Introduction
La sécurité des soins constitue un enjeu crucial pour les systèmes de santé. Si, jusqu’à récemment, les recherches se sont concentrées sur l’étude des événements indésirables associés aux soins (EIAS) survenant en établissement de santé, il est judicieux d’étudier ceux survenant en milieu ambulatoire. En effet, les soins primaires contribuent massivement aux systèmes de santé [1,2] ; les EIAS y sont fréquents et, comme à l’hôpital, ils semblent souvent évitables [3]. En France, les deux enquêtes nationales sur les événements indésirables graves survenant en établissement de santé (Eneis) ont montré que près de 5% des hospitalisations résultaient d’événements indésirables graves (EIG) en ville, dont 60% considérés comme évitables [4,5]. En 2012, le ministère de la Santé a financé une étude nationale en soins primaires sur les événements indésirables (Esprit) [3,6], dont l’objectif était d’estimer la fréquence des EIAS évitables en médecine générale en France et d’en décrire la typologie. Esprit a estimé la fréquence des EIAS à 26 pour 1 000 actes, soit un EIAS tous les deux jours par médecin généraliste ; 2% étant des EIG. Compte tenu de leur fréquence en soins primaires, il est judicieux de détecter ces EIAS afin de prévenir le risque de nouvelle survenue. En théorie, il serait indiqué de s’appuyer sur la déclaration des EIAS par les professionnels ou les patients, par exemple via le portail de signalement national [7]. En pratique, cette solution est limitée car les systèmes de signalement sont sous-performants à cause d’une sous-déclaration par les professionnels. Ce constat fait l’objet d’un large consensus dans la littérature [8]. Dès lors, il faut envisager d’autres stratégies, parmi lesquelles l’analyse automatisée ou semi-automatisée des dossiers médicaux. Avec les progrès technologiques (intelligence artificielle ou deep learning1), cette dernière devient envisageable quand elle était auparavant perçue comme complexe par les médecins généralistes, qui reconnaissent parfois en savoir peu sur les systèmes de signalement [9]. La méthode des trigger tools2 (TT) constitue une solution de remplacement : elle se fonde sur une analyse rapide (quelques minutes) d’une série de dossiers au sein d’une structure ou d’une unité de soin. Chaque dossier n’est évalué que sur des critères précis, relatifs à des signaux d’alertes d’EIG (les « triggers »). Une fois les dossiers à risque identifiés, une analyse plus fine permet de détecter les EIG [10]. Déjà envisagée en contexte hospitalier [11], la question de l’utilisation de TT en ville se pose [12]. Ces travaux ont mis en évidence plusieurs listes de triggers, parfois spécifiques aux soins primaires, dont le principal est l’Outpatient adverse event trigger tool3 (OAETT) [13]. L’objectif de ce travail était de formaliser une liste de TT utilisables en soins primaires en France.
Matériels et méthodes
Une revue de littérature internationale a été conduite par trois chercheurs médecins généralistes conformément aux recommandations de la méthode Prisma4 [14].
Stratégie de recherche et sélection des études
La recherche bibliographique (Figure 1) a été réalisée à l’aide d’une équation constituée de mots-clefs (anglais) du MeSH5. Cette équation, développée par deux chercheurs et validée par un expert en sécurité du patient, a été utilisée sur MedLine via PubMed6.
L’équation est : (((“ambulatories”[All Fields] OR “ambulatory care facilities”[MeSH Terms] OR (“ambulatory”[All Fields] AND “care”[All Fields] AND “facilities”[All Fields]) OR “ambulatory care facilities”[All Fields] OR “ambulatory”[All Fields]) AND “care*”[All Fields]) OR “outpatient*”[All Fields] OR (“general practice”[MeSH Terms] OR (“general”[All Fields] AND “practice”[All Fields]) OR “general practice”[All Fields]) OR (“primary health care”[MeSH Terms] OR (“primary”[All Fields] AND “health”[All Fields] AND “care”[All Fields]) OR “primary health care”[All Fields])) AND (“patient safety”[MeSH Terms] OR (“patient”[All Fields] AND “safety”[All Fields]) OR “patient safety”[All Fields]) AND (((“adverse”[All Fields] OR “adversely”[All Fields] OR “adverses”[All Fields]) AND “event*”[All Fields]) OR ((“medic”[All Fields] OR “medical”[All Fields] OR “medicalization”[MeSH Terms] OR “medicalization”[All Fields] OR “medicalizations”[All Fields] OR “medicalize”[All Fields] OR “medicalized”[All Fields] OR “medicalizes”[All Fields] OR “medicalizing”[All Fields] OR “medically”[All Fields] OR “medicals”[All Fields] OR “medicated”[All Fields] OR “medication s”[All Fields] OR “medics”[All Fields] OR “pharmaceutical preparations”[MeSH Terms] OR (“pharmaceutical”[All Fields] AND “preparations”[All Fields]) OR “pharmaceutical preparations”[All Fields] OR “medication”[All Fields] OR “medications”[All Fields]) AND “error*”[All Fields])) AND ((“precipitating factors”[MeSH Terms] OR (“precipitating”[All Fields] AND “factors”[All Fields]) OR “precipitating factors”[All Fields] OR “trigger”[All Fields] OR “triggers”[All Fields] OR “triggerable”[All Fields] OR “triggered”[All Fields] OR “triggering”[All Fields] OR “triggerings”[All Fields]) AND “tool*”[All Fields]).
Les études devaient être publiées de 2000 à 2021 et accessibles aux chercheurs – par voie électronique ou sur papier. Les articles ont été importés dans le logiciel Zotero (Center for history and new media de l’université George Mason, Fairfax, Virginie, États-Unis). Des recherches manuelles ont aussi été réalisées dans les références bibliographiques des sources référencées et dans la littérature grise (via Google® et Google Scholar® [Google LLC, Mountain View, Californie, États-Unis]). Les articles ont été sélectionnés par trois chercheurs au cours de plusieurs séances de travail, organisées en présentiel ou en distanciel compte tenu de la pandémie de Covid-197 (Figure 2). Les articles ont d’abord été sélectionnés sur leur titre et abstract en excluant les travaux qui ne concernaient pas les soins primaires. Après lecture intégrale des articles, une seconde sélection a écarté les études qui ne respectaient pas les critères d’inclusion ou qui présentaient au moins un critère d’exclusion (Tableau I).
Extraction et analyse des données
Les articles ont été analysés par les mêmes chercheurs. Dans un premier temps, les données suivantes ont été extraites de chaque article : titre, auteur principal, pays et année de publication, type d’étude, objectif(s), type d’événement indésirable analysé (EIAS ou effet indésirable médicamenteux [EIM]), population concernée (nombre de patients, âge médian, type de structure de soins, etc.), nombre et types de triggers étudiés, éléments relatifs à la validation statistique (Annexe) [15,16,17,18,19,20,21,22,23,24,25,26,27,28,29,30,31,32,33]. Dans un second temps, chaque trigger a été analysé selon : sa fréquence (nombre d’articles dans lesquels il apparaît) ; son type selon quatre catégories (clinique, paraclinique [biologique], relatif au parcours de soin, en lien avec la pratique) ; et sa validation statistique. Concernant cette dernière, il a été indiqué si possible la valeur prédictive positive (VPP) qui, dans ce travail, indique la probabilité qu’un dossier présentant un TT soit associé à la survenue d’un EIAS : le numérateur est le nombre de dossiers où un TT est présent (TT+) et associé à un EIAS ; le dénominateur est le nombre total de dossier où ce TT est présent. Pour chaque TT, il a été retenu une valeur minimale et une valeur maximale de VPP. À défaut d’une VPP, l’odds ratio8 (OR) a été indiqué. L’OR dans notre étude correspond à la probabilité qu’un EIAS survienne quand un TT est présent dans les dossiers (TT+) par rapport à la probabilité qu’un EIAS survienne dans les dossiers sans TT (TT-). Un OR <1 signifie que l’EIAS est moins fréquent dans les dossiers TT+ que dans les dossiers TT-. S’il est égal à 1, cela signifie que l’OR est aussi fréquent dans les deux groupes et, s’il est >1, l’EIAS survient plus fréquemment dans les dossiers TT+ que TT-. Le calcul de l’OR correspond à la formule OR=p(1–q)/q(1–p), où p est la probabilité qu’un EIAS survienne dans le groupe A (TT+) et q, la probabilité qu’un EIAS se produise dans le groupe B (TT-). Chaque trigger a été analysé en fonction de son type, de sa fréquence, et de sa VVP ou de son OR (Tableau II) [15,16,17,18,19,20,22,23,24,25,26,27,28,29,30,31,32,33,34,35].
Constitution de la liste finale des trigger tools pour les soins primaires en France
Les trois experts ont identifié une liste de TT utilisables en soins primaires. Les critères sur lesquels un TT était retenu étaient : leur VPP ou OR (critère de sélection principal), le nombre d’études qui en faisaient mention, et une appréciation de leur pertinence et de leur applicabilité en médecine générale en France. À l’issue, une mise en commun a été réalisée afin d’établir une liste consensuelle de TT (Tableau III).
Éthique
Au regard de la méthodologie utilisée (revue de la littérature), des données traitées (absence de données de santé) et des modalités réglementaires en cours au moment du travail, l’avis du comité d’éthique du collège universitaire de médecine générale n’était pas requis. Le travail a été conduit par trois chercheurs du collège de l’université Claude-Bernard-Lyon-I sans financement spécifique.
Résultats
Analyse des données
Plusieurs études ont été réalisées par des auteurs reconnus au niveau international dans le domaine de la sécurité des soins. La plupart des 19 études sélectionnées (Annexe) (parmi 40 études analysées en détail – Figure 1) ont été réalisées aux États-Unis, auprès de patients consultant en soins primaires. Différents types d’études ont été retrouvés : revue de littérature (n=7), cohorte, étude prospective ou rétrospective, essai randomisé, etc. Dans 16 études, l’objectif était de déterminer un taux d’EIAS et, dans cinq, de les décrire (type, gravité, caractère évitable) ; dix études portaient sur l’ensemble des EIAS et les neuf autres se concentraient sur des EIM. En termes de population, deux études ont étudié une population générale (sans limite d’âge), neuf des populations à haut risque (≥75 ans ou ≥65 ans présentant des comorbidités) ; six mentionnent la présence de patients issus de plusieurs cultures ou milieux socio-économiques. Le nombre de patients variait entre 170 et 81 483. Le temps accordé à la lecture des dossiers médicaux n’était pas systématiquement indiqué ; il variait de 3,2 à 23±6 minutes. La plupart des études ont étudié en moyenne 10 triggers. Plusieurs études ont transposé en médecine générale des triggers utilisés en établissement de santé ; quatre études sur 19 ont utilisé des groupes de discussion d’experts ou de consensus de type Delphi9 pour choisir les triggers. Chaque TT a été analysé avec sa fréquence au sein des études et ses données de validation statistique (Tableau II), donnant lieu à la sélection de 12 TT considérés comme utilisables en soins primaires en France (Tableau III).
Discussion
Synthèse des principaux résultats
À l’issue de cette revue de la littérature, une liste de 12 triggers tools a été constituée. La moitié des triggers est en lien avec un traitement médicamenteux ou un paramètre biologique anormal. La VPP des triggers sélectionnés varie de 0 à 100% en raison d’une grande hétérogénéité, inhérente aux méthodes et aux résultats des études. Cette revue de la littérature, réalisée conformément à la méthode Prisma [14], a permis la sélection de 19 articles indexés dans la base MedLine, relatifs aux TT en soins primaires. Plusieurs études ont été conduites par les mêmes auteurs, majoritairement aux États-Unis ; aucune n’a été réalisée en France. Les études sélectionnées ont été publiées de 2001 à 2019. Le nombre d’articles portant sur les EIAS et les EIM est similaire et les populations étudiées sont souvent constituées de patients adultes, issus de milieux diversifiés. Dans la plupart des travaux, le nombre de TT était d’environ 10. Les triggers témoignaient d’une grande diversité et ceux les plus fréquemment trouvés étaient, par ordre décroissant : la diminution de la fonction rénale, l’augmentation de l’INR10, une consultation en dehors des horaires habituels ou aux urgences, une hospitalisation non planifiée, une modification du traitement habituel (ajout ou suppression d’un traitement), la mention d’un effet secondaire médicamenteux et trois contacts ou plus avec le médecin généraliste en sept jours.
Élaboration d’une liste de trigger tools pour les soins primaires en France
La liste proposée est constituée de triggers simples, car il s’agit d’en favoriser l’usage en médecine générale. Au-delà de bonnes capacités à repérer des EIAS (VPP élevée), il est nécessaire de considérer un caractère opérant : tout discriminant qu’il serait, l’intérêt d’un TT « lourd », c’est-à-dire chronophage ou éthiquement discutable, serait en opposition avec l’esprit de la méthode des TT, qui se veut rapide et semi-automatisée. La liste mentionne trois triggers cliniques : un trigger « chute » et un trigger « confusion » pour lesquels les OR sont très supérieurs à 1. Ainsi, une chute n’est jamais anodine, en témoigne sa 4e position sur les dix risques principaux identifiés parmi 2 007 EIG en 2020 [34]. S’il n’est pas précisé d’âge, il paraît judicieux de l’envisager pour les patients de plus de 75 ans ou de plus de 65 ans avec des comorbidités. Le troisième trigger clinique fait référence à la mention d’un EIM. Il a été retenu car il est fréquemment étudié et sa VPP monte jusqu’à 83%. De fait, la survenue d’un EIM antérieur justifie une mention claire dans le dossier du patient, ce d’autant plus qu’il a été sévère. Toutefois, multiplier les alertes ne suffit pas et l’amélioration des logiciels métier, notamment par la mise en place de modules d’aide à la prescription, est aussi à envisager. La liste comporte quatre triggers paracliniques (biologiques). Le premier concerne l’anémie définie par un taux d’hémoglobine inférieur à 10 g/dL. C’est un trigger fréquemment analysé dans les études, avec une VPP avoisinant les 20%. Une anémie peut être associée à de nombreuses pathologies (saignements, cancers, causes hématologiques, carences, etc.), ce qui lui confère de la pertinence. Le second trigger biologique concerne la diminution de la fonction rénale, recouvrant soit une créatininémie sanguine >220 µmol/L (critère le plus analysé) ou un DFG <30 mL/min. C’est le plus étudié dans les différents articles avec une VPP très variable (de 2% à 58%). Ce trigger réfère à des pathologies chroniques, fréquentes en soins primaires (insuffisance rénale chronique, diabète, hypertension artérielle, etc.), parfois associées à des éléments aigus (prise de médicament néphrotoxique, déshydratation, défaillance cardiaque, etc.) [35]. À mi-chemin entre trigger médicamenteux et biologique, mentionnons l’INR >4,5 qui est le deuxième trigger le plus retrouvé. Sa VPP a toutefois une fourchette très large : dans deux études, elle avoisine les 96% et 100%, alors que dans une autre elle est de 0%, en l’absence de dossier où l’INR était >4,5, mais sa population spécifique en limite selon nous l’interprétation [16]. Enfin, nous proposons d’intégrer à la liste la dyskaliémie – hyperkaliémie (K+ >5,5 mM) ou hypokaliémie (K+ <3 mM) – avec une VPP variant de 24% à 62% (entre 48% et 62% pour l’hypokaliémie et entre 24% et 32% pour l’hyperkaliémie). Les patients à haut risque de dyskaliémie sont souvent atteints de pathologiques chroniques, parfois traités par un ou plusieurs médicaments responsables d’effets secondaires. Les diurétiques font partie des médicaments les plus prescrits, dans la pratique médicale tant ambulatoire qu’hospitalière [36] et ils appartiennent à l’une des classes médicamenteuses les plus pourvoyeuses d’EIM (risque principal d’hypokaliémie). Concernant le parcours de soin, trois triggers ont été retenus. Le premier, « ≥3 contacts en une semaine », apparaît dans sept études sur 19 et a une VPP de 17%. Par contact, il faut concevoir une conversation téléphonique avec le médecin traitant ou un échange par le biais d’une plateforme de télésecrétariat. La consommation de soins évolue ainsi avec les nouveaux usages technologiques, tel le déploiement tous azimuts des téléconsultations en soins primaires pendant la pandémie de Covid-19. Le trigger « >10 consultations en 12 mois » évoqué dans trois des études n’a pas été retenu, car voir son médecin traitant de manière fréquente, notamment dans le cadre d’une pathologie chronique, pourrait apparaître comme un facteur protecteur, en lien avec un meilleur suivi médical. En revanche, des consultations rapprochées paraissent davantage révéler la majoration d’un symptôme ou la survenue d’un problème. Le second trigger relatif au parcours de soin réfère à une « consultation en urgence », c’est-à-dire dans le cadre de la permanence des soins (maison médicale de garde ou auprès d’un service d’urgences). La VPP comprise entre 15% et 18% témoigne pourtant selon nous d’une capacité importante à identifier un EIAS provenant des soins primaires. Il est notable que près de 58% des EIG se produisent pendant des périodes dites « de vulnérabilité », c’est-à-dire la nuit, le week-end ou un jour férié [34]. Une moindre connaissance du patient et de son dossier comme un contexte de soin « inhabituel » peuvent concourir à la survenue d’un EIAS. Enfin, un troisième trigger dans cette catégorie a été retenu pour prendre en compte toute « hospitalisation non planifiée ». Il se caractérise par une VPP très variable de 1,8% à 21,8%. De fait, la survenue d’un EIG peut malheureusement nécessiter un transfert vers un niveau de soins supérieur, ce qui permet leur identification a posteriori. Il s’agit typiquement des données qui ont été mises en évidence dans les études Eneis [4,5]. Enfin, la dernière catégorie porte sur la pratique clinique avec deux triggers. Le premier mentionne la modification du traitement habituel ou de fond. Le second, fréquemment identifié, possède une VPP de 24% à 42% qui lui confère sa place de bon indicateur d’un risque d’EIAS. Il recouvre autant l’introduction, la diminution, la majoration de dose d’un médicament déjà prescrit que la suppression d’un traitement. En effet, l’ajout d’un médicament est susceptible d’induire des interactions médicamenteuses, tout comme la modification d’une dose peut signaler un effet secondaire. Ce trigger sensibilise les cliniciens à la balance bénéfice/risque des médicaments. Le second trigger concerne la mise en place de notes, alertes ou rappels apparaissant à l’ouverture du dossier médical informatisé. Il s’agirait en théorie de ne pas passer à côté d’un élément important pour la prise en charge du patient, tels une allergie médicamenteuse ou un risque d’interaction. En pratique, il est probable que la multiplication des alertes contribue à en diminuer l’effet en réduisant la vigilance des professionnels. De fait, il ne s’agit pas tant de multiplier les messages d’alerte que de sélectionner les plus pertinents.
Originalités et limites
Bien qu’apparu dans les années 1970 [37], le concept de trigger ou d’événement déclencheur reste méconnu, notamment en ville. Le terme de « trigger tool » est apparu plus tard [10], à travers l’élaboration des outils de détection des EIAS, tel le Global trigger tool (GTT) de l’Institute for healthcare improvement11 (IHI). Peu d’études ont été réalisées en soins primaires, notamment en France, ce qui justifiait selon nous ce premier travail exploratoire par une revue de la littérature sur le sujet. De fait, si cette revue a été conduite rigoureusement (Prisma), et si la sélection des TT a fait l’objet d’une approche originale (sélection consensuelle par plusieurs chercheurs des triggers pertinents en pratique de soins, et ayant une VPP ou un OR élevés), nous ne disposons pas encore de données relatives à leur efficacité, ni à leur applicabilité en pratique de soins en France (disponibilité effective des indicateurs, facilité d’implémentation via les logiciels métier et les données issues de l’assurance maladie, etc.), ce qui conduit en l’état à se baser uniquement sur des travaux réalisés dans les services ou cabinets de soins primaires américains. Concernant les études, trois sur 40 n’ont pu être incluses car indisponibles au format papier ou électronique en dépit de plusieurs recherches. Néanmoins, cela représente une faible proportion par rapport au nombre d’articles étudiés en intégralité, et leur indisponibilité traduit probablement une diffusion moindre. Le choix de la VPP ou de l’OR pour définir les propriétés discriminantes de chaque trigger a été opéré après lecture des études incluses ; il s’agissait des éléments les plus robustes pour conduire le travail de sélection. Toutefois, le choix final a fait l’objet d’une sélection consensuelle par des experts médecins généralistes ayant une activité de soins, afin de conserver un caractère applicable en routine.
Conclusion
À partir de la littérature internationale, ce travail a permis d’établir une liste de trigger tools jugés adaptés aux soins primaires en France. Il sera nécessaire de les mettre en application afin de les évaluer en pratique courante. Il faudra ainsi déterminer si ces TT permettent de détecter – pour idéalement les réduire – les EIAS. Toutefois, la majorité des TT de cette liste font partie des triggers étudiés et retenus dans plusieurs études menées en soins primaires. Ainsi, sept sont communs à ceux du GTT, déjà évalué dans six études [17,22,24,28,29,33]. Par ailleurs, d’autres études n’utilisant pas cet outil de l’IHI ont également retenu des triggers similaires à ceux de notre liste, notamment les TT biologiques (INR, diminution de la fonction rénale, hémoglobinémie et dyskaliémie), ceux portant sur la modification des traitements, ou encore ceux concernant les consultations dans le cadre de la permanence des soins ou les hospitalisations non programmées. Il reste que, si la méthode des TT paraît promise à un certain avenir avec les progrès technologiques, elle nécessite des travaux de recherche complémentaires, comme cela a été réalisé à l’hôpital [38]. Il est prévu une étude pilote de plusieurs mois au sein de cabinets de médecine générale, maisons de santé pluriprofessionnelles et autres structures de soins primaires, afin de tester une implémentation de la liste. Elle permettrait d’étudier les propriétés discriminantes des triggers proposés et d’évaluer les difficultés et contraintes techniques qui peuvent encore exister. Au-delà, il apparaît qu’elle contribuera à sensibiliser les soignants en exercice (par exemple les médecins généralistes) comme ceux en formation (internes) aux EIAS, et à leur permettre d’acquérir des réflexes simples et utiles pour la sécurité des patients.
Notes :
1- Apprentissage profond. Ensemble de méthodes d'apprentissage automatique tentant de modéliser avec un haut niveau d’abstraction des données grâce à des architectures articulées de différentes transformations non linéaires (Wikipédia).
2- Outils de déclenchement.
3- Outil d’alerte de possibilité d'événement indésirable concernant un patient en ambulatoire.
4- Preferred reporting items for systematic reviews and meta-analyses, éléments préférés de rapport pour une revue systématique et une méta-analyse.
5- Medical subject headings, système de métadonnées médicales en langue anglaise concernant la nomenclature en se basant sur l'indexation d'articles en sciences de la vie (Wikipédia).
6- MedLine est une base de données bibliographiques regroupant la littérature relative aux sciences biologiques et biomédicales, gérée et mise à jour par la Bibliothèque américaine de médecine. PubMed est le principal moteur de recherche de données bibliographiques de l'ensemble des domaines de spécialisation de la biologie et de la médecine (Wikipédia).
7- Coronavirus disease 2019, maladie à coronavirus 2019.
8- L’odds ratio (rapport des cotes) exprime le degré de dépendance entre des variables aléatoires qualitatives (Wikipédia).
9- Le principe de la méthode de Delphes (Delphi en anglais) est que des prévisions réalisées par un groupe d'experts structuré sont généralement plus fiables que celles faites par des groupes non structurés ou des individus (Wikipédia).
10- International normalized ratio, indicateur de la coagulation sanguine.
11- Institut pour l'amélioration des soins de santé, Boston, États-Unis.