Processus défaillants en médecine générale : analyse de 747 dossiers de plaintes entre 2015 et 2017

Failing processes in general medicine: analysis of 747 lawsuit files between 2015 and 2017

marie-christine moll

marie-christine moll

Directeur scientifique – La Prévention Médicale – 11 rue de Brunel – 75017 Paris – France
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Processus défaillants en médecine générale : analyse de 747 dossiers de plaintes entre 2015 et 2017

Figures RQ_XVIII_Moll.pdf

Résumé

Contexte. Les études nationales sur les événements indésirables liés aux soins de 2004 et 2009 (Eneis 1 et 2) ont montré que 4,5% des séjours hospitaliers étaient liés à un événement indésirable survenu en ville et que 40% de ceux-ci seraient évitables. Un décret de novembre 2016 fait obligation à tout professionnel de santé de déclarer les événements indésirables graves associés aux soins (EIGS) sur une plateforme nationale. Or le récent rapport 2019 du groupe de travail de la Haute Autorité de santé sur les EIGS montre que, sur les 1 187 déclarations reçues, seules 4% sont issues de la médecine de ville. Objectif. Analyser les EIGS survenus en ville et faisant l’objet de plaintes dans un contexte assurantiel. En dégager des pistes pour la prévention. Méthode. Notre étude repose sur les rapports d’activité annuels de la mutuelle d’assurance du corps de santé français (MACSF) de 2015 à 2017 et concerne l’ensemble des mises en cause en médecine générale. Résultats. Les EIGS se répartissent en trois grandes catégories de défaillances : les retards de diagnostic de pathologies aiguës, graves ou chroniques (50%) ; les événements iatrogènes tels que les conséquences néfastes des traitements médicamenteux, les infections ou les traumatismes dus à des actes invasifs (36%) ; des problèmes plus généraux relatifs à l’organisation et à la prise en charge (13%). Conclusion et perspectives. La mise en œuvre de quelques actions est proposée pour améliorer la sécurité des soins en ville : acculturation des professionnels de ville à la gestion des risques, mise en place d’outils de repérage, d’analyse et de déclaration des EIGS, bonnes pratiques de coopération et de communication entre professionnels.

Mots clés: Iatrogénie - Analyse des signalements - Organisation défaillante - Analyse des évènements indésirables - Retour d'expérience - Signalement des incidents - Soins de ville - Sécurité des soins

Abstract

Background. The ENEIS-1 and -2 surveys conducted in 2004 and 2009 demonstrated that 4.5% of hospital stays were related to an adverse event that had occurred in the community and that 40% could have been avoided. In November 2016, it was made mandatory for all healthcare professionals to report on a national platform all care-related serious adverse event (SAE). The 2019 report of the HAS (French Health Authorities) workgroup on SAEs shows that, out of 1187 reports, only 4% concerned community medicine. Objectives. Analyse the SAEs that had occurred in the community and gave rise to an insurance lawsuit in order to develop preventive courses of action. Methods. Our study was based on the 2015–2017 yearly activity reports of the MACSF (French Insurance company for healthcare professionals) concerning all general medicine claims. Findings. SAEs can be distributed into three main failure categories: (1) delayed diagnosis of acute pathologies or severe and chronic diseases (50%) (2) iatrogenic events such as the nefarious consequences of a drug therapy or of infection/trauma following intrusive investigations or surgery (36%), and, additionally (3) more general problems labelled “Organisation and care” (13%). Conclusion and perspectives. To conclude, this article suggests a few measures to implement to improve the safety of community care: risk management training of community carers, development of tools enabling the identification, analysis and reporting of SAEs, good practices regarding sharing and cooperation among professional carers.

Keywords: Iatrogenesis - Declaration analysis - Organization failure - Adverse events analysis - Feedback - Reporting - Urban health services - Health care safety

Article

Introduction

L’identification et l’analyse des événements indésirables graves associés aux soins (EIGS) constituent la base du retour d’expérience, donc de la sécurité des soins. La prévalence et la nature de ces EIGS en établissement de santé sont bien connues. Les études nationales sur les événements indésirables liés aux soins de 2004 et 2009 (Eneis 1 et 2) font état d’un événement indésirable grave tous les 5 jours dans une unité de 30 lits en service de médecine. Réalisées au sein des établissements de santé, ces enquêtes ont démontré que 4,5% des séjours étaient liés à un événement indésirable survenu en ville. Dans tous les cas, 40% de ces événements seraient évitables. Un décret de novembre 2016 fait obligation à tout professionnel de santé de déclarer les EIGS sur une plateforme nationale1 [1]. Or, si la culture de la déclaration et du retour d’expérience a progressé au sein des structures de soins grâce à la mise en place de dispositifs et de ressources dédiées, elle reste fragile, comme le montre le rapport 2019 de la Haute Autorité de santé (HAS) publié en janvier 2021 sur les résultats du groupe de travail EIGS qui traite tous les dossiers de déclaration issus du portail national clôturés par les agences régionales de santé (ARS) [2]. Sur 2 029 déclarations initiales, seules 1 187 ont été reçues par la HAS, dont 79% provenant des établissements de santé, 15% des établissements médicosociaux et seulement 4% de la médecine ambulatoire. Force est de constater que, si la démarche doit être renforcée dans les établissements de santé et médicosociaux, elle doit être initiée en soins primaires, où existent de véritables freins [3,4]. Pour permettre à la culture de sécurité de s’implanter en ville, il est aussi très important de concrétiser la réalité du problème par des données chiffrées. L’étude Esprit, réalisée par le comité de coordination de l’évaluation clinique et de la qualité en Nouvelle-Aquitaine (Ccecqa) en 2013 auprès de 160 médecins généralistes tirés au sort, constatait une fréquence de 22 événements indésirables associés aux soins (EIAS) pour 1 000 actes, soit un EIAS tous les 2 jours [5]. Nous avons cherché à apporter un éclairage complémentaire à ces différentes études en utilisant une source assurantielle afin d’interpeller et de faire réagir la médecine de ville, et peut-être de contribuer à la progression de la culture sécurité dans ce secteur.

Matériel et méthode

Les données utilisées sont celles des rapports d’activité annuels de la Mutuelle d’assurance du corps de santé français (MACSF) de 2015, 2016 et 2017. Rédigés par des médecins experts, ces rapports concernent l’ensemble des mises en cause en médecine générale (donnant ou non lieu à des poursuites). Ils se présentent sous forme de courts résumés des cas précisant le dommage et les causes principales. Sur les 857 cas analysés, 747 ont été retenus dans cette étude. Ont été exclus 110 dossiers : événements survenus en établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes ou en établissement de santé, ainsi que les événements lors desquels le médecin généraliste n’était pas réellement partie prenante du problème. Pour chaque catégorie de causes, des données qualitatives sur les conséquences de l’EIGS sont précisées, permettant d’entrer dans le détail pratique de ces causes et d’éventuellement dégager des thèmes d’actions à entreprendre. Trois grandes catégories ont été identifiées : les retards de diagnostic de pathologies aiguës (par exemple infarctus du myocarde), graves ou chroniques (tel le cancer) ; les événements iatrogènes tels que les conséquences néfastes des traitements médicamenteux, les infections ou les traumatismes dus à des actes invasifs ; et les problèmes plus généraux et plus divers regroupés sous l’intitulé « Organisation et prise en charge », même si l’on peut considérer que l’ensemble des problèmes de l’étude relèvent de la prise en charge. Les données sont traitées en nombre absolu et en pourcentage. Elles ont été recueillies par un observateur unique, médecin expert en gestion des risques en soins, afin de limiter la variabilité d’interprétation. Cette interprétation est néanmoins contrainte par le niveau de détail limité du résumé.

Résultats

Les problèmes de diagnostic

Avec 377 cas, les problèmes de diagnostic représentent la moitié des EIGS déclarés (50,4%). Il est intéressant de remarquer que seuls 4 cas sont le fait de médecins remplaçants. On peut classer ces retards diagnostiques dans 3 catégories : les problèmes de diagnostic « purs » (22%), les problèmes de parcours de soins, de suivi et de surveillance (22%), et les problèmes éthiques et déontologiques (4%). L’analyse détaillée des cas fait apparaître les facteurs suivants en cause dans les EIGS (Figure 1).

Les problèmes de diagnostic « purs »

La catégorie des problèmes de diagnostic « purs » regroupe les interprétations cliniques ou les diagnostics erronés (13%), ainsi que la banalisation, la routine, les diagnostics non aboutis et la négligence (9%). Les interprétations cliniques ou les diagnostics erronés révèlent plusieurs situations : l’absence de prise en compte des antécédents du patient, de ses traitements ou des soins en cours (dentaires par exemple) ; l’absence de prise en compte des facteurs de risque comme les séjours à l’étranger ; un examen clinique incomplet ou trop succinct ; l’absence de recherche d’étiologie ou de signe de gravité des syndromes abdominaux ; le mauvais étiquetage de douleurs thoraciques ; la non-reconnaissance de signes atypiques d’infarctus ; le défaut de reconnaissance des urgences testiculaires ; des erreurs de fixation sans recherche de diagnostic différentiel ; un manque de connaissance manifeste concernant une pathologie (rare ou génétique). En ce qui concerne la banalisation, la routine, le diagnostic non abouti et la négligence, on observe les situations suivantes : l’absence de remise en cause du diagnostic malgré la persistance des symptômes ou la résistance au traitement ; la non-prise en compte d’un nouveau symptôme car il est rattaché à la maladie chronique pour laquelle le patient est suivi de longue date ; la sous-estimation de la gravité ou de l’urgence (erreur de représentation). L’exemple le plus fréquent des signes atypiques mineurs concerne le diagnostic de l’infarctus chez la femme. On note par ailleurs la non-prise en compte de symptômes majeurs pourtant évidents (p. ex. scotome gnosique). En ce qui concerne plus particulièrement les problématiques que l’on peut qualifier de négligence, on retrouve la non-prescription d’un examen complémentaire pour établir un diagnostic étiologique, l’absence de mise en œuvre d’un traitement suite à un avis spécialisé ou à une réunion de concertation, et enfin la non-communication au patient de résultats d’examens anormaux pourtant transmis au médecin.

Les problèmes liés aux parcours de soins

Les problèmes liés aux parcours de soins se répartissent selon cinq catégories : les défauts de surveillance ou de suivi, l’interprétation des examens d’imagerie, les délais dans la prescription d’investigations complémentaires, l’examen clinique incomplet et la non-prise en compte des résultats d’examens complémentaires hors imagerie.

Les défauts de surveillance ou de suivi regroupent des situations assez variées : le médecin ne prend pas la peine de convoquer ou de contacter régulièrement le patient atteint d’une pathologie qui persiste ou s’aggrave, il n’y a pas de réévaluation régulière systématique d’une pathologie chronique, aucune date limite n’est fixée pour recontacter le médecin en cas de nécessité de revoir le patient, la surveillance biologique n’est pas programmée pour certains traitements, maladies ou tranches d’âge le nécessitant (p. ex. fonction rénale chez l’hypertendu), le patient ne reçoit pas de consignes de prise en charge ou de précautions (défaut d’information), les mesures prophylactiques, en particulier anti-infectieuses, ne sont pas délivrées, aucun dépistage n’est recommandé dans un contexte de pathologie familiale. Le comportement du patient peut aussi être en cause (pratique d’un nomadisme médical empêchant un suivi continu, ou manque de coopération délibéré ou lié à son état psychiatrique).

Dans 5% des cas, le problème est lié à l’examen d’imagerie : imagerie non prescrite à la suite d’un traumatisme ; première interprétation réputée normale mais relecture révélant une anomalie ; imagerie non prescrite et non réalisée, le médecin généraliste ne tenant pas compte de la préconisation du spécialiste ; délai très long avant l’examen d’imagerie complémentaire de confirmation (scanner, IRM2) ; typologie de radiographie non pertinente par rapport aux signes cliniques.

Il faut aussi noter des retards dans la prise en charge liés majoritairement à l’absence de prescription de consultation spécialisée, à des examens complémentaires (autres qu’imagerie) retardés, non prescrits ou non réalisés par le patient sans que le praticien ne s’en inquiète, ou encore à l’absence de test de grossesse pour une absence de règles douloureuses.

L’attention est aussi attirée par la qualité insuffisante de l’examen clinique souvent négligé (3% des cas) : absence d’examen neurologique devant un tableau clinique évocateur, absence de toucher rectal devant une douleur abdominale aiguë, défaut d’examen des testicules devant une symptomatologie pouvant évoquer une torsion, plaies profondes non sondées et traitées à tort comme des plaies superficielles, absence de contrôle tensionnel ou d’auscultation dans un contexte de signes cliniques évocateurs, absence de recherche de porte d’entrée devant un syndrome infectieux.

On peut enfin regrouper l’interprétation erronée des résultats de biologie ou leur non-prise en compte, et l’interprétation des résultats d’examens complémentaires (endoscopie, ECG3…) non pris en compte ou considérés comme non contributifs, non prescrits ou avec retard.

Les problèmes éthiques et déontologiques

Certaines catégories (3,9% des cas) relèvent plus particulièrement de problèmes d’éthique et de déontologie. On y retrouve des situations très hétérogènes telles que des problèmes relationnels avec le patient, des défauts d’information importants pour la prise en charge, des IVG4 médicamenteuses hors temps réglementaire (1%), de la maltraitance non signalée, la rédaction de certificats d’arrêt de travail de complaisance ou mensongers, des consultations ou l’ajustement du traitement par téléphone alors qu’un examen clinique s’imposerait (3%), le refus ou l’impossibilité de se déplacer.

Les événements iatrogènes

L’iatrogénie concerne 270 cas, soit 36,1% des EIGS analysés dans le rapport (Figure 2). Une grande proportion des événements iatrogènes se rapporte sans surprise au médicament (20% des cas). À noter que, de façon conjoncturelle, une proportion non négligeable de ces cas (7%) correspond aux problématiques du benfluorex et de l’acide valproïque sans lien avec des situations de défaillance de soin du fait du médecin traitant, ils ne seront donc pas détaillés. Les autres événements iatrogènes sont plus divers et liés à des actes de soins de différentes natures (15%).

L’iatrogénie médicamenteuse

Si l’on excepte l’acide valproïque et le benfluorex comme étant des phénomènes conjoncturels, les anticoagulants restent évidemment les grands pourvoyeurs d’iatrogénie grave et les situations en sont donc particulièrement détaillées. On retrouve ensuite les situations relevant d’une problématique médicamenteuse avec des molécules ou des comportements divers. En ce qui concerne l’antivitamine K et les anticoagulants (plus de 3% des cas), on observe des surdosages ou sous-dosage, la prescription de nouveaux anticoagulants oraux avec en particulier des problématiques de relais et de défaut de surveillance, et des effets potentialisés par les anti-inflammatoires non stéroïdiens ou d’autres médicaments synergiques. Pour les autres catégories de médicaments, les problématiques liées au dosage et à la surveillance du traitement sont majoritaires (n=20). On note en particulier une absence de surveillance de la fonction rénale, des complications de traitements corticoïdes au long cours, des syndromes de Lyell en l’absence d’antécédent allergique, l’usage non pertinent des morphiniques et des complications liées aux vaccins (malaise). Pour finir et de façon beaucoup plus rare (n=9), on relève des antécédents allergiques non pris en compte, des médicaments tératogènes ou présentant un effet indésirable sur le nouveau-né, ou encore une automédication non pertinente du fait du patient.

L’iatrogénie non liée au médicament

La mauvaise réalisation ou les complications d’actes techniques ou de soins et une surveillance postopératoire sous-optimale constituent les sujets principaux (10% des cas) et se retrouvent dans les trois types de situations suivants. À la suite de gestes effectués au cabinet : problèmes liés à une injection intramusculaire ou intraveineuse, à une ponction d’hématome, à une ponction, infiltration articulaire ou à la pose d’un implant sous-cutané (septicémie, lymphangite, infection cutanée superficielle ou profonde), malaise (par exemple suite à l’injection d’un vaccin), chute de la table, mauvais positionnement d’un dispositif médical ou positionnement traumatique (sondage urinaire, acupuncture, pneumothorax, perforation de tympan lors de l’extraction de cérumen), fracture ou traumatisme lors d’une manipulation. Défaut de suivi postopératoire : suivi sous-optimal ou retard diagnostique d’infection ou de complication à domicile dans les suites immédiates d’une intervention chirurgicale ou de la pose d’un pacemaker. Prescription ou indication non pertinente (5% des cas) : absence de prise en compte des contre-indications médicales au traitement, diagnostic non confirmé (prescription à l’aveugle), prescription d’antibiotique en l’absence d’antibiogramme (inefficacité), renouvellement systématique sans réévaluation de la prescription du spécialiste ou modification du traitement spécialisé sans l’avis du spécialiste prescripteur, molécule non adaptée, transport non médicalisé pour urgence vitale.

Les problèmes divers liés à l’organisation et à la prise en charge

La catégorie regroupant les problèmes liés à l’organisation et à la prise en charge, qui représente 13% des cas, est particulièrement hétérogène avec, pour chaque situation, un nombre de cas très faible (Figure 3). On y retrouve :

  • des pathologies très complexes ou des aléas (7%) : patients complexes avec de multiples complications et intrication de symptômes ; comorbidités avec plusieurs pathologies concomitantes dont les symptômes sont intriqués ou occultés, maladie rare (pour plus d’informations dans ces situations, des analyses de causes racines auraient été nécessaires pour éliminer des défauts potentiels d’organisation ou de continuité des soins) ; cause indéterminée ou évolution inévitable ou imprévisible (aléas) ;
  • des causes qui relèvent du comportement du patient (4%) : le patient ne prend pas (ou mal) son traitement, ne se rend pas à ses rendez-vous, ne respecte pas les consignes ou tarde à prendre un rendez-vous avec un spécialiste ou à faire réaliser un examen complémentaire, il fait le choix d’une médecine alternative, il a de mauvaises relations avec son médecin, ou il est dépendant avec une surveillance insuffisante ;
  • des suspicions d’euthanasie, une sous-évaluation de la maltraitance ou du risque suicidaire, des décompensations psychiatriques (violence) ;
  • des douleurs non soulagées, chroniques ou résiduelles ;
  • étonnamment dans une très faible proportion (1%), un défaut de coopération ou de communication entre les professionnels ou un morcellement de la prise en charge : absence de transmission des résultats d’examen ou de consultation ; absence de concertation entre médecin généraliste et spécialiste pour l’équilibrage ou la modification du traitement ; défaut de suivi de dossier après le départ à la retraite du médecin. Une analyse approfondie des situations en aurait certainement révélé davantage.

Synthèse

Pour synthétiser les nombreux facteurs conduisant à des défaillances et à des EIGS, nous les avons regroupés dans six grandes catégories : problèmes de diagnostic, de suivi du patient, d’éthique et de déontologie, d’iatrogénie médicamenteuse ou hors médicament, de prescription, et d’organisation de la prise en charge (Figure 4).

Discussion

Une étude de même nature a été réalisée en 2009 par Amalberti et al. [6] sur 1 000 dossiers. Notre travail en confirme les résultats en matière de problèmes diagnostiques (de l’ordre de 50%). Une majorité est liée à une appréciation sous-optimale ou à une banalisation de symptômes tels que douleurs abdominales, vomissements et céphalées ou asthénie importante, ou encore douleurs thoraciques atypiques qui sont souvent mal prises en compte et ne font pas l’objet d’un diagnostic différentiel (en particulier chez les femmes en matière de maladie cardiovasculaire [7] ou chez les enfants devant un syndrome abdominal). Pour ce type de symptômes, les risques de passer à côté d’une pathologie aiguë restent élevés. La négligence (le médecin tarde sans raison à réaliser l’acte ou l’oublie) demeure une cause importante de non-prescription, en particulier suite à un avis spécialisé (absence de réalisation des préconisations du spécialiste en matière d’examen complémentaire ou de traitement), de même que l’absence de prise de connaissance des résultats des examens complémentaires demandés par le médecin lui-même donc leur non-utilisation dans la décision thérapeutique. Ce défaut d’appréciation est souvent associé à un examen clinique peu approfondi. Des gestes simples tels que la palpation abdominale, la prise de tension, l’auscultation ou l’examen neurologique minimum manquent alors que le tableau clinique est évocateur.

Un suivi attentif est souvent mis en cause (22%). Le médecin est rarement proactif avec une absence de réévaluation du diagnostic devant des symptômes persistants ou qui s’aggravent, ou l’absence de surveillance régulière et systématique des patients chroniques ou des traitements relevant d’un suivi biologique. Il en va de même pour l’identification des infections et des complications postopératoires après le retour à domicile. Le médecin est plutôt dans l’attente d’être recontacté que dans l’établissement d’un schéma de surveillance et de consigne d’alerte pour le patient. La prise en compte et l’interprétation des examens complémentaires ou des avis spécialisés est souvent non performante, en particulier concernant les examens d’imagerie qui sont mal prescrits (délai, pertinence) et souvent interprétés comme normaux ou non contributifs en première lecture.

Dans 4% des cas, des comportements déontologiquement non conformes sont observés, correspondant à des relations difficiles avec les patients où à un défaut de transmission d’informations qui lui sont dues qui peut entraîner une perte de chance. À la marge, des comportements relevant presque du délit sont possibles, tels que la rédaction de certificats de complaisance ou partisans et la pratique d’IVG hors délai. Plus fréquents mais non moins critiquables sont les refus de se déplacer et les conseils et ajustements par téléphone sans consultation du patient ni proposition de rendez-vous pour confirmer le diagnostic (3%).

Le deuxième sujet impactant la prise en charge concerne l’iatrogénie (de l’ordre de 36%). Sans surprise, le médicament y tient la première place (20% des cas). Une place à part revient, là aussi sans surprise, aux anticoagulants, antivitamine K bien entendu et plus récemment avec l’apparition des nouveaux anticoagulants oraux, se développent les problèmes liés à la surveillance (considérée comme moins contraignante) et au relais (mal maîtrisé). De manière générale, les principaux problèmes relevés sont des sur ou sous-dosages, des complications des médicaments à marge thérapeutique étroite (morphiniques), des traitements au long cours (corticoïdes) ou nécessitant une surveillance de la fonction rénale, qui est loin d’être systématique. L’allergie tient une place modérée avec quelques syndromes de Lyell non prévisibles et quelques antécédents d’allergie non pris en compte. On notera l’impact conjoncturel mais non négligeable des problèmes liés au Benfluorex et à l’acide valproïque (7%). La réalisation d’actes techniques au cabinet représente la deuxième cause d’iatrogénie. Sont concernés les gestes simples tels que des injections intramusculaires ou intraveineuses ou le positionnement de dispositifs sous-cutanés (mauvais positionnement et migration d’implant contraceptif) ou des gestes plus complexes et nécessitant une maîtrise technique et des conditions d’hygiène rigoureuses (ponction d’hématome ou articulaire) se soldant par des complications infectieuses allant de l’infection cutanée superficielle banale ou de la lymphangite à la septicémie. Enfin, des traumatismes surviennent, liés à des manipulations trop vigoureuses ou inadaptées, à des chutes de table d’examen ou à des malaises.

Dans l’application des bonnes pratiques, la question de la pertinence se pose dans 5% des cas et concerne l’absence de prise en compte des contre-indications médicales lors de la prescription des traitements, ou la prescription à l’aveugle sans confirmation étiologique ou sans réflexion concernant une antibiothérapie raisonnée en l’absence d’antibiogramme. Les stratégies de renouvellement d’ordonnance systématique sans réévaluation du patient ou sans avis spécialisé en cas de traitement prescrit par un spécialiste ne sont pas rares.

Enfin, l’organisation de la prise en charge de manière plus générale est mise en cause dans 13% des cas. Hormis les situations qui relèvent plus probablement d’un aléa ou de pathologies très complexes qui, quoi qu’il en soit, sont de mauvais pronostics, quelques éléments méritent une attention particulière. Dans 4% des cas, Le patient lui-même est en cause s’il est peu observant, s’il ne respecte pas les rendez-vous qui lui sont proposés ou ceux qu’il doit prendre auprès des spécialistes, ou dans la réalisation des examens complémentaires qui lui sont prescrits. Le nomadisme est par ailleurs un facteur très pénalisant pour un suivi efficace. Ces éléments relèvent à la fois de l’information plus ou moins active du médecin mais aussi certainement du niveau de culture de la population en matière de santé.

Perspectives et conclusion

Le médecin généraliste est souvent le seul dépositaire de l’ensemble du parcours de soins du patient. Son rôle est donc majeur dans le diagnostic d’orientation (urgence, avis spécialisé) mais aussi dans le suivi et la coordination des soins, permettant à la fois des économies dans le parcours de soins et la récupération précoce des complications. On constate cependant peu d’évolution des grandes catégories de défaillances et de leur répartition depuis 2010. Les résultats plaident manifestement en faveur d’un renforcement du rôle du généraliste dans le suivi des patients et de sa proactivité, afin de permettre plus précocement la récupération des complications, la décision diagnostique et la coordination de toutes les données médicales du patient. Il serait intéressant par exemple de développer les outils informatiques pour rappeler aux médecins de consulter et d’interpréter les résultats (alerte dans les logiciels de prescription, liens informatisés avec les laboratoires de biologie médicale générant des alertes à l’arrivée des résultats anormaux). Le domaine du médicament est directement concerné par ces dispositions de suivi. Le développement de la conciliation médicamenteuse [8] en particulier pourrait être d’une grande aide lors du retour du patient à son domicile. Les protocoles de coopération entre les professionnels seraient en mesure de fluidifier et de sécuriser le partage d’information tout au long du parcours de soins du patient. On peut ainsi citer l’expérience de la conciliation médicamenteuse dans le projet Médisis [9], initié par Édith Dufay pour améliorer la prise en charge médicamenteuse du patient dans le parcours de soins, qui met en relation l’hôpital, le médecin et le pharmacien (voire le spécialiste) tout en éduquant et en informant le patient sur la gestion de son traitement. L’accès de tous les professionnels de santé au dossier médical partagé serait aussi un plus. Une meilleure approche clinique et sémiologique en consultation serait certainement un atout majeur, d’autant que celle-ci est de plus en plus délaissée au profit des examens complémentaires, dont on voit bien les limites et les difficultés de réalisation et d’interprétation en première intention. Enfin, concernant les actes techniques au cabinet, il serait probablement utile de compléter les formations et les habilitations à certains actes, par exemple dans le cadre du développement professionnel continu, ou d’organiser la complémentarité des installations techniques et des compétences au sein des cabinets de groupe ou des maisons de santé en cas de compétence sous-optimale pour des actes invasifs. Un travail important reste donc à réaliser en matière d’acculturation au retour d’expérience en médecine ambulatoire, mais aussi en termes de formation aux outils de la gestion des risques liés aux soins. Pour être compris et intégrés, il faudra les adapter à l’exercice de ville. On peut citer par exemple la méthode des « tempos » [10,11], méthode d’analyse des EIGS adaptée à l’exercice en cabinet de médecine générale mais aussi à tout exercice du soin en ville (odontologie, pharmacie d’officine, cabinet d’infirmière libérale). Cette méthode prend en compte aussi bien les tempos de la maladie que ceux du patient, de l’organisation du cabinet et du système de soin. On peut aussi utiliser une grille d’auto-évaluation interactive du risque en médecine de ville accompagnée d’un guide pédagogique proposant un certain nombre d’outils et de comportements améliorant la sécurité [12].

Les EIGS existent en ville et ne sont pas réservés aux structures de soins. Leur prise en compte efficace apporterait un plus en matière de sécurité des parcours de soins.

Notes :

1- Accessible à : https://signalement.social-sante.gouv.fr/psig_ihm_utilisateurs/index.html#/accueil (Consulté le 01-06-2021).
2- Imagerie par résonance magnétique.
3- Électrocardiogramme.
4- Interruption volontaire de grossesse.

Informations de l'auteur

Historique : Reçu 28 janvier 2021 – Accepté 11 mai 2021 – Publié 14 juin 2021.
Financement : aucun déclaré.
Conflit potentiel d’intérêts : aucun déclaré.

Références

*1- Décret n° 2016-1606 du 25 novembre 2016 relatif à la déclaration des événements indésirables graves associés à des soins et aux structures régionales d’appui à la qualité des soins et à la sécurité des patients.

*2- Haute Autorité de santé. Rapport annuel d’activité 2019 sur les évènements indésirables graves associés à des soins (EIGS) [Internet]. Saint-Denis, 2021. Accessible à : https://www.has-sante.fr/jcms/p_3232022/fr/rapport-annuel-d-activite-2019-sur-les-evenements-indesirables-graves-associes-a-des-soins-eigs (Consulté le 18-05-2021).

*3- Kaldjian LC, Jones EW, Rosenthal GE, et al. An empirically derived taxonomy of factors affecting physicians’ willingness to disclose medical errors. J Gen Intern med 2006;21(9):942-948.

*4- Haute Autorité de santé. Perception de la sécurité des soins : réalisation d’un sondage auprès des professionnels de santé en ville ; [Internet]. Saint-Denis, 2013. Accessible à : https://www.has-sante.fr/jcms/c_965849/fr/perception-de-la-securite-des-soins-realisation-d-un-sondage-aupres-des-professionnels-de-sante-en-ville (Consulté le 18-05-2021).

*5- Comité de coordination de l’évaluation clinique et de la qualité en Nouvelle-Aquitaine (Ccecqa). Esprit - Étude nationale en soins primaires sur les événements indésirables - Rapport final - décembre 2013. Paris : ministère des Affaires sociales et de la Santé, 2013. 149 p.

*6- Brami J, Amalberti R. La sécurité du patient comme futur enjeu de la médecine générale. In : La sécurité du patient en médecine générale. Paris : Springer, 2010.

*7- Haute Autorité de santé. Qualité de vie et infarctus du myocarde. Programme pilote « Infarctus du myocarde » des 1er signes à 1 an de suivi ambulatoire. Saint-Denis, 2013. 32 p.

*8- Ministère des Solidarités et de la Santé. La conciliation médicamenteuse [Internet]. Paris, 2019. Accessible à : https://solidarites-sante.gouv.fr/soins-et-maladies/qualite-des-soins-et-pratiques/qualite/conciliation-medicamenteuse/article/la-conciliation-medicamenteuse (Consulté le 18-05-2021).

*9- Dufay E, Schneider P. Le parcours de soins Médisis : pour une valorisation à la qualité des parcours de soins ville-hôpital. Lunéville, Journée Agora, 12 septembre 2019.

*10- Amalberti R, Brami J. ‘Tempos’ management in primary care: a key factor for classifying adverse events, and improving quality and safety. BMJ Qual Saf 2012;21(9):729-736.

*11- Amalberti R. La méthode des Tempos [Internet]. Paris : La Prévention médicale, 2020. Accessible à : https://www.prevention-medicale.org/Dossiers-du-risque-et-methodes-de-prevention/Methodes-de-prevention/Approche-par-processus/methode-tempos (Consulté le 18-05-2021).

*12- Moll MC. S’évaluer sur la sécurité des soins en pratique ambulatoire [Internet]. Paris : La Prévention médicale, 2021. Accessible à : https://www.prevention-medicale.org/formations-outils-et-methodes/methodes-de-prevention/La-securite-en-pratique-ambulatoire-comment-vous-situez-vous/securite-des-soins-ambulatoires-test (Consulté le 18-05-2021).

Citation

Moll MC. Processus défaillants en médecine générale : analyse de 747 dossiers de plaintes entre 2015 et 2017. Risques & Qualité 2021;(18)2;74-81. Doi : 10.25329/rq_xviii_2_moll

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