualité - Sécurité du patient - Endoscopie - Check-list chirurgie

Abstract

Failures in communication within teams occur chronically in the operating room and can lead to serious consequences. We carried out clinical research work on the quality of communication in a digestive endoscopy unit, by recording conversations. We report the results of this prospective study, carried out before and after the results were returned to the team. Using the notion of team reflexivity, we show that the production of audio recordings in the operating room allows the improvement of processes, in particular for the utilisation of the patient safety checklist in digestive endoscopy and intermediate results, such as improving the quality of communication or reducing certain task interruptions. Nevertheless, due to the rarity of complications in digestive endoscopy, we were unable to demonstrate a reduction in adverse events. We also consider the technical and ethical problems raised by such an approach.

Keywords: Operating room - Quality improvment - Patient safety - Endoscopy - Surgical check-list

Article

Introduction

Au bloc opératoire, où chaque décision peut avoir des conséquences cruciales, la communication entre les membres de l’équipe chirurgicale revêt à l’évidence une importance primordiale [1]. Cependant, malgré les protocoles mis en œuvre au bloc opératoire et les retours d’expérience, des défauts de communication surviennent de manière chronique, et ce d’autant que les professionnels de santé n’ont jamais été formés à ces techniques. Or ces défaillances dans la communication peuvent entraîner des conséquences graves pour la sécurité des patients. Au vu de l’expérience aéronautique, l’enregistrement des conversations au bloc opératoire peut apparaître comme une démarche novatrice visant à améliorer la qualité de la communication au sein des équipes chirurgicales [2]. Cette approche permet de valoriser la participation de tous les membres de l’équipe et d’appréhender la complexité des processus, caractéristique des soins au bloc opératoire. Cette pratique, appelée au sens le plus large vidéo-ethnographie, est décrite dans la littérature [3]. Bien que pouvant sembler intrusive ou contraignante, elle offre un potentiel significatif pour la formation, l’analyse des performances et la réduction des erreurs médicales. En capturant in situ les interactions verbales, les décisions prises et les procédures suivies, ces enregistrements offrent une perspective unique sur les dynamiques de travail et les défis rencontrés lors des interventions chirurgicales. Elle fait appel à la notion de réflexivité en équipe, bien connue des sciences sociales [4]. Cette pratique vise à analyser les actions et les comportements individuels en référence à l’effet des actions et des comportements des autres, dans le contexte dans lequel ces actions se produisent. Cette réflexivité en tant que pratique collective est moins bien décrite en médecine que la réflexion individuelle. L’objet de ce travail est d’étudier si l’enregistrement uniquement audio des communications au bloc opératoire peut modifier les pratiques et contribuer à une amélioration continue de la qualité des soins et de la sécurité des patients. Nous présentons les différents aspects de l’enregistrement des conversations au bloc et ses résultats en termes d’amélioration de la communication entre les professionnels et de qualité des pratiques et de sécurité des patients. Les distractions et interruptions de tâche (DIT), un risque également bien identifié dans la littérature, sont analysées. Nous examinons également les défis techniques à relever pour son implémentation efficace. Nous discutons de la faisabilité et de l’acceptabilité de la mise en œuvre de cette pratique au regard de son utilité et de son efficacité.

Matériel et méthode

Objectifs

L’objectif principal est d’évaluer l’impact sur les pratiques au quotidien de l’utilisation d’enregistrements audio pour améliorer la communication en salle et, en particulier, pour la réalisation de la check-list afin, le cas échéant, de réduire l’incidence des événements indésirables associés aux soins (EIAS) survenant en cours d’endoscopie. Les objectifs secondaires sont les suivants : analyser la faisabilité ponctuelle ou en routine d’une telle procédure d’enregistrement ; analyser les événements survenus en cours ou au décours immédiat de l’endoscopie, qu’il s’agisse d’EIAS ou d’interruptions de tâche, et évaluer l’impact de cette procédure sur leur survenue ; réaliser un audit des pratiques.

Méthode

Sur la base de la littérature spécifique en matière de « science de l’amélioration », selon le terme consacré par Donald Berwick [5], nous avons opté pour un modèle OXO1 prospectif, comparatif avant/après une intervention, non randomisé, monocentrique dans un établissement de soins privé. Nous avons recueilli les échanges verbaux d’une équipe de gastro-entérologie au bloc opératoire lors d’interventions endoscopiques, ainsi que les données de patients issues des dossiers médicaux. L’enregistrement débutait dès l’entrée en salle du patient et se poursuivait jusqu’à sa sortie, permettant de disposer des communications lors de trois temps distincts : briefing pré-opératoire, enregistrement des échanges verbaux lors de l’intervention, débriefing post-interventionnel. Les enregistrements ont été analysés, selon une grille d’évaluation, par un expert indépendant de l’équipe clinique (une infirmière de bloc opératoire diplômée d’État [Ibode] expérimentée et formée aux méthodes d’évaluation) (Annexe I). Ce support d’audit a été élaboré conjointement avec l’équipe de recherche clinique sur la base de la check-list Sécurité du patient au bloc d’endoscopie proposée par la Haute Autorité de santé (HAS) et par la Société française d’endoscopie digestive (Sfed) (Annexe II), et adaptée par l’équipe de gastro-entérologie aux spécificités de ses pratiques (Annexes III et IV). La check-list est intégrée au système d’information de l’établissement. L’étude2 comporte deux phases de cinquante3 enregistrements consécutifs chacune, qui ont eu lieu respectivement de février à mars 2022 et de juin à juillet 2023. La phase 1 se proposait d’identifier des points d’amélioration. À l’issue de cette phase, les résultats ont été présentés et discutés avec l’ensemble de l’équipe du bloc d’endoscopie en vue d’améliorer les performances de l’équipe. La phase 2 visait à déterminer si les pratiques avaient changé et si les résultats s’étaient améliorés. Un audit des pratiques a également été effectué, portant notamment sur l’évaluation des critères qualité de la coloscopie recommandés par la Sfed4.

Matériel d’enregistrement

En préalable à l’étude, il a été procédé à différents essais pour trouver le matériel d’enregistrement adéquat, performant et fiable. Les enregistreurs ont été positionnés à des endroits stratégiques de la salle : d’abord sur les murs du bloc, puis plus près des professionnels sur la console d’endoscopie, le respirateur… Les premiers enregistrements réalisés se sont révélés inexploitables en raison du niveau sonore ambiant. C’est pourquoi nous avons opté pour des micros-cravates individuels pour chacun des trois membres de l’équipe, avec un transmetteur Wi-Fi et un enregistreur permettant d’associer trois sources différentes (Figure 1). À condition de limiter l’enregistrement au geste technique, l’acceptabilité a été bonne et aucune entrave à la réalisation des tâches n’a été identifiée. La qualité des enregistrements était optimale et de nature à permettre un audit des pratiques.RQ_XXI_3_Cabarrot_fig1

Population étudiée (professionnels engagés, patients inclus)

L’équipe volontaire de gastro-entérologues est composée de huit praticiens qui travaillent en coordination étroite avec une équipe de quinze anesthésistes. Les infirmières « régulières » du bloc d’endoscopie sont au nombre de six. Tous ces professionnels sont permanents et accoutumés aux briefings et débriefings au bloc d’endoscopie. Les critères d’inclusion des patients étaient les suivants : patient de plus de dix-huit ans pour lequel un acte endoscopique standard de gastro-entérologie (de type gastroscopie, coloscopie, y compris gestes techniques associés) est programmé en ambulatoire. L’équipe était toujours constituée d’au moins trois personnes fixes en salle pour tout le créneau de bloc : un gastro-entérologue, un anesthésiste ou un Iade5 et une IDE spécialisée en endoscopie digestive. Tous les actes ont été réalisés sous anesthésie générale (propofol). Tous les patients étaient informés de leur participation à une étude scientifique et formulaient leur consentement par écrit (aucun patient n’a refusé d’y participer). Étaient exclus les patients hospitalisés et les endoscopies réalisées en urgence, pour des raisons pratiques d’information sur le protocole de recherche et d’obtention du consentement, ainsi que les patients protégés (majeur sous tutelle, curatelle ou autre protection légale, privé de liberté par décision judiciaire ou administrative). Tous les professionnels impliqués ont formulé verbalement leur accord pour participer à cette étude. Les enregistrements ont été effacés à la fin de l’étude.

Analyse des données

Les enregistrements (60 heures) ont été écoutés exhaustivement et ont permis d’analyser les informations échangées lors du programme d’endoscopie, la qualité de la communication (clarté, intelligibilité, pertinence des échanges), et la typologie et la fréquence des DIT en cours de procédure. L’analyse statistique a été effectuée de manière descriptive, selon la nature des variables. Les variables quantitatives sont décrites en termes d’effectif, de moyenne, écart-type, médiane, minimum, maximum et intervalle interquartile. La comparaison des variables quantitatives a été faite à l’aide d’un test de Student ou d’un test de Wilcoxon-Mann-Whitney en fonction de la distribution de la variable d’intérêt. Les variables qualitatives sont décrites en termes d’effectif, de proportion et éventuellement d’intervalle de confiance de la proportion selon la méthode exacte de Wald. La comparaison de deux ou plusieurs variables qualitatives a été faite à l’aide du test du χ² ou du test exact de Fisher, selon les valeurs attendues sous l’hypothèse d’indépendance. Tous les calculs ont été faits avec le logiciel SAS (v 9.4 ; SAS Institute Inc., Cary, NC, États-Unis).

Résultats

Caractéristiques de la population étudiée

Tous les professionnels engagés dans cette étude sont des seniors (plus de dix ans d’expérience) et sont très ouverts aux programmes d’amélioration de la qualité – les équipes de gastro-entérologie et d’anesthésie sont toutes deux accréditées par la HAS depuis respectivement dix et cinq ans. Un seul anesthésiste a refusé que ses conversations soient enregistrées, malgré toutes les garanties de destruction des enregistrements à l’issue de l’étude (l’équipe étant composée de quinze anesthésistes, cela n’a occasionné aucune répercussion sur le déroulement de l’étude). Cinquante patients ont été inclus dans la phase 1 et 50 dans la phase 2, les deux groupes étant comparables sur les plans démographique et clinique (Tableau I).RQ_XXI_3_Cabarrot_tab1

Analyse des endoscopies réalisées

Le panel d’endoscopies réalisées représente fidèlement l’activité habituelle d’une unité d’endoscopie ambulatoire, avec respectivement 32 et 33 coloscopies en phase 1 et 2, et 29 et 38 œso-gastro-duodénoscopies. Toutes les endoscopies ont été réalisées dans de bonnes conditions techniques – une seule coloscopie n’a pu être complète chez une patiente (82 ans ; indice de masse corporelle : 26,4) en raison d’une sténose sigmoïdienne d’origine diverticulaire. Un seul événement indésirable a été identifié par l’équipe et l’expert dans cette série, lors de la phase 2. Il s’agissait de douleurs abdominales post-coloscopie rapidement résolutives (Tableau II).RQ_XXI_3_Cabarrot_tab2

Participation des professionnels aux briefings et débriefings

L’analyse des résultats de la première phase a montré une bonne participation des gastro-entérologues au briefing pré-endoscopique et au débriefing post-interventionnel. Le retour d’expérience à l’équipe a permis, lors de la seconde phase, d’améliorer le leadership du gastro-entérologue avec une augmentation significative de l’initiation de la check-list (n=46 vs 35) ; la participation des anesthésistes s’est aussi améliorée (n=39 vs 27). La participation des infirmières reste stable avec un rôle précieux de suivi et de traçabilité des informations échangées (Tableau III).RQ_XXI_3_Cabarrot_tab3

Qualité de la communication

L’analyse des modalités de communication au sein de l’équipe a mis en évidence que, si certaines techniques de communication étaient maîtrisées (expression à voix haute et intelligible, écoute des autres), d’autres pouvaient être améliorées. Ainsi, le retour auprès de l’équipe a permis d’améliorer la formulation de réponses (réponse/confirmation [n=47 vs 39], reformulation [n=23 vs 2]) et le partage d’information (n=38 vs 17) de la part de tous les professionnels du bloc (Tableau IV).RQ_XXI_3_Cabarrot_tab4

Audit des pratiques

L’audit des pratiques endoscopiques a permis de vérifier les critères qualité de la coloscopie qui étaient au-dessus des seuils recommandés dans la littérature (Tableau V). Cette étude a également permis d’évaluer et d’améliorer la réalisation de la check-list avant, pendant et après l’endoscopie. À l’issue de la première phase, le retour des résultats à l’équipe a montré qu’un bon nombre de critères essentiels étaient considérés comme optimaux (>80%), notamment : identitovigilance (n=50), vérification du type d’endoscopie (n=50), de l’existence d’un risque allergique (n=48), respiratoire (n=41) ou de saignement (n=48), de la présence d’un dispositif médical implanté (n=43), go/no go (n=45). Il en était de même pour les critères du débriefing : nature des prélèvements (n=42) et prescriptions post-endoscopie (n=40). En revanche, certains critères étaient peu vérifiés : l’antibioprophylaxie (n=27), dont l’indication est devenue très rare, et le risque d’encéphalopathie spongiforme transmissible (n=32), qui est détecté en amont et dont le risque est quasi-nul. Le faible renseignement des critères « patient à jeun » (n=33) et relatifs à la disponibilité du matériel endoscopique (n=18) et anesthésique (n=17) s’explique par le fait qu’ils sont vérifiés en amont dans les procédures du bloc, et celui du critère « qualité de la préparation » (n=25) est justifié car il ne concerne que les coloscopies, (n=32, soit 78%). Le retour à l’équipe à la suite de cette première phase a permis la sensibilisation des professionnels à l’importance de ce temps de vérification des points critiques et à l’amélioration de certains points de la check-list, tels que la suppression de critères jugés superflus (disponibilité des matériels vérifiés au début du programme et entre chaque intervention) ou la reformulation du critère « risque de saignement », source de mauvaises interprétations, remplacé par « risque hémorragique » (Annexes III et IV). En cas de réponse affirmative, la sous-question « si oui, a-t-il été géré ? » apparaît à l’écran. L’analyse de la seconde phase a montré le maintien des bons résultats antérieurs, voire leur amélioration, notamment pour les débriefings post-endoscopie : nature des prélèvements (n=45 vs 42) et prescriptions post-interventionnelles (n=45 vs 40). On note l’amélioration de critères insuffisamment remplis lors de la première phase : la vérification que le patient est à jeun (n=45 vs 33), la préparation colique (90% vs 79%). En revanche, se sont dégradés les résultats concernant les critères répétitivement non applicables : l’antibioprophylaxie (n=19 vs 27) et l’encéphalopathie spongiforme transmissible (n=26 vs 32) (Tableau VI).RQ_XXI_3_Cabarrot_tab5RQ_XXI_3_Cabarrot_tab6

Distractions ou interruptions du déroulement optimal de la procédure

Nous avons identifié les DIT au bloc opératoire comme toute intervention interne ou externe à l’équipe au bloc susceptible d’entraîner « l’arrêt inopiné, provisoire ou définitif d’une activité humaine ». Les DIT induisent une rupture dans le déroulement de l’activité, une perturbation de la concentration de l’opérateur et une altération de la performance de l’acte. La réalisation éventuelle d’activités secondaires achève de contrarier le bon déroulement de l’activité initiale [6,7]. L’enregistrement audio en salle permet de bien identifier et catégoriser les DIT. Notre équipe n’y échappe pas et leur nombre est saisissant (Tableau VII). On en retrouve pendant la phase 1 (n=231) et presque autant pendant la phase 2 (n=228), soit plus de 4 DIT par intervention. Quasi constamment, ces DIT sont en lien avec une ou souvent plusieurs conversations qui sont inscrites dans les habitudes du bloc. Plus rarement, elles sont en rapport avec un appel téléphonique ou une entrée ou une sortie de salle. Selon la typologie présentée, on peut distinguer les conversations professionnelles concernant le patient (lesquelles ne sont pas à proprement parler des DIT), qui représentent environ 20% des DIT identifiées et dont le nombre n’évolue pas en phase 2 (n= 49 vs 45) ; les véritables DIT, qui ont diminué en phase 2, telles que les conversations non professionnelles (n=52 vs 67), les conversations professionnelles ne concernant pas le patient (n=51 vs 66), ou encore les appels téléphoniques (n=13 vs n=21) ; et les entrées/sorties de salle, légitimes ou non, qui constituent un défi que nous ne sommes pas parvenus à contrôler (n=63 vs 32). Il est important de noter l’amélioration des DIT sous le contrôle des professionnels, notamment lors de la réalisation de la check-list, des moments critiques de l’endoscopie (montée et descente du coloscope) et de l’induction anesthésique (Tableau VIII).RQ_XXI_3_Cabarrot_tab7RQ_XXI_3_Cabarrot_tab8

Discussion

Choix et intérêt de la méthode

Comme dans le cockpit d’un avion ou à la barre d’un sous-marin nucléaire, la communication au bloc opératoire est cruciale [1]. En effet, dans la base de retour d’expérience de l’accréditation des médecins, le facteur équipe est la cause racine de quasiment la moitié des EIAS (45%), dont les deux tiers (68%) sont liés à une mauvaise communication6. Il nous a semblé intéressant d’aborder cette thématique en équipe au travers de l’audio-ethnographie au bloc opératoire en utilisant le concept de réflexivité en équipe, fondamental en matière de gestion et de psychologie organisationnelle [3]. La réflexivité fait référence à la capacité des membres d’une équipe à réfléchir de manière collective et critique à leurs processus, interactions et performances. Elle présente de nombreux avantages : détection plus rapide des erreurs, mise en place d’un système d’amélioration continue, meilleure cohésion d’équipe, amélioration de la communication et de la collaboration, plus grande capacité d’adaptation, etc. De plus, elle renforce la cohésion et la confiance au sein de l’équipe, en encourageant une communication ouverte et un esprit de collaboration. Dans la littérature, trois méthodes ont fait la preuve de leur efficacité pour soutenir une démarche de réflexivité d’équipe : les enregistrements audio et vidéo des pratiques, l’évaluation par des pairs et le débriefing post-intervention [8].

Cette étude montre la faisabilité et l’acceptabilité des enregistrements au bloc, tout au moins sur un échantillon restreint d’interventions. Sur l’équipe de 23 médecins et 6 infirmières, seul un anesthésiste n’a pas souhaité participer. Les freins à une utilisation en routine sont divers. Tout d’abord, il est nécessaire de disposer d’un équipement semi-professionnel d’enregistrement, car le niveau sonore ambiant est élevé dans les blocs. De plus, il faut considérer le caractère chronophage de l’exploitation des bandes-son et la difficulté du recours éventuel à un expert extérieur au bloc. Ce travail permet de montrer l’utilité et l’efficacité des enregistrements en matière d’évaluation et d’amélioration des pratiques. Tant les phases d’enregistrement que les discussions lors du retour à l’équipe ont permis de renforcer la culture de sécurité et les notions d’interdépendance. En particulier, nous avons amélioré nos modes de communication au bloc et la réalisation de la check-list. L’importance de la communication au bloc et ses techniques ne sont guère enseignées, ni sur les bancs de la faculté, ni lors du compagnonnage lors de la formation hospitalière. Ces enregistrements et leur exploitation apparaissent comme un moyen pédagogique d’appréhender ces techniques sur le terrain, en équipe pluriprofessionnelle. Cette méthode permet également un benchmarking stimulant au sein de l’équipe. Ainsi, lors du retour d’expérience à l’équipe, nous avons présenté les données individuelles qui n’ont pas été rapportées dans ce travail pour respecter la confidentialité et l’anonymisation, un des facteurs de son acceptabilité. Les DIT en milieu de santé et en particulier au bloc sont un problème majeur pour la sécurité des patients. Elles sont décrites dans la littérature comme fréquentes (10/h), omniprésentes dans la routine, causées majoritairement par des professionnels de santé, bien souvent injustifiées (80% des cas) et différables. Bien qu’elles soient généralement de courte durée, ces DIT conduisent les professionnels à réaliser, dans plus de 70% des cas, deux tâches (ou plus) en même temps (multitasking) ce qui est de nature à favoriser la survenue d’événements indésirables graves [6]. Nous avons constaté dans ce travail une baisse limitée du nombre de DIT au bloc, notamment des conversations, même si des progrès sensibles ont été notés. Cette tendance semble ancrée dans les habitudes, voire justifiée par certains, car de nature à créer une bonne ambiance au bloc.

Limites de l’étude

Ce travail présente quelques limites. La taille de l’échantillon n’a pas permis de vérifier son efficacité en matière de survenue d’EIAS – confirmant au passage la rareté des complications, et même des presque accidents, en endoscopie digestive. Néanmoins, cela a permis à l’équipe de travailler sur de potentiels facteurs contributifs à leur survenue : mauvaise qualité de la communication, défaut de renseignement de la check-list, DIT… Ce travail ne permet pas non plus de garantir le maintien dans le temps des bons résultats ainsi acquis.

Une autre limite théorique que l’on pourrait formuler concerne l’effet Hawthorne qui pourrait affecter certains praticiens qui, se sentant évalués, auraient pu modifier leurs pratiques. Cet écueil théorique n’a vraisemblablement pas influencé notre équipe acculturée à l’évaluation des pratiques. D’ailleurs, les intervenants ont été encouragés à se comporter naturellement et à travailler comme habituellement. Enfin, l’expérience a montré que le micro-cravate était rapidement oublié, à tel point que les professionnels devaient se rappeler mutuellement d’arrêter les enregistrements, ne serait-ce que pour éviter une consommation excessive de piles. La liberté des conversations conviviales enregistrées témoigne également du caractère plus théorique que réel de cette limite.

Enfin, nous avons limité les enregistrements aux conversations. Dans la littérature, sont décrits des programmes réalisés avec des enregistrements vidéo, plus complexes à mettre en œuvre, qui améliorent la réalisation de la check-list [9] et permettent de mobiliser les équipes [10]. Cette technique apporte d’autres informations utiles sur les comportements au bloc opératoire ainsi que sur les positionnements et activités des professionnels [11,12,13]. Notre travail montre toutefois qu’avec une procédure uniquement audio, avec un investissement bien moindre, on peut obtenir des résultats similaires en termes d’amélioration de la communication.

À côté de ces travaux d’évaluation des facteurs humains et organisationnels (soft skills) sont aussi décrits dans la littérature des études d’enregistrements vidéo des procédures elles-mêmes, visant à évaluer les facteurs techniques (hard skills) des interventions chirurgicales [14] ou endoscopiques [15] réalisées.

Code éthique

Pour une utilisation régulière pour différents objectifs (formation, amélioration des pratiques, recherche ou autres), il est indispensable de disposer d’un code éthique précisant le consentement des professionnels et des patients, les modalités d’anonymisation et de protection du secret médical, la propriété des données et les droits d’accès [16].

Conclusion

Ce travail d’audio-ethnographie et de réflexivité en équipe montre que les enregistrements audio sont techniquement faisables au bloc et acceptables par les professionnels, et qu’ils sont efficaces en matière d’amélioration des pratiques. Néanmoins, du fait de la lourdeur de la méthode, ils ne peuvent être envisagés que ponctuellement pour mettre en place et évaluer des démarches qualité (meilleure réalisation de la check-list, amélioration de la communication au bloc…). D’une manière plus générale, les équipes ont beaucoup à apprendre de ces techniques de réflexivité collective qui peuvent aller de l’élaboration concertée d’un simple protocole à la mise en place d’un programme de récupération rapide après chirurgie, en passant par les si importants et trop souvent négligés briefings et débriefings en routine ou en simulation.

Notes :

1- OXO : « observe a system (O), introduce a perturbation (X) to some participants but not others, and then observe again (O) » (D’après Berwick et al. The science of improvement. JAMA. 2008;299(10):1182-1184. Doi : 10.1001/jama.299.10.1182.)
2- Cette étude ne relevant pas d’une recherche impliquant une personne humaine (RIPH), elle a été réalisée en tant qu’étude sous la méthodologie de référence MR-004. Elle n’a donc pas nécessité l’approbation d’un comité de protection des personnes (CPP). Elle a été publiée sur le site du Health Data Hub sous le numéro F20220120113240 en date du 20/01/2022.
3- Ce nombre de 50 a été choisi arbitrairement, pour disposer de deux échantillons dont la taille est considérée comme satisfaisante dans les programmes d’évaluation des pratiques.
4- Accessible à : https://www.sfed.org/wp-content/uploads/2021/10/coloscopie_critqual-37b.pdf (Consulté le 30-08-2024).
5- Infirmier anesthésiste diplômé d’État.
6- Haute Autorité de santé (HAS). Rapport d’activité 2023 des organismes agréés pour l’accréditation de la qualité de la pratique professionnelle des médecins et des équipes médicales. Saint-Denis: HAS; 2024. 46 p. Accessible à : https://www.has-sante.fr/upload/docs/application/pdf/2024-07/spa299_rapport_d_activite_oa_2023_cd_2024_06_27_vd_1.pdf (Consulté le 12-08-2024).

Informations de l'auteur

Liens d’intérêt : les auteurs déclarent ne pas avoir de lien d’intérêt.

Financement : La Clinique Ramsay Clinique des Cèdres a mis à disposition de ce travail, le dispositif d’enregistrement en salle. Ramsay a mis à disposition les services d’une ARC sur place, d’un soutien méthode de recherche (Société C2R), l’analyse statistique des données (société Horiana) et a assuré la rétribution de l’expert chargé de l’analyse des enregistrements.

Remerciements : Ce travail a été effectué dans le cadre des programmes de recherche et d’enseignement au sein du Groupe Ramsay (directeur : Dr Stéphane Locret), avec la contribution de l’équipe de gastro-entérologie et d’anesthésie de Ramsay Santé, clinique des Cèdres, Cornebarrieu, de M. Antoine Giraud, biostatisticien, société Horiana, Bordeaux, et de Mme Valérie Ouary, expert en épidémiologie, société C2R Épidémiologie, Paris.

Références

1- Leonard M, Graham S, Bonacum D. The human factor: the critical importance of effective teamwork and communication in providing safe care. Qual Saf Health Care. 2004;13(suppl_1):i85-i90.

2- Makary MA, Xu T, Pawlik TM. Can video recording revolutionise medical quality? BMJ. 2015;351:h5169.

3- McHugh SK, Lawton R, O’Hara JK, et al. Does team reflexivity impact teamwork and communication in interprofessional hospital-based healthcare teams? A systematic review and narrative synthesis. BMJ Qual Saf. 2020;29(8):672-683.

4- Iedema R. Research paradigm that tackles the complexity of in situ care: video reflexivity. BMJ Qual Saf. 2019;28(2):89-90.

5- Berwick DM. The science of improvement. JAMA. 2008;299(10):1182-1184.

6- Haute Autorité de santé (HAS). Interruption de tâche lors des activités anesthésiques au bloc opératoire et en salle de surveillance post-interventionnelle. Paris: HAS; 2020. 42 p. Accessible à : https://has-sante.fr/upload/docs/application/pdf/2020-04/guide_it_anesthesie_vd.pdf (Consulté le 24-07-2024).

7- Westbrook JI, Raban MZ, Walter SR, et al. Task errors by emergency physicians are associated with interruptions, multitasking, fatigue and working memory capacity: a prospective, direct observation study. BMJ Qual Saf. 2018;27(8):655-663.

8- Iedema R. Creating safety by strengthening clinicians’ capacity for reflexivity. BMJ Qual Saf. 2011;20(Suppl_1):i83-i86.

9- Overdyk FJ, Dowling O, Newman S, et al. Remote video auditing with real-time feedback in an academic surgical suite improves safety and efficiency metrics: a cluster randomised study. BMJ Qual Saf. 2016;25(12):947-953.

10- Korkiakangas T. Mobilising a team for the WHO Surgical Safety Checklist: a qualitative video study. BMJ Qual Saf. 2017;26(3):177-188.

11- Bezemer J, Cope A, Korkiakangas T, et al. Microanalysis of video from the operating room: an underused approach to patient safety research. BMJ Qual Saf. 2017;26(7):583-587.

12- Couat JF, Cegarra J, Rodsphon T, et al. A prospective video-based observational and analytical approach to evaluate management during brain tumour surgery at a university hospital. Neurochirurgie. 2013;59(4-5):142-148.

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Citation

Historique : Reçu 23 avril 2024 – Accepté 26 juillet 2024 – Publié 30 septembre 2024.

Cabarrot P, Coniel M, Ledit A, Levy J, Barbat I, Mavier L, May-Michelangeli L. L’enregistrement des communications au bloc d’endoscopie peut-il améliorer la performance du travail en équipe ? Risques & Qualité. 2024;(21)3:143-152. Doi : 10.25329/rq_xxi_3_cabarrot.

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