26 juin 2023

Horaires de travail des médecins en cours de spécialisation : risque pour les patients et pour eux-mêmes

Objective. To determine whether long weekly work hours and shifts of extended duration (≥24 hours) are associated with adverse patient and physician safety outcomes in more senior resident physicians (postgraduate year 2 and above ; PGY2 +). Design. Nationwide, prospective cohort study. Setting. United States, conducted over eight academic years (2002-07, 2014-17). Participants. 4826 PGY2 + resident physicians who completed 38 702 monthly web based reports of their work hours and patient and resident safety outcomes. Main outcome measures. Patient safety outcomes included medical errors, preventable adverse events, and fatal preventable adverse events. Resident physician health and safety outcomes included motor vehicle crashes, near miss crashes, occupational exposures to potentially contaminated blood or other bodily fluids, percutaneous injuries, and attentional failures. Data were analysed with mixed effects regression models that accounted for dependence of repeated measures and controlled for potential confounders. Results. Working more than 48 hours per week was associated with an increased risk of selfreported medical errors, preventable adverse events, and fatal preventable adverse events as well as near miss crashes, occupational exposures, percutaneous injuries, and attentional failures (all P<0.001). Working between 60 and 70 hours per week was associated with a more than twice the risk of a medical error (odds ratio 2.36, 95% confidence interval 2.01 to 2.78) and almost three times the risk of preventable adverse events (2.93, 2.04 to 4.23) and fatal preventable adverse events (2.75, 1.23 to 6.12). Working one or more shifts of extended duration in a month while averaging no more than 80 weekly work hours was associated with an 84% increased risk of medical errors (1.84, 1.66 to 2.03), a 51% increased risk of preventable adverse events (1.51, 1.20 to 1.90), and an 85% increased risk of fatal preventable adverse events (1.85, 1.05 to 3.26). Similarly, working one or more shifts of extended duration in a month while averaging no more than 80 weekly work hours also increased the risk of near miss crashes (1.47, 1.32 to 1.63) and occupational exposures (1.17, 1.02 to 1.33). Conclusions. These results indicate that exceeding 48 weekly work hours or working shifts of extended duration endangers even experienced (ie, PGY2 +) resident physicians and their patients. These data suggest that regulatory bodies in the US and elsewhere should consider lowering weekly work hour limits, as the European Union has done, and eliminating shifts of extended duration to protect the more than 150 000 physicians training in the US and their patients.

Commentaire du Dr Marius Laurent (PAQS)

La plupart des études qui étudient l’effet de la fatigue générée par des périodes d’activité continue entraînant une privation de sommeil ont concerné des médecins dans leur première année de spécialisation (résidents de première année : PGY1). La présente étude s’intéresse à des résidents à partir de la deuxième année de formation (PGY2+). Aux USA, ils peuvent travailler 28 heures consécutives (16 heures pour ceux de première année) et 80 heures par semaine. Les auteurs ont réalisé une étude par enquête par courriel, qui recueille les heures de travail, les heures de sommeil sur les lieux du travail, les erreurs et les événements indésirables (EI) pour le patient, et pour le résident (accidents de voiture par exemple). Les EI et les erreurs sont celles que le PGY2+ signale spontanément : ils sont 4 826 à participer à toute l’étude depuis leur première année. Les horaires de travail qui ont précédé les erreurs ou les EI signalés sont vérifiés. Sans surprise, les EI, les erreurs, les défauts d’attention, les presque accidents de circulation voient leur fréquence augmentée quasi linéairement avec la prolongation du temps de travail par semaine au-delà de 48 heures (rappelons que 48 heures sont la limite posée en Europe). Les EI graves et les erreurs doublent et triplent si on dépasse 60 heures. Travailler plus de 80 heures double le risque d’accident de voiture. Notons que l’objet de l’étude a été soigneusement caché sous une masse de questions portant sur l’activité physique, sur les habitudes de vie, sur l’usage de café, etc. Les biais inhérents à ce genre d’enquête ne peuvent être totalement évités, pas plus que l’exhaustivité des signalements ne peut être affirmée. Les résultats récoltés confortent le choix des limites imposées en Europe. La durée des présences continues et la charge horaire ne sont pas les seuls éléments en cause dans la fatigue, il convient aussi de se pencher sur la charge de travail et certains aspects qualitatifs de celle-ci (qualité du travail en équipe par exemple, stress lié à des événements extérieurs tels que la pandémie, etc.). L’article mérite l’intérêt malgré ses faiblesses méthodologiques. Il va à contre-courant du curriculum caché qui fait du médecin un héros solitaire, résistant à la fatigue que lui impose un rythme de travail prétendument justifié par les besoins de sa formation.

Barger LK, Weaver MD, Sullivan JP, Qadri S, Landrigan CP, Czeisler CA. Impact of work schedules of senior resident physicians on patient and resident physician safety : nationwide, prospective cohort study. BMJ Medicine 2023;2(1):e000320. Doi : 10.1136/bmjmed-2022-000320.